Fusions de sociétés et transferts de sièges intra-communautaires : stop ou encore ?

OPINION. Le législateur européen et français ont prévu différentes mesures pour offrir une meilleure protection aux parties prenantes dans le cadre de la directive européenne dite de Mobilité. Ce texte qui vient d'être transposé en France vise à faciliter les fusions transfrontières au sein de l'Union européenne. Mais, expliquent Alain Garnier, associé chez Linklaters et Benoit Martin, avocat chez Linklaters, les dispositions ajoutées sur la protection des actionnaires et le contrôle anti-abus pourraient aller l'encontre de l'objectif recherché par la directive.
(Crédits : DR)

Les groupes français auront-ils encore l'envie de procéder à des opérations de fusions et apports au sein de l'Union européenne (UE) ? Étonnante question, quand vient d'être adoptée une réforme dont l'objectif est précisément de ... faciliter ce type d'opérations.

La France vient en effet de transposer une directive (dite « Mobilité ») instituant un régime harmonisé pour la mise en œuvre d'opérations de fusions, apports partiels d'actifs et transferts de siège transfrontaliers au sein de l'UE.

Cette réforme est fondamentale en ce qu'elle vise à favoriser la réalisation par les entreprises européennes de ce type d'opérations, qu'il s'agisse de restructurations intra-groupe ou de rapprochements avec une autre entreprise européenne (comme la fusion entre Peugeot et Fiat Chrysler mise en œuvre au moyen d'une fusion transfrontalière).

Réforme paradoxale

Elle est néanmoins paradoxale, car à l'occasion de cette harmonisation, ont été introduites plusieurs règles dont on peut craindre qu'elles ne réduisent sérieusement l'attractivité de ces opérations.

La raison principale tient à ce que les législateurs européen et français ont prévu différentes mesures visant à assurer une protection accrue des intérêts des différentes parties prenantes, qui risquent de saper l'objectif de faciliter ces opérations. Afin d'illustrer ce propos, examinons simplement deux règles nouvelles.

La protection des actionnaires d'abord.

La directive Mobilité prévoit que ces opérations sont soumises à la « loi de la majorité ». Ceci signifie qu'elles devront être approuvées par l'assemblée générale statuant à la majorité requise (variable selon les formes sociales). S'agissant du transfert de siège, il s'agit d'une bonne nouvelle en France puisque celui-ci requérait auparavant l'approbation unanime des associés.

Un frein aux fusions

Mais ... la directive impose en contrepartie que soit institué un droit de retrait au profit des actionnaires opposés à l'opération. Ainsi, les actionnaires qui auraient vocation, du fait de l'opération, à devenir actionnaires d'une société située dans un autre État membre (en clair, ceux de la société absorbée en cas de fusion), et qui auraient voté contre l'opération, pourront se faire racheter leurs actions par la société pour un prix dont le caractère adéquat aura dû être confirmé par un expert indépendant (et dont le montant pourra être contesté en justice).

Cette règle constitue une nouveauté majeure en France et sera un frein à ce type d'opérations.

Le contrôle anti-abus ensuite.

La directive remplace le contrôle purement « formel » de légalité existant jusqu'alors par un contrôle exprimé de façon étonnamment « subjective », incombant en France au greffier du tribunal de commerce, dont on peut se demander s'il dispose des moyens pour cette mission. Celui-ci, le cas échéant avec l'aide d'un expert qu'il aura missionné (aux frais de la société), devra désormais vérifier que l'opération n'est pas réalisée à des fins abusives (par exemple visant à  « contourner » la loi), sans que cette notion ne soit plus définie. Il pourra à ce titre bloquer l'opération.

Risque d'exécution

Ce cas de figure devrait rester exceptionnel. Mais ce contrôle approfondi entrainera un risque d'exécution important en ce qui concerne tout particulièrement le délai de réalisation de l'opération, le délai prévu pour le contrôle de légalité étant porté à 3 mois avec possibilité de renouvellement. Cette incertitude risque d'être dissuasive pour des opérations d'envergure.

Par ailleurs, au-delà de ces nouvelles mesures de protection des parties prenantes, différentes imprécisions lors de la transposition, voire une transposition différente entre pays, vont également créer des risques d'interprétation et/ou de calendrier, susceptibles de dissuader les entreprises.

A l'analyse, l'on peut donc raisonnablement douter que cette réforme, qui soulève par ailleurs son lot de difficultés d'interprétation, suscite un véritable engouement de la part des entreprises pour ces opérations transfrontalières. Il n'est pas exclu que leur avenir demeure dans le domaine des restructurations intra-groupe pour lesquelles certaines des contraintes issues du nouveau régime devraient rester indolores.

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