En pleine épidémie, les prospectives ont le vent en poupe chez les dirigeants

CHRONIQUE. Comment le monde va-t-il sortir de la crise de la pandémie du Coronavirus? Divers scénarios sont d'ores et déjà avancés pour imaginer quel monde adviendra de cette situation inédite qui combine les effets d'une crise sanitaire et ceux d'une crise économique. Avec des perspectives très différentes.
Le président Emmanuel Macron, lui-même, n'a-t-il pas reconnu qu'il était venu le temps de poser enfin les jalons d'une nouvelle indépendance économique de la France ?
Le président Emmanuel Macron, lui-même, n'a-t-il pas reconnu qu'il était venu le temps de poser enfin les jalons d'une nouvelle indépendance économique de la France ? (Crédits : Reuters)

C'est un principe de base que l'on apprend aux étudiants en première année  : l'économie repose sur la confiance, et notamment en l'avenir. Alors que la planète entière est aujourd'hui comme suspendue, avec plus de 3 milliards d'humains confinés, les dirigeants économiques comme politiques, plutôt que de s'en rapporter aux astrologues ou autres marabouts, raffolent d'études de prospective. Dans ces rapports qui se multiplient ces derniers jours, chacun y va de ses hypothèses. « La crise du coronavirus sonne-t-elle la fin du capitalisme néo-libéral ? », se demande ainsi Natixis dans une note confidentielle datant du 30 mars 2020. Cette question, posée par de très sérieux économistes de cet établissement bancaire, pourrait apparaître provocatrice en temps de « paix », mais elle repose aujourd'hui sur des constats sérieux qu'on aurait tort de balayer d'un revers de la main.

D'abord, expliquent-ils, « la crise du coronavirus va très probablement provoquer le retour à des chaînes de valeur régionales, au lieu de chaînes de valeur mondiales ». Et de prédire la « déglobalisation des économies réelles ». Prenant des airs gaulliens, le président Emmanuel Macron, lui-même, n'a-t-il pas reconnu qu'il était venu le temps de poser enfin les jalons d'une nouvelle indépendance économique de la France ? À l'appui de leur thèse, les économistes de Natixis constatent « déjà aujourd'hui des signes de cette déglobalisation réelle : le fort recul des investissements directs vers la Chine et leur stagnation vers les autres émergents ». Et de pointer « la fragilité des chaînes de valeur mondiales : quand la production s'arrête dans un pays, toute la chaîne est arrêtée ». Seul remède ? La régionalisation des « chaînes de valeur » et la « diversification des risques ».

Un véritable New Deal à la Roosevelt

Ensuite, les économistes de Natixis envisagent un véritable New Deal à la Roosevelt, évoquant « une hausse durable des dépenses publiques de santé, d'indemnisation du chômage, de soutien des entreprises, donc la fin de l'austérité budgétaire là où elle était installée (Europe) et de la concurrence fiscale ». Conséquence : « Il ne sera plus possible de baisser de manière agressive les impôts ». Autre point soulevé par cette note de Natixis : la revalorisation d'une approche stratégique de l'économie est attendue, avec un Etat intervenant « pour définir et développer les industries stratégiques (pharmacie, aussi Nouvelles Technologies, énergies renouvelables...) ». Ajoutant : « Une situation de dépendance comme celle qui existe pour les médicaments vis-à-vis de la Chine ou de l'Inde ne va plus être acceptée ».

Enfin, dernier élément de cette analyse dévoyant manifestement tous les dogmes de l'orthodoxie économique, l'éventualité de « la compréhension (même aux Etats-Unis) de ce que toute la population doit bénéficier d'une protection sociale convenable ». Ce que Natixis annonce, c'est bel et bien le retour d'un Etat-providence, pleinement investi dans l'action stratégique, et permettant une accélération de la transition écologique. Conclusion : « Tout ceci signifie bien la fin du "capitalisme néo-libéral" qui avait choisi la globalisation, la réduction du rôle de l'Etat et de la pression fiscale, les privatisations, dans certains pays la faiblesse de la protection sociale ».

La crise mondiale du coronavirus « va amener à remettre en cause tous ces choix du capitalisme néo-libéral ». Il y a trente ans déjà, le philosophe et urbaniste Paul Virilio, très lu en Allemagne, réfléchissait à ces risques systémiques qui pouvaient très bien mettre à bas notre système mondial. Il appelait cela « l'accident global », qu'il vienne d'une « bombe informatique » ou de toute autre menace : car l'humanité, à force de dépendre toujours un peu plus de réseaux interconnectés, a fini par se fragiliser en son coeur.

Aujourd'hui, ce risque systémique pourrait ainsi affecté l'Afrique, un continent qu'on disait jusqu'à présent moins connecté (ce qui est de moins en moins le cas avec les investissements chinois, américains, et israéliens...). C'est tout l'objet d'une note produite le 24 mars par le Centre d'Analyse, de Prévision et de Stratégie (Caps) du Quai d'Orsay, qui s'alarme de la situation en ces termes : « La crise du Covid-19 peut être le révélateur des limites de capacité des Etats, incapables de protéger leur population. En Afrique notamment, ce pourrait être la "crise de trop" qui déstabilise durablement, voire qui mette à bas des régimes fragiles (Sahel) ou en bout de course (Afrique centrale) ». Cette analyse pointe le risque d'une « crise politique » à venir dans de nombreux Etats africains, du fait d'« un nombre trop élevé de décès » dans la population, qui serait « le dernier étage du procès populaire » contre des élites politiques incapables de protéger le plus grand nombre. Cette crise du Covid-19 devrait pourtant apprendre l'humilité aux analystes, car ce constat d'une crise politique à venir pourrait être tiré en Europe...

Toutefois cette note d'analyse ne s'embarrasse pas d'euphémismes, en pointant également « le risque d'infection d'un dirigeant âgé et souffrant d'autres pathologies pourrait avoir de lourdes conséquences et obligerait à se positionner clairement et rapidement sur la fin d'un système et sur une transition ». L'épidémie pourrait amener également à des crises économiques d'ampleur et « pourrait précipiter la crise finale de la rente pétrolière au Cameroun, au Gabon, et au Congo-Brazzaville (effondrement d'un prix du baril déjà en crise (...) ralentissement de la production, et risque d'accélération de la réflexion d'opérateurs pétroliers - Total au premier chef - de quitter ces pays) ».

Potentiel discrédit des élites au pouvoir

Et les analystes du Quai d'Orsay de pointer le fait que les villes pourraient être « les potentiels épicentres de crises », notamment avec la question « du ravitaillement des quartiers », qui pourrait amener à « des phénomènes de panique urbaine ». Pour gérer ce « virus politique » d'un potentiel discrédit des élites au pouvoir, les diplomates circonscrivent plusieurs acteurs permettant à la France de gérer ses « efforts de gestion de la crise en Afrique » : les autorités religieuses, les diasporas, les artistes populaires, mais aussi les « experts africains scientifiques et spécialistes de la santé » et, enfin, ce qu'ils appellent « les entrepreneurs économiques et les businessmen néo-libéraux ». Ces derniers, « riches et globalisés (...), se positionnent comme les philanthropes du continent : ils peuvent jouer un rôle s'ils décident d'engager leurs moyens ou de poser en intermédiaires entre le système de gouvernance mondiale et l'Afrique, mais dans tous les cas, ils souligneront la faillite de l'Etat ».

Au vu de la crise, on se demande bien quel peut être aujourd'hui un « système de gouvernance mondiale »... Cette note conclut enfin par des évidences que la France aurait pu faire siennes il y a bien longtemps déjà : « Anticiper le discrédit des autorités politiques signifie accompagner en urgence l'émergence d'autres formes d'autorités africaines crédibles pour s'adresser aux peuples afin d'affronter les responsabilités de la crise politique qui va naître du choc provoqué par le Covid-19 en Afrique... et sans doute ailleurs ».

On le voit, cette crise globale, « inédite » comme le rappellent Emmanuel Macron et Edouard Philippe, est bien l'occasion de tirer tous les bilans, sans exceptions.

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Commentaires 21
à écrit le 10/04/2020 à 12:23
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Eh oui, il faut une telle pandémie pour s'apercevoir que beaucoup de choses ne tournent pas rond en France. La désindustrialisation qui me parait la plus grave dans certains secteurs d'activité...et qui a pour conséquence la perte d'indépendance de l...

à écrit le 09/04/2020 à 17:09
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Que vont faire ces pantins quand la vérité va éclater malgré «  les médias encore tenu en laisse «  pour le moment ...?

à écrit le 09/04/2020 à 4:51
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Les Français ne s'aiment pas Cà ! Cà ne changera jamais. Pandémie à son terme : Ne soyons pas naifs, ils ne s'aimeront toujours pas Une taxe-impo( CSG de solidarité FORCEE IDEOLOGUE A LA AUBRY ( son mot obsessionnel : solidarité ) une taxe Au...

à écrit le 09/04/2020 à 3:01
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Comme après les deux grandes guerres, les vagues d'attentats, Le naturel FR égoiste sans coeur, sans compassion, reprendra le dessus sur. " l'unité " Et le surendettement encore ! aggravé, discrédite complètement la FR en Europe. La FR déclassé...

à écrit le 09/04/2020 à 2:34
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Une certitude une FR surendettée 100% du PIB/An 2350 MILLIARDS D EUROS 03/20 A cause de la Désinvolture !!! des gouvernants depuis Mai 81 en finances publiques ( pas pour leur argent privé ) 1000 Milliards d'eur de plus : 2020-2021 En 2019 31...

à écrit le 08/04/2020 à 19:29
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La globalisation était de toute façon totalement contraire au principe de développement durable. Régionaliser en renforçant la coopération européenne, c'est le bon sens. A 25 pays et avec plusieurs centaines de millions de consommateurs, nous avons l...

à écrit le 08/04/2020 à 19:14
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Ils peuvent toujours faire des kriegspiel.... ça les occupe. L'avenir est imprévisible et dépendra de la façon dont les industries repartiront. Est ce que ce sera ensemble, ce qui permettrait un décoincage global, ou alors va t'il falloir réinvent...

à écrit le 08/04/2020 à 16:47
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"Potentiel discrédit des élites au pouvoir" reformulons : "total discrédit des politocards et leurs sbires autoproclammées "élites" au pouvoir" le divorce est consommé ... reste 2 alternatives : dissolution de l'Assemblée nationale ou guerre...

à écrit le 08/04/2020 à 16:29
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Pas besoin d'être prophète pour dire que rien ne changera, grâce aux riches, les pauvres resterons pauvre!

le 08/04/2020 à 18:11
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ben oui et alors ?????

à écrit le 08/04/2020 à 13:52
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Une analyse bien pauvre, qui commence par un titre alléchant sur les perspectives globales pour continuer et finir sur la situation dans la seule Afrique. L'Afrique n'est pas au centre du monde, n'est pas -du tout- "L'Empire du milieu", son poids ...

à écrit le 08/04/2020 à 13:20
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Peut être aussi la fin du modèle de "métropolisation" cher à nos dirigeants. Car quoi de mieux pour lutter contre ce genre de pandémies que l'habitat dispersé et l'usage du véhicule individuel ?

à écrit le 08/04/2020 à 13:13
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Ouais, bof (grosses bouffes en trop, puis baffes de ré-anime-rations ?) combien de "pékins" se disent d'abord bons "DIRIGE-EN", pour affirmer être COURANT DE VIE à solutions parfaitement utiles et équilibrées, avant de chercher à copier les autres o...

à écrit le 08/04/2020 à 12:46
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Un contre- argument : Est ce que cette société moderne est elle trop avancée pour des guerres terrestres ?( sujet tabou et dépassé?) Forcément «  le mot à la mode «  est «  paix « , «  résilience « ... Ça me fait penser « à une fausse sécurité «  L...

à écrit le 08/04/2020 à 12:20
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Le pouvoir abouti toujours dans les mains de groupes sociaux optimisés pour la conquête de ce pouvoir (argent, réseaux) rarement les meilleurs pour l'exercer. Ce sont ce que l'on appel des arrivistes, d'ailleurs ils crient souvent victoire alors qu'...

à écrit le 08/04/2020 à 11:52
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Article intéressant mais avec trop de fautes de conjugaison...

à écrit le 08/04/2020 à 11:52
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Que d'erreurs faites par le gouvernement depuis le début de crise , on peut mettre en doute son conseil scientifique pour les grandes décisions et la gestion. On n'en sortira pas indemne , mais vu que cela ne s'améliore pas au niveau décisionnel , j...

à écrit le 08/04/2020 à 11:51
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quand on enseigne la prevision, on essaie d'expliquer la difference entre la boule de madame irma ( qui utilise l'effet barnum, au passage) et des modeles sarima,, a correction d'erreur ou autre.... par exemple, dans les entreprises, il y a une tres...

le 08/04/2020 à 12:09
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Vous ne comprenez pas ! Si on rapatrie des industries on élargie la base fiscale donc on baisse les impots... VOus vous la jouez en évoquant des méthodes sophistiquées que vous ne comprenez certainement que très superficiellement et ce qui est tri...

le 08/04/2020 à 14:47
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et j'oubliais le meilleur! monsieur je comprend le trivial! est ce que vous croyez que les boites vont revenir se faire insulter en france sur coup de sifflet? oui, vous avez lu ca dans un livre? he ben montez votre boite, et vous nous donnerez vo...

à écrit le 08/04/2020 à 11:37
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"Potentiel discrédit des élites au pouvoir" Disons que les médias de masse rament de plus en plus à offrir du crédit à des gens incompétents et soumis c'est un fait, cette crise ne fait qu’accélérer ce phénomène né du fait d'internet et de la fin...

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