Danièle Thompson : « Il existe des dictateurs sur les tournages »

ENTRETIEN - La doyenne des réalisatrices françaises, qui présida la cérémonie des Césars en 2022, appelle à une prise de conscience mais rejette l’idée d’une cancel culture.
Danièle Thompson, réalisatrice
Danièle Thompson, réalisatrice (Crédits : © Laurent Vu/SIPA)

LA TRIBUNE DIMANCHE - Quel regard portez-vous sur le bouleversement que connaît le cinéma français ?

DANIÈLE THOMPSON - Il est absolument indispensable que les personnes qui ont été violées, agressées, abusées, menacées puissent parler et soient entendues. Ce qui me gêne, c'est qu'on ne parle que du monde du cinéma. Cette prise de conscience doit s'étendre à toutes les professions.

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Est-ce que certaines situations de tournage peuvent aggraver ce genre de comportements ?

Pour être certain d'avoir tous les angles, toutes les possibilités d'une scène au montage, le réalisateur peut être tenté d'aller toujours plus loin. Quand c'est mon père, Gérard Oury, qui réclame quarante prises à Louis de Funès, cela ne fait de mal à personne ! Mais quand il s'agit de scènes où l'on demande aux acteurs un abandon de leur pudeur, cela peut devenir un problème, surtout si ça concerne des jeunes femmes, sans parler des mineurs. Sur un tournage, le réalisateur est le maître absolu... Quand il continue d'exercer son pouvoir à l'extérieur, qu'il se sert de sa réputation et de son talent pour dominer, c'est dramatique. C'est intéressant de mettre en place des systèmes de protection, comme ce nouveau métier qu'est le coordinateur d'intimité. Mais j'aimerais rappeler que, quand il est respectueux, le rapport réalisateur-acteur est magnifique.

Ces dérives sont-elles propres à la génération active dans les années 1970 et 1980, plus permissive ?

Je crois que les hommes en général, depuis des siècles, se permettent des choses qui heureusement commencent à ne plus être tolérées. Il faut se rappeler qu'après Mai 68 tout a explosé : on se fichait de ce qui était légal ou non dans la sexualité. Le sexisme était présent dans tous les genres de cinéma, même « bon enfant » : quand vous revoyez les merveilleux films d'Yves Robert, avec un Victor Lanoux qui entre dans les douches des filles pour regarder entre leurs jambes... Ce qui faisait rire à l'époque est désormais insupportable. Tous les hommes de ce temps-là ne se comportent pas mal, mais ils ont été éduqués dans une atmosphère de domination, il y a donc un problème de génération évident. Même si l'actuelle n'est pas débarrassée de cette tendance.

Comment expliquez-vous que la prise de parole de Judith Godrèche soit mieux accueillie que celle d'Adèle Haenel il y a quatre ans ?

La société évolue, c'est très bon signe. Les livres de Camille Kouchner et de Vanessa Springora ont suscité une prise de conscience. En revanche, la cancel culture est problématique : je suis révoltée à l'idée que l'on puisse toucher à la littérature, empêcher la diffusion des films. Il faut plutôt réfléchir à une façon de contextualiser les choses, d'éduquer, de discuter. De même, concernant les nouvelles règles des Césars, je pense qu'interdire à un mis en examen d'être récompensé peut être problématique. C'est une atteinte à la présomption d'innocence. L'Académie des Césars ne doit pas se substituer à un tribunal.

Aviez-vous eu vent des agissements de Gérard Depardieu, Benoît Jacquot, Jacques Doillon ou même Alain Corneau ?

Non, je ne savais pas. Et concernant Alain Corneau, ce que je sais, c'est qu'il formait un couple merveilleux et tendre avec Nadine Trintignant et s'entendait magnifiquement avec Marie, sa belle-fille. Mais si une femme s'est sentie maltraitée, elle doit être entendue. Moi, j'ai été témoin de la formidable relation de travail entre Claude Pinoteau, réalisateur de La Boum, et Sophie Marceau. Sur un tournage, c'est le metteur en scène qui donne le ton : Claude était un homme d'une grande droiture, d'une grande douceur... Mais il existe aussi des dictateurs comme Henri-Georges Clouzot, qui faisait régner la terreur sur ses plateaux et était abusif avec les femmes.

En 2010, vous avez signé une pétition de soutien à Roman Polanski. Le referiez-vous ?

J'ai décidé de ne plus jamais signer de pétition. Les perceptions changent si vite. Roman Polanski a commis un acte impardonnable et il l'a reconnu. On peut rappeler que sa victime l'a pardonné. Ce qui est intéressant, c'est de constater à quel point 2010 paraît loin aujourd'hui. ■

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Commentaire 1
à écrit le 18/02/2024 à 8:57
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Vous ne dites pas l'essentiel madame, avec votre expérience vous avez du en avoir vu et entendu beaucoup plus. Les tyrans dans le cinéma ça on le sait et c'est pas grave.

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