L'intelligence artificielle, un levier de rentabilité trop souvent inexploité par les start-ups françaises

OPINION. La perspective d'un ralentissement économique voire d'une récession va peser sur le financement des start-ups, en particulier celles qui sont loin de la rentabilité. Si un mouvement de consolidation est à prévoir, ce nouveaux contexte va aussi être aussi propice aux opportunités pour les start-ups les plus robustes, notamment si elles utilisent les potentialités de l'intelligence artificielle, qui restent encore à ce jour largement sous-exploitées. Par José Iván García, PDG de Substrate AI, et Christopher Dembik, économiste et membre du conseil d'administration de Substrate AI.
(Crédits : Pixabay / CC)

Sur le premier semestre 2022, les start-ups françaises ont levé 8,4 milliards d'euros (baromètre EY publié le 17 juillet). C'est nettement mieux que lors des six premiers mois de l'année 2021 (+63 %). Malgré le contexte qui devient plus défavorable (rareté de la liquidité, nécessité de concentrations sur certains segments de marché et fonds de capital-risque plus exigeants sur la rentabilité etc.), le montant total levé l'an dernier (11,57 milliards d'euros) a toutes les chances d'être dépassé cette année. La forte hausse du premier semestre cache toutefois d'importantes disparités : les fonds sont plus sélectifs (les business plans sont scrutés de plus près, par exemple) et la liquidité s'est surtout concentrée sur quelques grosses opérations (Qonto dans les services financiers, EcoVadis dans l'évaluation des performances de la responsabilité sociétales des entreprises ou encore Exotec dans la robotique).

Exigence de rentabilité et vague de M&A

Les start-ups ne rencontrent pas encore de réelles difficultés à lever de l'argent. Néanmoins, les investisseurs demandent des comptes. C'est une nouveauté. Beaucoup de belles pépites de la fintech française sont sous pression. C'est un secret de polichinelle. Elles ont recruté à tour de bras. Maintenant, les investisseurs souhaitent un retour sur investissement rapide. Nous assistons à un phénomène d'expansion-contraction qui est assez typique du monde des start-ups. Pendant des années, beaucoup d'entre elles ont brûlé du cash sans se soucier de la rentabilité. La raréfaction de la liquidité (qui résulte à la fois de la dégradation économique actuelle et du durcissement monétaire des banques centrales qui augmente le loyer de l'argent) les contraint à renouer avec des notions financières qu'elles jugeaient désuètes. On a coutume de dire que les investisseurs achètent le futur pas le passé ni le présent pour justifier à la fois l'absence d'exigence de rentabilité et les niveaux de valorisation parfois stratosphériques. Le moins que nous puissions dire, c'est que le présent se rappelle désormais durement à tous les acteurs de l'écosystème (sous la forme de la crise qui frappe notre économie).

Nous ne sommes pas encore entrés dans la phase de contraction - qui va être marquée par des licenciements massifs, des reports d'embauches et des baisses d'investissement. Cela pourrait commencer à partir de septembre et s'accentuer en début d'année prochaine en fonction de la durée de la crise. Pour les start-ups qui sont les mieux accompagnées (soit parce qu'elles se sont concentrées assez tôt sur la rentabilité soit parce qu'elles ont suffisamment levé d'argent sans le gaspiller pour passer la tempête), la période qui s'ouvre est une aubaine. La baisse des valorisations (combien de licornes restera-t-il en France après cette étape ?) va provoquer une vague importante de fusions acquisitions (M&A). Le processus a déjà commencé (Qonto a racheté son concurrent allemand Penta). Cela a deux avantages majeurs : consolider le marché afin d'atteindre une taille critique (en d'autres termes, créer de la valeur) et restructurer en interne sans que ce soit officiellement à cause de la crise mais plutôt du fait du rachat (on réduit les fameux doublons).

Une mauvaise nouvelle est une bonne nouvelle

Les prochains mois vont être difficiles pour la start-up nation. Mais cette mauvaise nouvelle est en réalité une bonne nouvelle. On vous explique. Pendant trop longtemps, les start-ups ont pensé que la rentabilité était uniquement un sujet pour la vieille économie (les PME, les ETI, etc.). C'était faux, évidemment. Une économie de bulle n'est pas saine (à certains égards, la start-up nation c'est aussi ça. Les bulles ont été accentuées avec la crise de la Covid puisque les banques ont été contraintes - le terme est choisi volontairement - de distribuer à tour de bras des PGE à des start-ups qui n'en avaient pas besoin ou ne seraient jamais en mesure de rembourser). Une fois le processus d'épuration terminé, nous allons renouer avec les bons vieux fondamentaux économiques. Le sujet de la rentabilité va s'imposer. Il existe plusieurs solutions pour être rentable dans le contexte économique et financier actuel : les fusions-acquisitions quand c'est possible (mais l'intégration de l'entité rachetée est souvent complexe et prend plusieurs années en général), la rationalisation des coûts (par exemple, mettre en place des indicateurs de performance pour mesurer la productivité), couper les lignes de produit les moins rentables (c'est ce qu'on fait plusieurs grandes entreprises ces derniers mois face à la hausse du coût des intrants) ou investir dans les nouvelles technologies afin de réduire les coûts et d'augmenter l'efficacité opérationnelle à long terme.

L'intelligence artificielle au secours des start-ups

C'est là qu'intervient l'intelligence artificielle (AI). Environ 80 % à 85 % des start-ups utilisent des logiciels de gestions de données plus ou moins sophistiqués (par exemple dans les procédures de KYC pour Know Your Client, ou dans le cadre de la lutte anti-blanchiment afin de comparer les données fournies. C'est ce qu'on appelle la RegTech, pour Technologie Réglementaire). Mais seulement 5 % d'entre elles ont réellement recours à l'apprentissage automatique (machine learning, en anglais). C'est très (trop) peu. Il existe tout un monde des possibles qui n'est pas exploité, à ce stade. Les logiciels de gestion des données ne permettent pas aujourd'hui de cibler avec précision les leads (canal d'acquisition) ou de fidéliser les clients en leur proposant les produits financiers qui leur sont les plus adaptés (améliorer l'expérience-client).

Heureusement, plusieurs entreprises dans le domaine de l'IA on fait d'impressionnants progrès dans le domaine. La plateforme Watson d'IBM peut analyser les réseaux sociaux d'une start-up et de ses concurrents afin de créer un ou plusieurs profils-type du client cible (dans beaucoup de cas, les start-ups sont incapables de connaître avec précision leur client type avec les données dont elles disposent). Cela peut permettre d'identifier les influenceurs qui peuvent constituer des partenaires dans le cadre d'une campagne marketing ciblée. C'est une application concrète, par exemple. L'entreprise TradeDesk (cotée au Nasdaq) ou encore l'entreprise Substrate AI (cotée à Madrid) ont développé une approche similaire. TradeDesk analyse plus de 11 millions d'opportunités d'investissement publicitaire afin de savoir quelle approche va être la plus efficace pour cibler une audience précise (ce qui implique, au préalable, de définir avec précision quelle est l'audience). Substrate AI a développé une technologie IA qui permet de cibler quelles sont les entreprises européennes les plus aptes d'avoir recours à des services de couverture du taux de change (sur un panel de près de 23 millions d'entreprises).

A court terme, investir dans la technologie, et notamment dans l'IA, implique un coût. Intuitivement, on aurait tendance à reporter cet investissement à plus tard en période de crise. Pendant que vous faites cela, vos concurrents auront certainement une approche différente, ce qui va leur faire gagner des parts de marché à terme. Quand on reporte des investissements (même en période de vents contraires), cela peut conduire à hypothéquer l'avenir de son entreprise. On le sait, rattraper son retard est toujours difficile. Il faut appréhender la crise actuelle comme une opportunité pour faire les bons choix technologiques (étudier la faisabilité d'une approche basée sur l'IA), rationaliser ses coûts et aussi renouer avec l'essence du capitalisme- la rentabilité (ce n'est pas un gros mot, c'est nécessaire pour créer de la valeur, la partager et la redistribuer !). Cela permettra de repartir sur des bases plus saines, en particulier dans l'écosystème start-up français.

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Commentaires 2
à écrit le 02/08/2022 à 22:29
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"Néanmoins, les investisseurs demandent des comptes. C'est une nouveauté !  Pendant des années, beaucoup de star-ups ont brûlé du cash sans se soucier de la rentabilité! " (mdr) Je dirais que c'est la raison d'exister de certaines boîtes fumeuses...

à écrit le 02/08/2022 à 20:43
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On cherche a nourrir en permanence la "politique de l'offre" par le biais d'innovation qui est a l'encontre de la sobriété, de la résilience et donc du progrès réel!

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