Meta et Sheryl se séparent pour le meilleur et pour le pire

OPINION. Sheryl Sandberg, la femme la plus puissante de la Silicon Valley, quitte Meta après 14 ans d'un règne inégalé et inégalable. Elle a annoncé son départ dans un post Facebook de 1532 mots indiquant qu'elle n'occuperait plus son rôle de Chief Operating Officer au quotidien dès l'automne prochain. Par Pascal Malotti, Business Development & Strategy Director de Valtech France
(Crédits : Reuters)

La meilleure d'entre tous. Cette annonce effectuée le 1er juin est apparue comme une totale surprise mais en réalité, elle pouvait se produire n'importe quel jour de cette année ou bien des années précédentes. Un règne de 14 ans n'est pas une mince affaire dans un contexte aussi intense ; cela peut progressivement user n'importe quel individu aussi résistant soit-il.

Elle a investi de très nombreux postes au sein de Facebook et a occupé une position unique dans le dispositif tout au long de ces années tant sa proximité avec Mark Zuckerberg était forte : la semaine commençait et se terminait toujours par le même rituel d'une réunion privée entre les deux protagonistes.

N'oublions pas, puisque 14 ans se sont écoulés, que Sheryl est arrivé à l'âge de 38 ans alors que Mark avait seulement 23 ans. Elle a apporté l'expérience nécessaire et essentielle pour le développement de Facebook qui avait 5 ans d'âge et vivait dans un chaos permanent.

Quand Sheryl intégra les rangs de Facebook, le chiffre d'affaires du réseau social était de 500 millions de dollars et elle quitte une entreprise qui a obtenu un résultat de 117 milliards de dollars en 2021. Entre-temps, l'entreprise a changé de nom en devenant Meta mais cette dernière s'est surtout dotée d'un modèle économique : la publicité. En provenance de Google où elle a construit ce savoir-faire, elle a monté de toute pièce le « business model » de la publicité sur une base d'utilisateurs mensuels qui est passé sur cette même période de 100 millions à 3 milliards, soit plus d'un tiers de la planète.

Le « deal » était clair entre les deux parties : Mark s'occupait du produit - le site Internet à l'époque - et elle s'occupait de tout le reste : la gestion opérationnelle de l'entreprise, la communication, le commerce, le lobbying et le juridique.

Captain America dans la tourmente

On peut désormais considérer que Sheryl a connu son apogée en 2015 en jouant un rôle unique dans la montée en puissance de Facebook. Comme indiqué précédemment, son poste de direction chez Google a donné une crédibilité incroyable à la jeune pousse auprès des annonceurs qui lui faisait auparavant défaut. Paradoxalement, Mark Zuckerberg lui a confié les fonctions qu'il pensait être les moins essentielles pour la réussite de Facebook mais les produits et la croissance ne pouvaient exploser qu'avec un modèle économique.

Elle est ainsi devenue durant toute ces années l'un des chefs d'entreprise les plus importants d'Amérique. Pendant près de 5 ans, les start-ups à croissance rapide parlaient ouvertement de « trouver une Sheryl » pour les aider à se développer et à mûrir sans pour autant faire trop d'ombre à son fondateur. Sheryl Sandberg était donc le modèle à suivre !

Mais les événements se sont emmêlés pour gâcher la fête et amorcer un déclin lent et progressif... D'abord, le destin n'a pas été galant avec elle puisque son mari, Dave Goldberg, décéda brutalement alors qu'il pratiquait du cardio sur un tapis roulant pendant des vacances au Mexique. Vous dire que Sheryl Sandberg fut bouleversée par ce moment tragique dans sa vie ne surprendra personne : de quoi déstabiliser les meilleurs... Mais les problèmes professionnels allaient aussi s'accumuler au point de valider la célèbre citation de Jacques Chirac :

« Les emmerdes, ça vole toujours en escadrille ! ».

En effet, la deuxième ère de son règne qui s'ouvrait, à partir de 2016, serait très différente de la première. À la fin de cette année-là, Facebook s'est retrouvé soudainement et définitivement dans une posture d'entreprise totalement sur la défensive. Chaque mois semblait apporter un nouveau scandale : des révélations sur des problèmes de confidentialité des données, la diffusion de discours haineux et de liens vers des génocides, des abus par des hackers et des trolls parrainés par l'État russe, des enquêtes incessantes par la Federal Trade Commission, les procureurs généraux des États et d'innombrables autres régulateurs à travers le monde.

Parmi l'ensemble des soubresauts qui vont égrainer le quotidien de Facebook, certains peuvent être considérés comme de véritables cataclysmes : l'élection de Donald Trump en novembre 2016 fait partie de ceux-là. La combinaison de la mort de son mari et de l'élection présidentielle a été délétère pour Facebook : Sheryl n'a pas semblé prendre immédiatement conscience du désastre associé à l'utilisation secrète de l'agence russe de l'Internet Research Agency utilisant la plateforme pour semer la discorde parmi les Américains à l'approche de l'élection, en ayant recours à de faux comptes, une campagne de piratage et d'autres outils de duperie.

Elle ne fut pas la seule à sous-estimer le problème qui ternit à jamais l'image de Facebook mais comme toujours, le décideur ultime étant Mark Zuckerberg, il pouvait se défausser sur elle pour la responsabilité même si sa clairvoyance n'avait pas été meilleure. Ainsi, dès 2018, Zuckerberg commença à détricoter le modèle mis en place une décennie plutôt. Il a confié l'intégrité de la plateforme et les publicités à Javier Olivan. Marne Levine, ancienne fonctionnaire de l'administration Clinton que Sandberg avait embauchée plus de dix ans auparavant, a été nommée l'an dernier Directrice Commerciale. En février, Sir Nick Clegg a été promu au poste de Président des affaires mondiales et relève directement, comme Sheryl Sandberg, de Mark Zuckerberg.

Cependant, Mark Zuckerberg a très intelligemment joué la carte Sheryl Sandberg comme bouclier suprême de Facebook tel Captain America dans ses différents combats. Ce rôle d'amortisseur indispensable dans des entreprises aussi exposées que Facebook a été tenu sans relâche par Sheryl qui a fait preuve d'une résilience incroyable. Le Wall Street Journal révélait à l'annonce de son départ certaines confidences de Sheryl faites à son cercle proche faisant état d'une grande lassitude à être « le punching ball » récurrent d'une entreprise incapable de se réformer. Pire, Sheryl Sandberg a semblé parfois avoir recours à certaines des tactiques préférées de Facebook qui cherche régulièrement à se protéger en édifiant un rideau de fumée.

Quel féminisme pour Sheryl ?

Comme souvent les fins de règne sont poussives et Sheryl Sandberg n'échappe pas à cette malédiction : son rôle était devenu bien modeste pour une dirigeante de sa stature en se concentrant sur la supervision des efforts de Facebook pour promouvoir les petites entreprises, en les encourageant à utiliser ses outils publicitaires. C'était moins le rôle d'une COO que d'un consultant externe. Cependant, nous ne devons pas nous tromper non plus puisque Sheryl Sandberg n'a toujours été que la numéro 2 : l'adjoint principal d'un PDG qui conserve le contrôle total de Facebook/Meta et à qui revient la responsabilité finale.

Et c'était avant que Facebook ne change de nom pour devenir Meta, n'annonce un pivot risqué vers le métavers, et ne voie son cours de bourse chuter de près de 50% dans un contexte de conflit avec Apple et de craintes de récession.

Mais au-delà du sort complexe de Meta au moment de son départ officiel, c'est aussi la réputation de Sheryl Sandberg qui en sort égratignée. Prenons un sujet qui est au cœur des préoccupations de Sheryl Sandberg : le féminisme. Elle a toujours défendu le rôle de la femme sur le lieu de travail qui doit s'affirmer davantage. Ce fut le thème majeur de son livre Lean In: Women, Work, and the Will to Lead.

Cependant, la vision féministe de Sheryl Sandberg reste assez complexe comme sa personnalité : elle défend une vision du féminisme d'un leader du monde de la Tech à la Silicon Valey mais la tension reste prégnante entre sa vision d'une femme indépendante dans le monde du travail et une plateforme Facebook qui a fragilisé fortement les adolescentes notamment. Francis Haugen a fortement miné la vision du féminisme de Sheryl Sandberg en publiant des milliers de documents mettant en exergue les tactiques récurrentes de Facebook et le biais de ses algorithmes favorisant la rentabilité à la santé mentale des jeunes femmes.

Il est certain que son héritage va être fortement décortiqué dans les mois à venir au sein d'articles de presse, de livres à son sujet sans oublier une série télévisée déjà évoquée (c'est à la mode après celles sur les fondateurs de WeWork et de Uber).

Quel futur pour Sheryl ?

Sheryl Sandberg a reconnu que son esprit s'est déjà échappé du siège de Meta : dans la philanthropie, dans les questions féminines, dans son mariage à venir cet été avec Tom Bernthal. Elle déclare dans son post sur Facebook ne pas avoir de plans précis au-delà des 3 activités mentionnées précédemment.

Si son rôle au sein de Facebook lors de ces dernières années n'était pas aussi controversé, son nom serait sur toutes les lèvres pour une candidature à la Présidence américaine en 2024 pour le camp démocrate. Cette milliardaire de 52 ans va-t-elle se consacrer à sa Fondation, appelée Sheryl Sandberg & Dave Goldberg Family Foundation, et rejoindre de célèbres philanthropes femmes comme MacKenzie Scott, ex-épouse de Jeff Bezos, et Laurence Powell Jobs, veuve du défunt Steve Jobs.

Sa Fondation possède deux objectifs nobles avec le soutien des droits de la femme grâce à Lean In, l'organisation qui porte le nom de son premier livre, et « le renforcement à la résilience » grâce à Option B, qui aide les gens à rebondir après une épreuve. Cette organisation porte le nom de son deuxième livre, qu'elle a écrit après la mort inattendue de son mari Goldberg. Toutefois, elle devra se montrer bien plus généreuse qu'elle ne l'a été jusqu'ici en comparaison d'une MacKenzie Scott qui a déjà fait don de plus de 12 milliards de dollars ou d'une Laurence Powell Jobs qui a déjà effectué des donations de plusieurs centaines de millions de dollars tout en restant discrète sur le montant réel.

Alors, Sheryl est-elle partie pour une longue période de semi-retraite à faire de la philanthropie ou bien l'appel de la carrière refera vite surface comme l'appel de la forêt pour Buck ? Les opportunités ne manqueront pas comme un poste de CEO chez Twitter ou un poste de Gouverneur de Californie à prendre... Rien n'est moins sûr mais une période de semi-retraite pourrait être très bénéfique à la suite de sa carrière ... à tout point de vue.

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Commentaires 2
à écrit le 09/08/2023 à 23:36
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Une vraie Wonder woman. Je veux une Sheryl Sandberg à la française.

à écrit le 10/06/2022 à 14:33
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Elle a bien pressé le citron publicitaire au maximum pour dégager le plus de profit

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