Sheryl Sandberg, l'architecte du modèle Facebook, quitte le navire avant le virage Meta

À L'AFFICHE. Sheryl Sandberg, pilier essentiel du succès écrasant de Facebook dans la publicité en ligne, a annoncé qu'elle quittait son poste de numéro 2 du groupe après 14 ans de travail main dans la main avec Mark Zuckerberg. Ce départ va projeter plus que jamais le fondateur du groupe au devant des affaires, mais aussi l'exposer comme jamais aux scandales qui émaillent la vie du groupe depuis plusieurs années, alors même que l'entreprise opère un virage stratégique vers le métavers. Un changement de cap crucial pour son avenir.
François Manens
Sheryl Sandberg, celle qui a fait la fortune de Facebook
Sheryl Sandberg, celle qui a fait la fortune de Facebook (Crédits : Montage LT)

Sans elle, Facebook ne serait probablement pas le mastodonte qu'il est aujourd'hui. Son fondateur, Mark Zuckerberg, le sait. A tel point qu'il l'a souvent définie comme "l'architecte du business publicitaire" de Facebook, qui pèse aujourd'hui 97% des 118 milliards de dollars (110 milliards d'euros) de chiffre d'affaires annuel que génère le groupe. C'est dire si le coup a dû être rude pour le patron milliardaire quand Sheryl Sandberg, 52 ans, a annoncé qu'elle quittait le poste de directrice des opérations (COO) du groupe, qu'elle occupait depuis 14 ans. Un départ prévu en octobre, même si elle restera au conseil d'administration. Bras droit loyal de Mark Zuckerberg, avec qui elle s'entretient en personne au moins une fois par semaine, elle avait été recrutée en 2008 pour apporter du sérieux à une startup qui développait une plateforme révolutionnaire mais n'arrivait pas à trouver de modèle économique viable. Depuis 2012, elle a hissé Facebook à une position de duopole avec Google : l'entreprise s'accapare plus de 25% du marché mondial de la publicité en ligne, qui a dépassé les 400 milliards de dollars, d'après eMarketer.

En parallèle de ses travaux pour hisser l'entreprise tout en haut du marché de la publicité en ligne, elle s'est rapidement imposée comme "l'autre visage" de Facebook. Cette posture l'a amené à se muer en rempart face aux scandales à répétition du groupe, protégeant ainsi un Mark Zuckerberg peu à l'aise avec la prise de parole publique. Rarement la numéro 2 d'une entreprise n'aura été aussi en vue. Son rôle de gestionnaire de crise l'a régulièrement projetée au devant de la scène médiatique, notamment pendant l'affaire Cambridge Analytica en 2018. Certes, elle a essuyé certains échecs dans ces discussions, à l'instar de celle sur le rôle de Facebook dans l'invasion du Capitole, mais elle est toujours parvenue à garder des contacts réguliers avec les régulateurs et les pouvoirs publics. Désormais, sans elle, Mark Zuckerberg devra lui-même faire face aux prochains scandales, alors que l'entreprise n'en a même pas fini avec l'épisode des Facebook Files, qui a grandement entaché sa réputation fin 2021.

Le départ de Sandberg, préparé en interne depuis plusieurs mois même si le jour restait inconnu, marque la fin d'une ère. Sandberg incarnait l'entreprise presque autant que Zuckerberg, et elle laissera un vide irremplaçable dans l'image publique de Facebook. Pas de chance, ce départ d'un pilier du groupe intervient au plus mauvais moment : victime de la tendance baissière des valeurs de la tech et des difficultés du marché de la publicité en ligne, le cours de Bourse de l'entreprise s'est effondré de 44% depuis le début de l'année. En plus de cette dégradation de la situation économique, l'entreprise doit composer avec l'entrée tonitruante de TikTok dans son secteur, ainsi que de nouvelles restrictions sur les iPhone incompatibles avec son modèle de publicité ciblée. Pour autant, ce contexte défavorable  n'a pas suffi pour convaincre Sandberg de rester à son poste. Pourquoi un tel départ ? Ne croit-elle pas dans le virage stratégique de l'entreprise ? Est-elle simplement épuisée, en "burn-out" à cause des crises à répétition ? La principale concernée reste mystérieuse sur le sujet.

Éloignée du projet Meta

Si Sheryl Sandberg le justifie par le besoin de se concentrer sur sa famille (elle se marie cet été) et ses travaux sur la place des femmes dans les entreprises, difficile néanmoins  de ne pas noter que sa décision coïncide avec le changement stratégique et identitaire du groupe, lequel, depuis quelques mois, a laissé la marque Facebook à l'une des entités du groupe (le réseau social), pour s'appeler Meta. Occupée à remettre sur les rails le modèle de publicité ciblée, la dirigeante adhérait-elle toujours à la vision de son partenaire d'affaires ? Une chose est sûre. Cette spécialiste de la publicité s'est montrée très discrète pour "vendre" le nouveau projet.

Dans son long message sur le réseau social comme dans les quelques interviews accordées à la presse américaine, la businesswoman ne mentionne d'ailleurs pas une seule fois les termes "métavers" et "réalité virtuelle", matraqués depuis octobre 2021 par Mark Zuckerberg. Cette absence dans le vocabulaire fait écho à l'absence d'implication de l'ancienne COO dans les présentations du groupe sur le sujet. C'est un de ses anciens proches collaborateurs, Andrew Bosworth, qui s'occupe du nouveau chantier, semble-t-il avec l'approbation de Sandberg. Dans son interview à The Vergeelle affirme qu'il fera un "super travail dans la construction du prochain business de l'entreprise".

"Je pense que la transition vers le métavers va être encore plus importante que vers la publicité en ligne, mais je pense que l'équipe en charge sait faire des transitions dans ce genre", ajoute-t-elle.

Pour autant, bien que l'engouement de l'ancienne numéro 2 pour le métavers semble modéré, rien n'indique de véritable opposition au projet dans lequel Meta investit des milliards de dollars. Un virage stratégique pour le groupe qu'ont également pris plusieurs rivaux. Car le fondateur de Facebook voit le métavers comme une révolution à la hauteur de celle d'Internet, qui déboucherait sur un marché gigantesque. Comme pour affirmer cette conviction, Zuckerberg incarne le virage de l'entreprise et son avatar en réalité virtuelle multiplie les présentations. Reste que ce changement de cap en interpelle plus d'un. Et pour cause, la technologie actuelle demeure très superficielle pour l'instant et n'offre aucune garantie de débouchés. Quoiqu'il en soit, la séparation des chemins s'est faite sans bris de glace.

Zuckerberg projeté en première ligne

Même si le départ de Sheryl Sandberg était préparé en fond, après des années de rumeurs, et a mené à des changements progressifs dans l'organigramme de Facebook, il laissera un vide irremplaçable au sein du groupe. Il est déjà acté que son remplaçant, Javier Olivan, précédemment chargé de la croissance du groupe, aura moins de responsabilités sur cet aspect. Il faut dire que Sandberg était une figure historique forte dans le paysage de la tech. Arrivée tôt dans un secteur où les femmes étaient et restent peu nombreuses, elle a incarné un modèle à suivre. Son livre "En avant toutes", sur la place des femmes dans les entreprises, et notamment aux positions de pouvoir, s'est vendu à plus de 1,5 million d'exemplaires et a déclenché tout un mouvement. Sandberg jouissait ainsi d'un respect à part, renforcé par sa posture très professionnelle, qui démarque du côté fantasque de certains patrons de la tech.

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Sheryl Sandberg, une des rares femmes au pouvoir dans la tech

Née en 1969 à Washington, Sheryl Sandberg est diplômée de Harvard. A sa sortie de l'université, elle a travaillé pour McKinsey, le Trésor américain et enfin Google, où elle sera débauchée en 2008 par Mark Zuckerberg. Membre du conseil d'administration de Facebook depuis 2012, elle figure régulièrement dans les classements de femmes les plus influentes au monde. Son livre En avant toutes (Lean In, en anglais), un appel à l'ambition des femmes dans le monde de l'entreprise, s'est vendu à plus d'1,5 million d'exemplaires. Suite à son départ de Facebook, Sandberg affirme qu'elle ne prévoit pas de reprendre des responsabilités en entreprise ou en politique.

François Manens

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Commentaires 5
à écrit le 03/06/2022 à 11:57
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" Chaque annee , le budget mondial depense en pub s ' eleve a 500 MILLIARD$ de $$$ . Une etude de l ' ONU estime que pour reduire de moitie la faim dans le monde , 10 % de cette somme suffirait !!! " . ( source : fi...

à écrit le 03/06/2022 à 10:27
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Il y a bien longtemps que j'ai fermé mon compte Facebook quand au bout de 6 mois je me suis rendu compte de la pauvreté de ce qui était publié et du danger de la manipulation par la collecte des données personnelles. Je me doute que mes données per...

à écrit le 03/06/2022 à 2:53
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Quand on a gagné autant d'argent ,c'est normal d'en profiter au lieu de le donner aux impôts .Elle peut se permettre d'être en "retraite" à 50 ans alors pourquoi risquer de mourrir et de tout perdre en bossant jusqu'à 70 ans et plus pour les USA .

le 03/06/2022 à 8:26
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ca m etonnerait bien que son objectif soit "d en profiter" en ne faisant rien. elle est plutot comme elon musk, meme riche ils continuent a travailler. ce n est pas la mentalite rentiere francaise herite de l ancien regime ou l objectif est de ne rie...

le 04/06/2022 à 16:31
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La "retraite" c'est pas communiste comme notion ? :-) Un entrepreneur, tant qu'il a des idées, il avance, et avoir une grande villa comme certains ça demande de fortes ressources, durables. Pas facile de comprendre, nous ne sommes pas anglo-saxons. ...

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