LA TRIUBUNE DIMANCHE- Vous avez été l'une des premières à alerter sur la crise du logement il y a près d'un an. Comment jugez-vous la situation actuelle ?
VERONIQUE BEDAGUE- J'avais prédit à l'époque que cette crise serait d'une grande violence. Plus personne ne peut malheureusement nier cette réalité aujourd'hui. Le volume des prêts immobiliers accordés s'est effondré de 50 % en deux ans. Le point le plus bas en une décennie a même été atteint en novembre 2023. Tous les experts s'en inquiètent désormais. Jusqu'au président de la République, qui l'a évoqué dans sa récente conférence de presse.
La hausse des taux d'intérêt en est-elle la seule responsable ?
Elle joue en tout cas un rôle majeur. Même si, comme pour toute crise de cette ampleur, les facteurs sont multiples. Souvenons-nous qu'en janvier 2022 les taux d'intérêt à vingt-cinq ans se situaient aux alentours de 1 %. Moins de deux ans plus tard, en décembre 2023, ils atteignaient 4,5 ! Or un mouvement de taux à la hausse ou à la baisse de 0,1 % correspond à une perte ou un gain de 1 point de pouvoir d'achat pour les clients. Soit 10 points de pouvoir d'achat supplémentaires avec une baisse de 1 point de taux d'intérêt. C'est énorme !
Quand pensez-vous que les taux vont baisser ?
Tous les acteurs du secteur attendent une baisse cette année. Certaines banques font déjà des efforts. Mais il est probable que rien ne se produira au mieux avant le mois d'avril. En attendant, les investisseurs institutionnels se détournent, faute de rendement à la hauteur. Le problème est le même pour les investisseurs particuliers. Pour recréer un marché de la location privée, il faut améliorer le rendement de l'investissement, d'autant que la suppression du dispositif fiscal Pinel n'améliorera pas la situation. Et tant que l'offre restera inférieure à la demande, l'ajustement par les prix ne pourra pas s'effectuer correctement.
Quelles sont les conséquences de la crise du marché de l'immobilier ?
Le logement est un écosystème complexe, aux ramifications innombrables. Aujourd'hui, le marché est gelé. Plus rien ne bouge. Les Français déjà propriétaires de leur logement abandonnent tout nouveau projet d'acquisition, à cause justement de taux trop élevés. Tandis que les acquéreurs potentiels renoncent à leur projet faute de financement. Ce qui entraîne inévitablement une atonie totale du marché locatif, avec des conséquences très lourdes, y compris probablement le développement d'un système de locations hors marché. La crise du logement est un ralentisseur très puissant pour tous ceux qui veulent se mettre en mouvement, d'une façon ou d'une autre. Pour les jeunes en premier lieu.
Pourquoi ?
Parce que c'est toute leur vie qui s'en trouve affectée. Le sujet de la chute de la démographie en France est souvent abordé, or le logement est au cœur de cette problématique. Difficile d'envisager de faire un enfant sans surface disponible pour que la famille puisse y vivre dans de bonnes conditions. Et comment réfléchir à un deuxième - ou à un troisième - enfant s'il devient impossible d'accéder à un logement plus grand, puisque le coût en serait astronomique ? Cette crise a un effet très direct, mais pourtant peu mentionné, sur la natalité. On ne fait pas durablement dormir un enfant, a fortiori plusieurs, dans la salle à manger. Le manque de réaction face à cette crise, sa non-prise en compte par les pouvoirs publics traduisent avant tout un manque d'attention à la place des jeunes dans notre société. Combien d'étudiants doivent actuellement renoncer à leur projet de formation faute de savoir où habiter pendant leurs cursus, alors que la construction de nouvelles résidences étudiantes n'est pas toujours bien accueillie par les élus ? Combien sont contraints de rester de plus en plus longtemps au domicile de leurs parents ? On sait très bien que ce phénomène s'aggrave d'année en année. Mais la paralysie du marché de l'immobilier, neuf, ancien, en location ou à l'achat, entraîne également des répercussions sur celui de l'emploi.
Lesquelles ?
La réindustrialisation du pays est un thème mis en avant depuis plusieurs années, avec raison. À condition toutefois de se soucier de l'immobilier. La construction de gigafac-tories, comme à Dunkerque, implique que les futurs salariés puissent habiter non loin de leur futur lieu de travail. Sinon, comment recruter la main-d'œuvre nécessaire ? Certains entrepreneurs prennent désormais la décision de construire des logements eux-mêmes, faute de solution accessible à proximité de leurs sites. Quand on sait que près de la moitié des entreprises disent connaître des difficultés de recrutement, négliger de résoudre la question du logement est stupéfiant. Or les constructions de logements neufs ont chuté de 22 % entre 2022 et 2023, tandis que les permis de construire accordés ont diminué de 24 % pendant la même période.
Quelles mesures avez-vous prises chez Nexity pour faire face à la crise ?
Nous avons signé un accord de partenariat avec Bridgepoint, concernant nos activités de services aux particuliers - syndic de copropriété, gestion locative... - en décembre. Une décision qui permet d'alléger la dette du groupe, dont le coût s'est alourdi. Tout en poursuivant les synergies possibles dans ce secteur très porteur. Nous investissons parallèlement dans les métiers du futur, un domaine en plein essor, dont la réhabilitation. Nous y sommes très présents, que ce soit pour transformer d'anciens parkings en immeubles d'habitation ou des bureaux en logements. Mais la réhabilitation concerne aussi les entrées de villes. Une activité où nous avons signé un accord en mai 2023 avec Carrefour : nous avons 76 projets en cours, ce qui représente environ dix ans de business à venir. Nous poursuivons aussi nos activités dans la décarbonation de l'immobilier, avec Top Hat, pour accélérer l'offre de construction modulaire. Les investissements dans l'énergie solaire se développent eux aussi très vite, grâce à notre filiale spécialisée dans cette activité.
Outre les hausses de taux, le secteur a subi les effets de l'inflation. Où en est-on aujourd'hui ?
Les coûts de production doivent baisser. Je me bats pour cela en interne, ainsi que pour diminuer les frais généraux. Les prix commencent à fléchir dans le gros œuvre, mais pas ceux du foncier : il reste rare, à cause entre autres des mesures sur la non-artificialisation des sols.
Les difficultés du marché auront-elles des conséquences pour Nexity ?
Nous devons étudier toutes les hypothèses, y compris, compte tenu de l'effondrement du marché ces deux dernières années, celle d'un PSE. Notre objectif consiste à nous adapter à la nouvelle donne de marché et à nous transformer.
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