L'économie, une science inutile ?

A condition de prendre en compte et de mesurer correctement la nouvelle économie, la science économique a encore beaucoup à apporter. Par Vincent Lorphelin, Christian Saint-Etienne et Michel Volle, co-Présidents de l'Institut de l'Iconomie
Les outils statistiques actuels sont obsolètes: ils mettent au même plan Iliad-Free, qui crée 500 emplois par an, dans le même sac qu'Orange qui en détruit 5000.

Les erreurs de jugement abondent. Alain Minc prédisait une diminution de 30% des effectifs dans la banque-assurance à cause de l'informatisation : ils ont augmenté de 25%. C.Frey et M.Osborne, de l'Université d'Oxford, prédisent la destruction de 47% des emplois à cause de la robotisation : l'Allemagne compte cinq fois plus de robots que la France sans que cela ait eu de conséquence négative pour l'emploi, au contraire. Jeremy Rifkin anticipe la quasi-gratuité de tous les produits à cause de l'économie collaborative : l'investissement initial pour un nouvel Airbus, un smartphone ou un logiciel est de plus en plus lourd. Jean-Marc Daniel estime que nous vivons dans une société de concurrence parfaite à cause des comparateurs de prix : des produits innovants comme Intel 386, Windows ou iPhone ont créé des monopoles temporaires. Les discours des économistes les plus médiatiques sur la croissance, la productivité, l'emploi ou la concurrence sonnent de plus en plus faux.

Une politique économique devenue erratique

Privée d'une doctrine économique solide, la politique économique est devenue erratique. Arnaud Montebourg était interventionniste, Emmanuel Macron est adepte du laisser-faire. Jacques Chirac cherchait avant toute décision la preuve que « c'était bon pour l'emploi ». Faute de preuve, François Hollande ne peut qu'espérer une « inversion de la courbe du chômage ».

Il faut dire à la décharge des économistes que les outils de l'observation statistique sont obsolètes. Ils ont été construits dans l'après-guerre pour décrire une économie qui s'efforçait de sortir de la pénurie, et dans laquelle l'essentiel de la création de valeur s'évaluait selon le volume de la production industrielle. Mesurant des flux monétaires et des quantités physiques, et non la qualité des produits, ils ne distinguent pas aujourd'hui un téléphone d'un smartphone, un transport en voiture d'une Blablacar, un achat en supermarché de celui à la Ruche qui dit oui. Il produit ainsi des agrégats sectoriels inopérants, et il met Iliad-Free, qui crée 500 emplois par an, dans le même sac qu'Orange qui en détruit 5000.

Tirer les conséquences de l'informatisation

Il y a de quoi entreprendre la révision des hypothèses sur lesquelles s'appuie la science économique, mais la dispute entre les économistes tourne à la querelle corporatiste entre des « hétérodoxes » et des « orthodoxes » représentés respectivement par le directeur d'études à l'EHESS André Orléan et le prix Nobel Jean Tirole. Pourtant, les principaux modèles de l'économie sont robustes et un nouveau consensus scientifique serait possible, à condition de fonder ces modèles, comme le font ceux qui étudient l'iconomie, sur des hypothèses qui tireraient les conséquences de l'informatisation des activités économiques.

Les résultats coïncident alors étonnamment avec la réalité : le rendement d'échelle croissant engendre de lourds investissements et exclut la tarification au coût marginal (c'est le profit marginal qui est utilisé), ce qu'illustre le prix élevé de l'iPhone. Le régime de la concurrence monopolistique introduit une économie de la qualité, ce qu'illustre le succès commercial des VTC face aux taxis. L'économie de l'innovation se fonde sur un socle massif de propriété intellectuelle, ce qu'illustre la guerre des brevets Apple-Samsung. Le "cerveau d'oeuvre" remplace la main d'œuvre, ce qu'illustre l'organisation des entreprises "libérées" comme la biscuiterie Poult. L'industrialisation des services atomise la segmentation de l'offre, ce qu'illustre la taille impressionnante du catalogue d'Amazon. La mesure permanente de l'utilité des produits finals ou intermédiaires généralise une personnalisation de masse, ce qu'illustre la diversité des prix d'un billet d'avion acheté en ligne.

La science économique est certes bousculée par la révolution en cours, mais quelques ajustements de ses hypothèses permettent d'éclairer les conditions matérielles de notre vie en société et d'en piloter de nouveau l'efficacité.

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Commentaires 6
à écrit le 18/10/2016 à 16:42
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Mais qui arrivera à comprendre que notre économie existe grace à l'énergie. Pourquoi les économistes oublient de tenir compte de l'énergie, comme si nous étions au moyen age. On a le travail, le capital ET l'énergie.

à écrit le 18/10/2016 à 14:12
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Les économistes oublient la notion d'énergie. L'économie, c'est le travail, le capital et l'énergie. L'énergie permet d'utiliser l'outillage (le capital) pour produire des richesses et de compléter ou réduire le travail. Le travail et l'énergie sont ...

à écrit le 18/10/2016 à 11:47
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"d'en piloter de nouveau l'efficacité" Je ne pense pas que la science économique aie été efficace à n'importe quelle moment de son histoire, parce que ce n'est pas une science c'est simplement l'étude des mouvements d'argents qu'il n'est pas poss...

le 18/10/2016 à 14:07
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Je partage votre avis: l'économie n'est absolument pas une science, au sens de la définition du mot "science": il n'y a pas de lois démontrées de manière rigoureuse. C'est d'ailleurs tout le contraire: chaque résultat est expliqué de manière différen...

le 18/10/2016 à 15:51
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C'est vouloir en faire une vérité incontestable alors que justement ce qui fait son charme à l'économie c'est son mouvement permanent et le fait que tout peut changer à tout moment. C'est une matière complètement instable, totalement imprévisible...

le 18/10/2016 à 16:27
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Oui et non. Les équations sont celles de l'analyse stochastique donc manipulant des variables aléatoires et des grands nombres comme en mécanique quantique ou en météorologie. Il est vrai par contre que nonobstant l'impossibilité de connaître la traj...

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