La faute aux taux !

CHRONIQUE. Trop « taux » pour racheter des actions ! Si les marchés d'actions baissent autant, c'est parce que les taux montent autant. Jusqu'à quand ? Tant que les Banques centrales continueront d'agiter le chiffon rouge inflationniste, il sera trop taux pour racheter des actions. Par Karl Eychenne, chercheur chez Oblomov & Bartleby.
(Crédits : BRENDAN MCDERMID)

Les taux ont brisé leur plafond de verre. Depuis fin août, les taux d'intérêt à 10 ans français ont augmenté de 3 à 3,35 %, une première depuis 2012. Les taux à 10 ans américains ne sont pas en reste avec une hausse de 4,1 à 4,5 %, il faut remonter à la crise des subprimes de 2008 pour retrouver de tels niveaux. Ces taux impressionnent, le pas assuré de la hausse également. À l'origine de cette saignée obligataire, le diagnostic livré par les Banquiers centraux :

« Les taux d'intérêt directeurs devraient rester durablement élevés, jusqu'à preuve du contraire ».

Les investisseurs avaient pourtant le secret espoir qu'un signal monétaire plus apaisé serait envoyé pour 2024. Ce fut une erreur.

Les investisseurs obligataires ont donc bien entendu le message des Banquiers centraux, même s'ils ne l'ont pas compris. Ils l'ont bien entendu puisque les taux sont en hausse. Mais ils ne l'ont pas compris puisque la seule chose qui fait monter les taux est la fameuse prime de terme. La hausse des taux n'a rien à voir avec une hausse de l'inflation anticipée ou une hausse du taux directeur anticipé pour les prochaines années.

La hausse des taux longs ne s'explique pas par une révision haussière des anticipations, mais par une hausse de l'incertitude des investisseurs : la hausse de la prime de terme. En pratique, cette prime de terme est un peu le fourre-tout de l'investisseur lorsqu'il n'arrive pas à expliquer les mouvements de taux. En théorie, la hausse de la prime de terme signifie que l'investisseur exige un supplément de rendement plus élevé pour accepter de détenir une obligation de longue maturité plutôt que de courte maturité.

La coupe est pleine pour les actions

Mais, quelle que soit la nature des tensions sur les taux, la coupe est pleine pour les marchés d'actions. Taux, c'est trop ! En baisse de près de -5% depuis la rentrée pour le marché américain, -4% pour le marché euro. La complaisance des marchés d'actions est légendaire, mais elle a des limites.

Cette complaisance a d'ailleurs un petit nom, il s'agit de la prime de risque actions, l'équivalent de la prime de terme citée plus haut pour les obligations. Intuitivement, on imagine qu'un investisseur complaisant sera peu exigeant sur le prix d'achat d'une action ; en théorie cela signifie qu'il exigera une prime de risque faible pour accepter de détenir une action plutôt qu'un actif sans risque. Mais lorsque la prime de risque atteint des niveaux trop faibles, stop. L'investisseur complaisant veut bien faire le dos rond, mais point trop n'en faut. Nous en sommes là.

Aujourd'hui, la prime de risque action ne semble plus en mesure de baisser davantage, elle ne peut donc plus compenser l'impact négatif des tensions sur les taux. En théorie, le marché d'actions peut très bien encaisser une hausse de 1% sur les taux, si dans le même temps la prime de risque exigée par l'investisseur baisse de -1% : la valorisation des actions reste alors inchangée, le marché fait du surplace.

Mais lorsque les taux continuent de monter, et que la prime ne peut plus baisser, alors le marché d'actions est sanctionné : sa valorisation est dégradée. Là encore, l'intuition peut nous aider : le coût de financement d'une entreprise fait la somme du coût de l'argent (taux) et de la prime de risque. Même si la prime ne bouge pas, la hausse du coût de l'argent suffit à faire monter le coût de financement de l'entreprise. Sa santé financière est alors fragilisée.

Pour résumer, nous avons donc des taux qui montent, et des marchés d'actions qui ne peuvent plus supporter ces hausses de taux. Problème, on ne voit plus très bien ce qui pourrait arrêter ces tensions sur les taux, si ce n'est un changement de ton des Banquiers centraux. Mais de changement de ton, il ne semble pas question.

En effet, le Banquier central ne parle plus d'inflation objective, mais de son ressenti inflationniste. Le Banquier central imagine des scénarios catastrophes où l'inflation galopante finit par distancer le taux directeur, où le marché du travail se retrouve sans travailleurs et doit attiser les salaires, où les prix des matières premières sont choqués par de multiples crises de nature géopolitique, climatique, ou sanitaire.

Tel Anchise, le Banquier central aveugle et voyant

La balle est dans le camp des Banquiers centraux donc, mais rien ne présage d'un bon usage.

« Cela ne l'inquiète pas que ses idées ne soient pas vraies, il les utilise comme des tranchées pour la défense de son existence, comme des épouvantails pour effrayer la réalité », José Ortega y Gasset.

Le sentiment d'un avenir confisqué se raffermit chez les investisseurs obligataires et actions. La politique monétaire semble bien trop nébuleuse pour imaginer un avenir serein aux investisseurs. Les Banquiers centraux vont même plus loin, puisqu'ils promettent un horizon aride aux confins incertains : le fameux plateau de taux élevés pour une durée indéterminée. Le Banquier central est tel Anchise, aveugle et voyant. Incapable de voir et pourtant pointa du doigt l'horizon.

Mais il nous faut quand même relativiser toute cette affaire. Les marchés d'actions restent en hausse de près de 10% depuis le début de l'année. Et les taux d'intérêt réels sont encore négatifs dans les plus part des économies. Autrement dit, l'investisseur n'est peut-être plus en très grande forme, mais on ne peut pas dire que le destin s'acharne contre lui. Le pessimiste dira alors que le pire est donc encore possible. L'optimiste rachètera des actions.

« Les marchés ne peuvent jurer de rien, mais il faut bien parier quand même », pour paraphraser Dorian Astor.

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Commentaire 1
à écrit le 30/09/2023 à 9:01
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Avec deux minuscules et grotesques leviers pour influer sur l'économie financiarisée et donc totalement figée tout ceci n'est que de l’esbroufe exposant une classe politique mondiale à la botte de ceux qui possèdent et détruisent le monde en ronflant...

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