« L'impact » ne peut-être la seule réponse à la « quête de sens » des salariés

OPINION. Grâce à la loi Pacte, le nombre d'entreprises à mission est passé de 60 à 960 en moins de 3 ans. Mais aujourd'hui il faut aller plus loin, car la question du sens est plus complexe qu'il n'y parait et elle se joue d'abord à l'échelle individuelle. Par Yohann Marcet, directeur général du pôle « Expertises et impact » du Groupe SOS.
Yohann Marcet.
Yohann Marcet. (Crédits : DR)

La loi Pacte est à l'origine d'une révolution. Partout fleurissent les entreprises qui se saisissent de l'opportunité offerte par cette modification du code civil pour travailler leur « raison d'être » et leur « mission » présentées comme la réponse à la nouvelle « quête de sens » des collaborateurs. En moins de 3 ans, le nombre d'entreprises à mission est passé de 60 à 960.

A en croire Jean-Dominique Senard dans son discours prononcé à HEC en septembre 2021 la nouvelle raison d'être de Renault aurait été un formidable vecteur d'engagement des collaborateurs répondant à cette nouvelle « volonté de sens ».

La mobilisation des étudiants des grandes écoles

Ce lien entre sens et impact, c'est ce que tend à illustrer la mobilisation récente des étudiants des grandes écoles (AgroParisTech, Sciences Po, Polytechnique, HEC) qui refusent de travailler pour des entreprises qui ne prendraient pas en compte l'enjeu environnemental. C'est ce que corrobore également une étude publiée l'an dernier par Make Sense et Audencia qui montre que pour 57% des répondants, donner du sens à son travail, c'est avant tout contribuer aux enjeux de la transition écologique et sociale.

Pourtant depuis les années 1930 et les travaux du psychiatre et philosophe Viktor Frankl, nous savons que la question du sens est plus complexe qu'il n'y parait et qu'elle se joue d'abord à l'échelle individuelle. Elle dépend de l'histoire, de la culture et des valeurs de l'individu qui évoluent dans le temps, autant que de ses conditions objectives de travail qui fluctuent en fonction des situations. Elle s'entend à l'échelle du poste de travail et dans le cadre de l'équipe proche peut-être même plus qu'au travers de l'action de l'organisation dans son ensemble.

Ce que montrent aussi toutes les études publiées sur la question du sens au travail depuis deux décennies, aux Etats-Unis par le Pr Michael Steger, au Canada par la Pr Estelle Morin et en France par les équipes de Jean-Luc Bernaud, Pr au CNAM, c'est que le sens est multiforme et multifactoriel. Si l'individu peut trouver du sens à travers la réalisation d'un projet qui le dépasse, le sens est également lié aux tâches du quotidien, aux interactions humaines, à la manière dont l'individu comprend les objectifs et l'utilité de son travail. Il est lié au déploiement et à l'utilisation de ses talents, à la conciliation de sa vie pro et perso. Il est aussi fonction de la manière dont l'individu projette sa carrière. Poser la question du sens du travail, c'est interroger le regard que porte l'individu sur son travail à l'échelle de son poste, de son équipe et de l'organisation dans son ensemble en fonction de ses valeurs les plus essentielles.

Alors oui cette dimension de l'impact est importante et il faut la prendre en compte. Mais elle n'est pas suffisante. Si les infirmières sont aujourd'hui si nombreuses à être touchées par la crise de sens, est-ce à dire que leur impact ne serait pas suffisant ou que leur raison d'être ne serait pas assez explicite ? Si l'éducation nationale peine à recruter des professeurs, est-ce pour les mêmes raisons ?

Que dire à toutes les personnes qui travaillent pour l'Etat ou dans le monde associatif et qui sont aujourd'hui en burn-out, conséquence du rythme de travail effréné qui leur a été imposé ?

Les grandes déclarations ne sont pas suivies d'effets

L'idée selon laquelle la prise en compte de l'impact permettrait à elle seule de répondre à cette « quête de sens » est une erreur. Surtout quand les grandes déclarations ne sont pas suivies d'effets. Prendre en compte l'ensemble des dimensions du sens au travail, être à l'écoute des collaborateurs, de leurs valeurs, de leurs aspirations les plus essentielles en fonction de leurs capacités ; faire le lien entre les motivations individuelles et collectives ; donner la possibilité aux managers de prendre en compte ce qui fait sens à l'échelle individuelle ; réfléchir collectivement mais aussi et surtout individuellement à sa raison d'être, à son impact ; tel est le chemin plus complexe qu'il n'y parait qui permettra de répondre à cette question du sens. Une question qui depuis des siècles ne cesse de nous questionner.

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