Humain, trans-humain !

Le chirurgien Guy Vallancien est un des grands vulgarisateurs des progrès spectaculaires de la médecine et un critique des thèses technoscientifiques du transhumanisme en vogue chez les géants de la Silicon Valley. Il participait aussi au débat « Serons-nous encore humains ? » organisé lors des 17es Rencontres d'Aix-en-Provence (7-9 juillet 2017).

La vogue transhumaniste, dans ses approximations technoscientifiques, fait rêver plus d'un homme dans l'espoir de vivre dans un monde moins brutal. Elle s'est engouffrée dans la brèche béante ouverte par la perte d'autorité des Églises et des grandes sagas socialo-communistes, qui faillirent à rendre l'homme intrinsèquement meilleur. Une telle mouvance, nouvelle secte branchée, rappelle les énoncés scientistes du XIXe siècle en s'appuyant sur des a priori sommaires dans une troublante confusion des genres. Le transhumanisme repose sur le credo selon lequel la puissance croissante des technologies numériques, intelligence artificielle et robots combinés, répondra à tous nos manques, corrigera toutes nos faiblesses, éliminera mal être et passions pour vivre au paradis le plus longtemps possible, allant même jusqu'à tutoyer l'immortalité.

L'âge d'or digital et des mégadonnées qui serviront à tout prévoir, tout connaître, tout faire et tout penser, brille déjà de tous les feux étincelants de ses puces en silicium. L'être de chair que je suis, bientôt réduit au stade de larve dans ses gesticulations brouillonnes et impuissantes, face au diktat imparable de la machine pensante, monstre impersonnel, sans idéal ni sentiments, maître de la nouvelle « digitocratie » totalitaire !

L'ère des « cyborgs »

On ne peut rester coi face à ceux qui clament à tout va que l'augmentation de l'homme est actée aux prix d'exemples comme l'utilisation du Viagra, de la chirurgie plastique, des vaccins ou de ces prothèses et objets connectés implantables dans nos corps biologiques. Oui, certains d'entre nous sont devenus des « cyborgs », mi-chair, mimachine confondues dans l'espoir de réparer un défaut physique, de compenser un handicap, de cicatriser une blessure ou de guérir une maladie. Il s'agit là de remettre l'homme malade en capacité de penser et d'agir comme avant, en recouvrant son autonomie et sa liberté d'être. Cette quête vers la réparation est noble. Aucun frein à la recherche ne doit alors ralentir la compréhension intime de qui nous sommes. Aucun principe de précaution ne doit nous empêcher d'élucider les mécanismes physiques, chimiques, biologiques et psychiques qui concourent à notre présence au monde. Tout autre est le passage de la réparation de l'homme blessé, mal formé ou malade, à l'augmentation de nos capacités cognitives et physiques brutes.

À quel titre accepterai-je cette intrusion dans mon intimité, et pour quoi faire ? Qui, finalement, a intérêt à me doper aux « anabolisants numériques » quand on m'interdit les substances biologiques en compétition sportive ? L'appât du gain et la domination suprême à terme, sous couvert du libre marché ? Nul ne répond, et le secret des grandes entreprises du numérique qui gèrent le monde depuis leur collection de data m'inquiète. Elles plaident la transparence pour les autres, mais surtout pas pour elles-mêmes.

Le « dataclysme » est en marche

L'immense collection des données qu'elles ont accumulées à partir de nos clics quotidiens, nourries aux algorithmes les plus complexes, nous transforme en marionnettes dont les grands plateformistes planétaires américains et chinois tirent les ficelles pour s'enrichir en nous poussant toujours plus dans une consommation subie. Le « dataclysme » est en marche. Et la vielle Europe éructe sans être capable de se mobiliser pour porter un projet non pas transhumaniste, mais panhumaniste, reliant les cultures sans les faire disparaître. Rien n'est dit de l'amour, du partage, de la relation interpersonnelle qui nous fait si différents de la machine, malgré nos fragilités, notre lenteur et nos manques. L'homme ne se réduit pas à une machine complexe dont on pourrait un jour découvrir la totalité des mécanismes. Il est ailleurs, dans cette insaisissable et unique capacité à dire non, à se lever contre la tyrannie, à se sacrifier pour un idéal, pour bouleverser l'Histoire.

Il est grand temps de réfléchir ensemble, à ces questions qui engagent aujourd'hui notre avenir personnel et collectif ; comme jamais. Si le réchauffement climatique est un problème, le « dataclysme » m'apparaît autrement plus dangereux et urgent à réguler. Je plaide pour l'ouverture d'une Conference of Parties du numérique, la COP digitale qui nous permette de tracer les lignes : jusqu'où ne pas aller trop loin au nom de l'humanité.

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Guy Vallancien est membre de l'Académie nationale de médecine, auteur de "Homo artificialis - Plaidoyer pour un humanisme numérique", Editions Michalon (2017).

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Commentaire 1
à écrit le 10/07/2017 à 15:24
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Merci beaucoup, ça fait plaisir de lire des spécialistes du sujet qui n'appartiennent pas au lobby du genre et bizarrement le son de cloche est tout autre. Et si à l'école on y parlait de la mort ? Peut-être que cela éviterait que les mégalo...

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