Réglementation des cryptoactifs : la France et l'Union Européenne creusent l'écart avec les Etats-Unis

OPINION. Par Aurélien Zilberman, avocat au sein du cabinet Ashurst
(Crédits : DR)

Le contraste entre les deux actualités est saisissant. Alors que la France et l'Union Européenne viennent d'adopter de nouveaux cadres normatifs applicables à la fourniture de services sur cryptoactifs, les Etats-Unis ont fait éclater en mondovision la dissonance des pouvoirs publics sur la question de la réglementation des actifs numériques.

Aux Etats-Unis, les cryptoactifs au cœur d'une lutte de pouvoir

C'est une scène qui n'a échappé à aucun observateur du monde des cryptoactifs. L'audition musclée, le 18 Avril dernier, du Président du régulateur financier américain (Securities and Exchange Commission - SEC), Gary Gensler, par le Président de la Commission des Services Financiers de la Chambre des Représentants, Patrick McHenry, a mis en lumière les oppositions entre les différentes institutions américaines quant à la nécessité et la manière de réglementer l'industrie des cryptoactifs.

« En quarante ans de carrière dans la finance, je n'ai jamais vu de secteur aussi peu respectueux des lois ».

C'est en ces termes que Gary Gensler a justifié les nombreuses procédures judiciaires initiées par la SEC à l'encontre de différentes entreprises d'actifs numériques pour des violations présumées aux lois fédérales américaines sur les valeurs mobilières. Depuis l'effondrement de FTX, près d'une cinquantaine de procédures judiciaires auraient ainsi été initiées par la SEC, alors qu'aucune régulation sectorielle ne serait encore à l'étude. Une doctrine qui interpelle aux Etats-Unis.

Prudent à l'égard du secteur des cryptoactifs qu'il a qualifié de far west lors de sa prise de fonctions, Gary Gensler a été nommé par Joe Biden le 3 février 2021, avec notamment pour mission de fournir à ce marché volatil un cadre réglementaire, protecteur des investisseurs.

La légitimité de son action a rapidement été remise en cause par les prises de position de l'autre grande autorité de régulation américaine, la Commodity Futures Trading Commission (CFTC), chargée de la régulation des bourses de commerce où se traitent les matières premières et autres marchandises, et de son Président, Rostin Benham.

Un bras de fer inédit portant sur la nature de certains cryptoactifs, Rostin Benham ayant déclaré devant le Sénat en mars dernier que le Bitcoin ou l'Ethereum (la deuxième plus importante cryptomonnaie au monde par sa capitalisation - près de 500 milliards d'euros) ne sont pas des valeurs mobilières (securities) mais des produits de base ou marchandises (commodities), de sorte qu'ils devraient être placés sous la surveillance de la CFTC (qui bénéficie d'ailleurs du soutien des principaux acteurs du secteur) plutôt que de la SEC. Cette lutte entre les deux autorités se manifeste très concrètement sur le plan juridique, où les deux régulateurs ont adopté une approche plus agressive, voire hostile, aux acteurs des cryptoactifs, multipliant chacune à leur tour des actions judiciaires pour revendiquer leur compétence.

Selon Patrick McHenry, le flou entourant la nature de certains cryptoactifs, et donc le régime juridique qui leur est applicable, prive les entreprises américaines du secteur de toute sécurité et prévisibilité juridique. Cette lutte de pouvoirs, et les actions peu lisibles menées distinctement par la SEC et la CFTC, mettent à mal la compétitivité des acteurs américains du secteur et accroit le risque que le développement de cette industrie ne se fasse à l'étranger, et notamment en Europe.

L'Europe et la France ont pris la voie de la réglementation, augmentant ainsi leur compétitivité

Sous l'impulsion de la France, pionnière dans le domaine des actifs numériques en construisant, dès 2019 avec la loi PACTE, un véritable cadre réglementaire pour l'activité des Prestataires de Services sur Actifs Numériques (PSAN), l'Union Européenne vient enfin de parachever l'harmonisation de la règlementation applicable à la fourniture de services sur cryptoactifs dans les Etats membres de l'Union Européenne, via l'adoption du Règlement européen sur les marchés de cryptoactifs (MiCA) par le Parlement européen le 20 avril 2023.

La France poursuit désormais sa marche normative en avant, puisqu'elle a adopté, le 9 mars dernier, la loi dite DDADUE, laquelle vient renforcer les obligations réglementaires applicables aux PSAN enregistrés auprès de l'AMF, et qu'elle s'attaque désormais à la lutte contre les arnaques et les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux.

L'Assemblée nationale vient ainsi d'adopter, le 30 mars 2023, une proposition de loi qui prévoit d'interdire aux influenceurs de promouvoir, directement ou indirectement, la fourniture de services sur actifs numériques, sous peine de six mois d'emprisonnement et de 300.000 euros d'amende.

Pour rappel, dans le cadre du régime actuel, un influenceur peut assurer une telle promotion mais a l'obligation de mentionner le caractère commercial du partenariat portant sur les cryptoactifs. Dans le cas contraire, il s'agit d'une pratique commerciale trompeuse, passible de deux ans d'emprisonnement et d'une amende de 300.000 euros. L'influenceuse Nabilla a ainsi été condamnée par la DGCCRF au paiement d'une amende de 20.000 euros, pour avoir fait la promotion d'un site de formation au trading en ligne, spécialisé dans la vente et l'achat de Bitcoin, sans indiquer qu'il s'agissait d'un partenariat rémunéré.

Le Règlement MiCA traite également de ce sujet en interdisant explicitement les manipulations de marchés aux termes de son article 80. Emettre un avis sur un cryptoactif après avoir pris des positions sur ce cryptoactif, sans dévoiler au public ce lien avec ces actifs et en profiter, sera ainsi considéré comme une manipulation de marché.

Ces efforts sont heureux, en ce qu'ils apportent de la clarté et de la visibilité normative aux prestataires sur cryptoactifs, tout en assurant la protection des consommateurs. Bruno Le Maire avait annoncé en octobre 2022 que le gouvernement souhaitait « faire de l'Union européenne la première zone économique mondiale en matière de structuration et d'organisation du marché des cryptoactifs ». L'attractivité des cryptoactifs ne peut en effet se développer sans régulation, car seule la confiance des investisseurs permettra au marché de continuer à croître.

Par ces réglementations, l'Europe et la France assoient leur statut de puissances normatives sur l'échiquier mondial. L'adoption du Règlement MiCA trouvera très certainement un écho outre-Atlantique, où le nombre de class actions initiées à l'encontre de prestataires sur cryptoactifs a doublé aux Etats-Unis en 2022 par rapport à l'année précédente, signe d'une activité vigoureuse, mais mal encadrée.

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Commentaire 1
à écrit le 14/05/2023 à 19:57
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C'est toujours le même "problème", on préfère s'attaquer artificiellement aux conséquences que de travailler sur les causes !

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