Guerre en Ukraine  : pourquoi les citoyens européens se ruent sur les distributeurs de billets  ?

OPINION. Dans plusieurs pays européens, on observe depuis quelques semaines une forte augmentation des retraits dans les distributeurs de billets, de 20 à 30% en moyenne. Dans le contexte de la crise ukrainienne, ce comportement inhabituel est révélateur des craintes des populations face à l'incertitude et de l'adoption d'une certaine forme de résilience anticipée. Par Michel Tresch, Président d'USP Valeurs
(Crédits : DR)

La guerre déclenchée en Ukraine a plongé le monde dans une nouvelle crise majeure, aux conséquences humaines et humanitaires dramatiques. A cette tragédie s'ajoutent de nombreuses menaces - notamment énergétiques et alimentaires - qui entrainent d'ores et déjà une inflation galopante et qui pourraient créer, à plus ou moins court terme, des pénuries.

Le conflit qui se déroule aux portes de l'Europe réveille également certains risques majeurs, parmi lesquels ceux liés à la potentialité de cyberattaques visant des systèmes financiers (paiements électroniques) ou des systèmes informatiques sans lesquels il n'est plus possible d'accéder à certaines ressources (distribution de carburant, distribution de cash, communications, ...).

Comportements face à l'incertitude

Quel que soit son fondement, la perception de ces risques par les populations peut impacter profondément leurs comportements. Lorsqu'ils anticipent des pénuries, les individus ont tendance à stocker pour ne pas se retrouver démunis. Et en cas de crise, ils stockent ce qu'ils considèrent comme les ressources les plus importantes et les plus fiables. En d'autres termes : ce qui assurera leur résilience.

Est-ce ce que l'on est en train d'observer avec l'argent liquide ? L'ESTA (European Security Transport Association), qui représente les acteurs du secteur européen du cash, a publié début mars un rapport faisant état d'une augmentation significative des retraits dans les distributeurs automatiques de billets dans de nombreux pays - particulièrement ceux étant géographiquement proches du conflit. De l'ordre de 20% en Finlande, en Norvège ou en République Tchèque, et jusqu'à 30% en Suède ou en Slovaquie.

Ce comportement est d'autant plus frappant dans un pays comme la Suède, qui a été l'un des premiers pays européens à se lancer dans le paiement 100% numérique et un modèle de société sans cash (avant de faire machine arrière il y a deux ans avec le vote d'une loi obligeant les banques à fournir des services en liquide, afin de redonner la liberté de choix des moyens de paiement aux citoyens).

On peut certes s'interroger sur la rationalité de ce type de comportements. Mais on peut aussi se demander de quoi ils sont révélateurs, en ne perdant pas de vue que certains réflexes humains sont simplement des réflexes sains de survie et d'adaptation.

En l'occurrence, l'augmentation de la demande d'argent liquide que l'on observe en Europe semble davantage guidée par la thésaurisation et la prudence, car aucune différence significative n'est constatée sur les transactions en espèces. Cette attitude pourrait donc révéler non pas une irrationalité, mais une décision réfléchie, voire de bon sens : face à la vulnérabilité potentielle des systèmes de paiement numériques, les individus préfèrent ne pas mettre tous leurs œufs dans le même panier, et font davantage confiance aux moyens de paiement qu'ils jugent les plus tangibles et résilients.

On peut même dire que cette vulnérabilité est avérée. Dans le contexte des sanctions internationales en réaction à l'invasion en Ukraine, les trois principaux opérateurs mondiaux de cartes bancaires ont décidé de suspendre leurs opérations en Russie, rendant soudainement le paiement par carte quasiment impossible. Il faut ici suspendre momentanément son jugement et ne considérer que les faits : des firmes étrangères ont le pouvoir de rendre inopérant un système de paiement électronique domestique. Dans une telle situation, le cash reste le seul instrument permettant de maintenir la souveraineté de paiement à l'échelle des individus.

Équilibre des systèmes résilients

Au-delà des drames humains qui prévalent sur tout le reste, les crises majeures que traverse le monde depuis deux ans (le Covid, et aujourd'hui les menaces énergétiques et alimentaires qui pèsent avec la guerre en Ukraine) ont ceci de commun qu'elles montrent l'importance vitale de l'équilibre entre souveraineté et risques.

Qu'il s'agisse des masques, des respirateurs, du gaz ou du blé, le fait de dépendre d'un seul système - qui plus est lorsqu'on ne le pilote pas soi-même - représente une vulnérabilité beaucoup trop importante. Il ne s'agit pas de cesser d'importer telle ou telle ressource ; il ne s'agit pas de s'en remettre exclusivement à l'énergie nucléaire ; il ne s'agit pas non plus de dénigrer les paiements électroniques. Il s'agit de s'appuyer sur des systèmes dont la résilience repose précisément sur la diversité équilibrée des sources et des ressources. Afin que, lorsque l'une fait défaut, l'autre prenne le relai - et réciproquement.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 8
à écrit le 21/04/2022 à 22:35
Signaler
De quel droit un journal s’octroi de donner des consignes de vote. Inadmissible

à écrit le 13/04/2022 à 10:09
Signaler
Parce que l'oligarchie européenne fait pareille depuis Maastricht ? Alors qu'ils veulent nous imposer de l'argent numérique qui n'existe pas afin de prendre nos liquidités à nous autres aussi. Ça marche pas les gars, les dix balles que j'ai en poche ...

à écrit le 12/04/2022 à 20:17
Signaler
Prévoir 2 K en espèce pour un fusil d'assaut si le conflit ukrainien fait tache d'huile en Europe. Bien plus utile que n'importe quelle prévoyance...

à écrit le 12/04/2022 à 20:14
Signaler
Cash is king! What else?

à écrit le 12/04/2022 à 16:49
Signaler
Perturber les DAB et autres systèmes de paiement, soit, mais les hackers de Poutine ont montré par erreur en piratant un satellite qu'il est possible de stopper le fonctionnement des éoliennes en Allemagne. Alors arrêter une partie de la production é...

à écrit le 12/04/2022 à 10:25
Signaler
Si les taux des livrets A ou autres était attrayant, les citoyens retireraient pas leurs argent en liquide. Mais avec des placements qui rapportent plus rien pourquoi s'en priveraient ils sachant qu'aux précédentes guerres mondiales beaucoup avaient ...

à écrit le 12/04/2022 à 10:08
Signaler
C est bien vu et analyse …Un article intelligent !!

à écrit le 12/04/2022 à 9:05
Signaler
Le bon sens même . J'ajouterai qu'il vaut mieux confier ses besoins domestiques aux métiers de base des prestataires à qui l'on fait habituellement appel. Donc, la banque aux banquiers, l'assurance aux assureurs, le gaz aux gaziers et l'électricité a...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.