La guerre navale qui vient...

OPINION. Le plus important rassemblement naval des flottes alliées de l’OTAN depuis la césure covid-19 s’est terminé vendredi dernier au sud de Lisbonne. Que nous dit-il ? Il dessine l’adéquation des programmes d’armement des nations de l’Alliance aujourd’hui aux besoins opérationnels des flottes de demain, dans une économie de guerre qui impose agilité, inventivité et anticipation aux marines nationales comme aux industriels. En combinant technologies futures et prospective capacitaire dans les prochaines simulations étatiques, notamment la PLM française. Par Patrice Cros, directeur général, Premier Cercle™ (Bruxelles), think-tank sur les stratégies de propriété industrielle (aéronautique, spatial, défense).
Le contexte actuel de recrudescence de belligérance en Europe et l'usage de plus en plus intensif des drones posent de multiples problèmes de sécurité et sécurisation des sites sensibles (infrastructures critiques portuaires, sites militaires et stratégiques, convois) (Patrice Cros, directeur général, Premier Cercle™, think-tank sur les stratégies de propriété industrielle (aéronautique, spatial, défense).
"Le contexte actuel de recrudescence de belligérance en Europe et l'usage de plus en plus intensif des drones posent de multiples problèmes de sécurité et sécurisation des sites sensibles (infrastructures critiques portuaires, sites militaires et stratégiques, convois)" (Patrice Cros, directeur général, Premier Cercle™, think-tank sur les stratégies de propriété industrielle (aéronautique, spatial, défense). (Crédits : DR)

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© Marine  nationale (Youtube - copyright en cours...)

Rassemblant 900 civils et militaires, ainsi que 600 membres d'équipage, le double Operational Exercise (OPEX) imbriqué REPMUS [1] / DYMS22 [2] mené par les services d'expérimentation opérationnels de la marine portugaise et le MUSI [3] de l'OTAN, s'est déroulé fin septembre en baie de Tróia sans l'environnement océanique idéal  du canyon sous-marin de Sétuba à 50 km au sud de Lisbonne [4]. Autour de 22 nations [5], il avait un double objectif : penser le combat naval du futur, et tester opérationnellement matériels, véhicules et systèmes qui le dessinent aujourd'hui.

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En effet, là où les technologies se déployaient contractuellement sur 10 années, 2 ans sont dorénavant utiles ad lib pour concevoir et déployer des technologies de rupture. De plus, les programmes d'armement se complexifient en raison d'une sécurité et d'une défense qui doivent se penser à l'échelle européenne mais se construit autour de systèmes nationaux différents, et entre des acteurs souvent concurrents. Par ailleurs, les adversaires intègrent rapidement des technologies duales, à bas coût, c'est pourquoi il est plus que jamais essentiel de pouvoir décliner de la technologie à son usage en mer, de techniques civiles éprouvées (éolien, pétrolier off-shore) à son usage militaire maîtrisé, de l'innovation technologique à sa généralisation car la technologie sera plus que jamais facteur de puissance dans les conflits à haute intensité.

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La protection portuaire ou la surveillance des côtes (protection des forces, situations maritimes sensibles, opérations d'escorte, contre-menace ou logistique médicale, approvisionnement logistique ou énergétique critiques) peut s'opérer, par exemple, par le biais de nombreux systèmes classiques (navires, avions, radars, sonars, sémaphores...) mais seul le recours à des moyens nouveaux dans un ensemble capacitaire holistique (moyens satellitaires, drones de longue endurance, drones embarqués, ballons stratosphériques, IA et informatique dématérialisée partagée de situation maritime) peut assurer l'avantage sur l'ennemi.

Quels ont été les effets recherchés ?

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© Photo : OTAN FRAN Stéphane Dzioba

Les effets recherchés de ces manœuvres d'envergure ont été de s'assurer tout d'abord, de l'interopérabilité des systèmes sans pilote sur la base d'un réseau Command & Control de toutes les nations partie-prenantes, par essais et erreurs, autour de scénarios fictifs de conflits armés avec pour objectifs la surveillance, la collecte de renseignements, l'interdiction, la protection des forces, les opérations amphibies et la lutte anti-sous-marine. Expérimenter ensuite les nouvelles technologies émergentes (senseurs, C3, IA autonome) en surface, dans les airs et sous l'eau en fournissant en temps réel des données météorologiques et océanographiques au centre de commandement à Lisbonne. Tester enfin le concept de barrière multinationale UASW (Lutte Anti-Sous-marine sans pilote) et évaluer les MCM (Mines Contre-Mesures) depuis le centre opérationnel de contre-mesures établi sur le port de Sesimbra.

Depuis le Forte do Cavalo (Portugal) précisément, Thales a confirmé l'interopérabilité de son système M-Cube MiMap de command and control (C2) de lutte anti mines avec les composantes d'autres industriels et avec les standards de l'OTAN. Le système de gestion de missions MCM, associé à l'outil d'analyse de missions MiMap, réduit la charge cognitive des commandants et des opérateurs, ce qui leur permet de prendre des décisions efficaces dans un environnement contraint.

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Le commandant de la frégate de surveillance maritime portugais Carlos I, Pedro José Clara Pais Aires de Castro, a dirigé l'exercice d'utilisation de drones maritimes sans pilote. [© MIKA HORELLI]

Sous l'eau

Sous l'eau, pas de wifi, pas de 5G, pas de fibre optique. Tout l'enjeu est de s'approprier des données en milieu hostile, sous une véritable clé de voûte : un bâtiment « invisible », silencieux, non-magnétique. Et d'effectuer des frappes ciblées. L'enquête Nord Stream 2 remontera probablement de nombreuses informations, mais illustre bien la puissance d'impact des systèmes sans pilote, qu'ils soient télécommandés ou autonomes.

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© IQUA Robotics 2022

Deux approches s'affrontent : la française et la britannique d'une part qui privilégie l'envoi de systèmes autonomes hors du champ du danger. L'allemande privilégie le vaisseau au centre : il est par construction indétectable, et peut passer dans le champ de mines pour ensuite opérer des véhicules sans pilote.

Autrefois, en bois puis en acier inoxydable, aujourd'hui la plupart des coques sont en GRP [6], la Suède utilisant même une construction par couches de GRP, mousse, GRP réduisant le poids d'usage.

Parallèlement, l'optimisation de la bande passante et de l'harmonisation des données collectées sont visées: le processus de la capture des données, de leur fusion, et de leur réduction à la cellule opérative, permet de faire parler tous les capteurs, les transmetteurs et le système de traitement.

La recherche du meilleur protocole permet de viser, à terme, à ce que chaque machine se parle et se fasse comprendre dans un système de systèmes uniforme et compatible entre chaque unités. La base « historique » doit con impérativement parler avec chaque système autonome.

Les données emmagasinées par les sonars à balayage latéral, multi-faisceaux et à synthèse d'ouverture [7] permettent la chasse aux mines, et leur élimination. Ils combinent l'analyse de la profondeur, l'hydrologie, la salinité, la température de l'eau et la topographie du fond marin dans un milieu hostile et peu propice à la communication. Ces relevés bathymétriques et océanographiques s'effectuent en 3 phases : la détection (a), la classification (b) et (c) l'identification.

L'USC Inspector 125, mis à l'eau depuis le navire d'essai Geosea, est la preuve de cette capacité à déployer des systèmes multi-tâches MCM.

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© Military Technology - Mönch Publishing Group

Dans les airs

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© Photo : OTAN FRAN Stéphane Dzioba

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Les drones néerlandais Acecore Neo polyvalents sont conçus pour être utilisés dans des conditions météorologiques très difficiles. Les drones à huit rotors équipés de caméras standard et infrarouge communiquent non seulement avec le vaisseau-mère, mais aussi entre eux. De cette façon, ils sont capables d'agir de manière coordonnée. © Photo : OTAN FRAN Stéphane Dzioba

En parallèle, l'exercice TIE22, initié et conduit par la NCIA (Agence de Communication et d'information de l'OTAN) sur la base aérienne de Peel aux Pays-Bas du 13 au 23 septembre, avait, quant à lui, pour objectif de rassembler les principaux industriels du domaine afin d'identifier et de tester les standards candidats pour la communication interne (entre C2 et capteurs ou effecteurs) et externe (de C2 à C2) des systèmes de lutte anti-drones. Les standards mis en œuvre dans le cadre de l'exercice sont SAPIENT pour la communication interne, ainsi qu'ASTERIX et la L16 (STANAG 5516) pour la communication de C2 à C2. A terme, une standardisation au niveau de l'OTAN sera définie pour l'interopérabilité dans le domaine de la lutte anti-drones.

Le contexte actuel de recrudescence de belligérance en Europe et l'usage de plus en plus intensif des drones posent de multiples problèmes de sécurité et sécurisation des sites sensibles (infrastructures critiques portuaires, sites militaires et stratégiques, convois). Ces situations toujours plus complexes nécessitant une coordination entre plusieurs équipes opérationnelles. Les systèmes de lutte anti-drones démontrent eux aussi l'enjeu majeur que sont la standardisation et l'interopérabilité des systèmes.

Cette articulation entre le naval et l'aérien démontre bien tout l'intérêt que porte l'OTAN à ces nouveaux enjeux par la précision de la menace et la volonté pallier aux points aveugles de chaque flottes.

Quel TRL ?

Durant l'exercice suivant, Dynamic Messenger 2022, les drones rassemblés avait atteint au moins un TRL 6 et donnait lieu à des activités moins expérimentales et plus opérationnelles. Quel niveau de maturité technologique ou TRL [8] sera attendu à l'issue de ces exercices en Europe et Outre-Atlantique ? Il est clair qu'il devra s'ajuster entre marines nationales, agences gouvernementales, laboratoires technico-opérationnels et bureaux d'études des industriels.

Rusticité / Sophistication : le MCO en visée

Enfin, le MCO (Maintien en condition opérationnelle) doit aussi être dans toutes les têtes : le unmanned (sans pilote) permet certes de ne pas exposer l'humain au conflit et d'éviter les pertes humaines - tout en le gardant dans la boucle - en y déléguant la machine comme contrepartie. L'attrition vertigineuse engendrée par la haute intensité dans le conflit ukrainienne remet en cause un aspect spécifique du degré de sophistication des systèmes d'armes navals actuels. Sans revenir sur le débat entre sophistication et rusticité, certains systèmes en service actuel requièrent pour leur maintien en condition opérationnelle (MCO) la présence régulière de spécialistes civils. Cas extrême : les Littoral Combat Ships (LCS) développés par Lockheed Martin requièrent une semaine de MCO tous les mois, ce qui limite considérablement leur disponibilité. Et efface une partie de l'efficacité opérationnelle.

Ce premier OPEX d'ampleur internationale est donc particulièrement critique pour l'avenir de la BITD européenne [9] (avec son lot de questions : quelle articulation OTAN / UE ? Quelle chaîne d'approvisionnement, quelle gestion des stocks, quelle montée en puissance sur quelles classes d'actifs, quelle synchronisation entre très petits opérateurs indépendants et grands donneurs d'ordre, quelle mosaïque d'ensemble évitant les doublons ?), l'orchestration des retombées du programme DIANA [10],  la stimulation des jeunes talents. Finalement, « le maintien de notre avance opérationnelle en étant à la fine pointe de l'innovation technologique » comme le résume le Vice-Amiral Keith Blount CB OBE, Commandant de l'Allied Maritime Command.

Des pistes de réflexion pour Euronaval 2022, du 18 au 21 octobre à Paris - Le Bourget.

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[1] REPMUS : Robotic Experimentation and Prototyping Augmented by Maritime Unmanned Systems du 11 au 23/09/2022. Cet exercice annuel de l'OTAN est devenu une reference pour le développement de normes C4ISR dédiées aux systems sans pilote au sein de l'Allaince.

[2] DYMS22 : DYNAMIC MESSENGER du 25 au 30/09/2022. Idéalement, les résultats obtenus lors de ces deux exercices contribuent à créer des normes OTAN dédiées (STANAG). Les OPEX programmées durant DYNAMIC MESSENGER 22 : lutte anti-mines, surveillance du fonds de la mer, acquisition de contacts militaires, collaboration simultanée, détection de mines filantes...

[3] Maritime Unmanned Systems Initiative

[4] Cet exercice est réalisé chaque année dans la péninsule de Tróia et la rivière Sado depuis 2004. Il représente un terrain d'expérimentation des plus adaptés au déploiement à grande échelle (100km²) où navires et systèmes de l'OTAN peuvent collaborer en lien avec les milieux académiques et l'industrie pour développer et tester tout appareil (air, surface et sous-marin) sans pilote, bâtir l'interopérabilité entre systèmes de nations différentes même si alliées, construire l'interchangeabilité des unités et développer conjointement des concepts, des tactiques, des techniques et des procédures en vue de bâtir les doctrines de compréhension et d'action mutuelles de demain.

[5] 16 pays (dont le Portugal, l'Australie, la Belgique, le Canada, le Danemark, la France, l'Allemagne, la Grèce, l'Italie, les Pays-Bas, la Pologne, la Roumanie, l'Espagne, la Turquie, le Royaume-Uni et les  Etats-Unis) plus 8 pays observateurs (dont l'Estonie, la Suède et l'Ukraine) et partenaires.

  • Les bâtiments impliqués : 2 frégates, 4 OPV (Offshore Patrol Vessel) dont le PHM Commandant Ducuing pour la France dont la vocation première est la lutte anti-sous-marine, 6 MCM (Mine Counter Measures - Chasseur de Mines), 2 FPB (Fast Patrol Boat), 1 PHA (HNLMS Rotterdam) similaire au Porte Hélicoptères Amphibie Dixmude, 1 sous-marin de classe Tridente (NRP Arpao), 1 dock / plateforme amphibie (LPD), 3 BEM (bâtiments d'essais et de mesure), 3 bâtiments hydrographiques et océaniques, dont le NRP D. Carlos I, comparable au type Lapérouse de la Marine nationale.
  • Les matériels impliqués : les nations participantes ont fourni des véhicules sans pilote de surface, aériens et sous-marins pour les opérations côtières et sur les bâtiments en mer, notamment :
  • 40 UUV (Unmanned Underwater Vehicles)
  • 18 USV (Unmanned Surface Vehicles)

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© Laurence Cameron 2022 NATOTV

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© Photo : OTAN FRAN Stéphane Dzioba

  • 45 UAV (Unmanned Air Vehicles), dont le Camcopter S-100 de Schiebel

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Le Schiebel Camcopter S-100 autrichien est conçu pour les vols de surveillance sans pilote. Il fonctionne à tout moment de la journée et même dans des conditions météorologiques très exigeantes. L'hélicoptère a une portée de plus de 200 kilomètres et peut atteindre une altitude allant jusqu'à cinq kilomètres et demi. En cas de brouillage, l'hélicoptère est également capable de naviguer sans réseau satellite GPS© Photo : OTAN FRAN Stéphane Dzioba

Selon les définitions américaines reprises internationalement, un navire (ou véhicule) de surface sans pilote (Unmanned Surface Sessel, USV - parfois désigné Autonomous Surface Craft, ASC ou encore Autonomous Surface Vessel) est une plateforme capable de se déplacer à la surface de l'eau sans équipage.

[6] GRP : Glassfiber Refurbished Polyester

[7] le SAS (Synthetic Aperture Sonar) et les SSS (Side Scan Sonars).

[8] L'échelle TRL (en anglais technology readiness level, qui peut se traduire par niveau de maturité technologique) est un système de mesure employé pour évaluer le niveau de maturité d'une technologie (matériel, composants, périphériques, etc.), notamment en vue de financer la recherche et son développement ou dans la perspective d'intégrer cette technologie dans un système ou un sous-système opérationnel.

[9] voir https://lhetairie.fr/2022/09/06/le-dga-un -equilibriste-dans-des-temps-incertains/

[10] DIANA : Defence Innovation Accelorator for the North Atlantic est une initiative lance lors du Sommet de l'OTAN en 2021 pour promouvoir la coopération transatlantique sur les technologies critiques, promouvoir l'interopérabilité et incorporer l'innovation civile au travers de la recherche académique et du secteur privé. DIANA se concentre sur les technologies profondes : l'IA, l'exploitation des données de masse, les technologies quantiques, l'autonomie, la biotechnologie, les nouveaux matériaux et la recherche spatiale fondamentale et appliquée.

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Commentaires 4
à écrit le 12/10/2022 à 13:18
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Quand l'I.A. en prendra le control nous ne serons tous que des victimes ! Et, les humains chercheront des excuses ! ;-)

le 12/10/2022 à 17:41
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Sarah Connor ?

à écrit le 12/10/2022 à 12:14
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guerre: nom féminin, naval: adjectif, accord adjectif nom qualifié: navale...... Ca s'appelle du français.....

à écrit le 12/10/2022 à 12:14
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