Retraites : et si on oubliait la pyramide des âges ?

OPINION. L'âge est le sujet qui domine le débat sur les retraites. Dans les entreprises, la pyramide des âges est aussi l'outil qui permet de rationaliser tout plan de départ. Les communicants l'utilisent de plus en plus pour cibler leurs messages. Comment en est-on arrivé là ? D'autres approches, pensées par génération et activités, montrent tout l'intérêt de voir chacun autrement qu'à travers sa date de naissance. Par Catherine Malaval, Docteure en histoire (Ehess), présidente de Neotopics
(Crédits : DR)

Pyramide des âges ou toboggan social ?

Dans les entreprises, l'utilisation de la pyramide des âges s'est développée dans les années 1980, à l'appui de réflexions sur l'amélioration de la productivité. La réduction des effectifs s'est alors traduite par des plans de départ fondés principalement sur ce seul critère d'âge, installant pour longtemps cet amalgame qui tend à persister, entre l'âge des uns et, de facto, leur incapacité à affronter de nouveaux défis professionnels.

L'histoire industrielle nous apprend au contraire que tout est relatif. Un salarié « âgé » l'est en fait plus ou moins. Tout dépend de la forte incidence sur son âge, réel et perçu, de ses conditions de travail et de son milieu social, mais aussi de son utilité pour l'entreprise. Sociologues, historiens du travail et économistes ont publié de nombreuses études sur ce sujet.

Finalement, l'avancement de l'âge de la retraite à 60 ans a rendu vieux de plus en plus tôt. Désormais, une personne de 45 ans est qualifiée de « senior » dans les entreprises. « Ok Boomer ! », « clause du grand père », certaines expressions creusent des fossés. La pyramide des âges est devenue un toboggan social.

L'utilité de l'analyse par génération

L'approche par génération vient corriger ces biais. Combinée quantitativement à cette analyse de données par cohortes (les générations) et qualitativement par une analyse des proximités historiques (une socio-histoire de chaque génération) la pyramide des âges pourrait devenir un outil d'exception pour de nombreuses fonctions de l'entreprise. Définie par le sociologue Norbert Elias (Le Processus de civilisation), la socio-histoire « veut mettre en lumière l'historicité du monde dans lequel nous vivons, pour mieux comprendre comment le passé pèse sur le présent ».

Doublement quantitative et qualitative, cette approche plus fine permet de voir les usages, les comportements et les pratiques relationnelles propres à chaque génération, leurs transformations dans le temps au fil des grandes évolutions de la société, des modes de travail, des processus et des technologies de l'information. Ces approches nouvelles, s'appuyant sur les outils de la démographie et de la socio-histoire, considèrent les individus (leurs savoirs et leur expérience) sans les dévaloriser (le critère de l'âge).

Les enjeux sociaux et économiques d'un choc démographique

Cette approche, plus qualitative, permet aussi de comprendre les effets de ce rajeunissement des entreprises sur leur capital immatériel. Selon les générations, certains concepts souvent appréhendés différemment : par exemple, le sujet de l'information et de l'échange des données. Quand des Millenials revendiquent une transparence accrue et plus de « creative commons », des personnes plus seniors opposent les atouts de la confidentialité et le risque de destruction potentielle de la valeur économique. Et cette démarche est particulièrement constructive. Elle permet de penser l'évolution des modes de travail d'une part, non plus en termes de tensions générationnelles mais en termes de tensions technologiques et de langages (appréhension différente des hubs de conversations, identification des canaux privilégiés, etc.), d'autre part, non plus en termes d'« alignement » des pratiques mais d'écosystèmes de compétences. Alors que le travail en espaces collaboratifs numériques s'est accéléré avec la crise sanitaire, la question de la formation au partage de l'information, interne et externe, devient ainsi un sujet prioritaire.

Deuxième exemple, celui de la gouvernance. Consommatrices d'expériences, échaudées par le chômage de leurs ainés, les plus jeunes générations recherchent un meilleur équilibre entre leur bien-être personnel et leur bénéfice professionnel. La fidélité à une entreprise passe par la promesse d'un destin, preuves à l'appui (viviers de talents, management des hauts potentiels, universités internes, etc.). Cette réflexion a par exemple abouti à la création de Comex jeunes, non statutaires, d'un Youth Action Council (YAC) chez Pernod Ricard ou d'un Advisory Board chez Adecco. L'enjeu est désormais de réfléchir en termes d'échanges et de multi-latéralités générationnelles.

Depuis trois ans, face à une situation économique particulièrement éprouvante, la décision de nombreux dirigeants d'entreprises familiales de passer la main à la génération suivante a conforté cette représentation bien ancrée du vieillissement et nourri cette idée que l'écrêtement par l'âge est source de créativité, gage d'accélération et de productivité. Même des patrons solidement attachés à leur entreprise ont lâché prise. C'était l'épreuve de trop.  Pratiquée traditionnellement dans les entreprises les plus sensibles à la valeur de leur patrimoine, la pratique du « débriefing » en fin de carrière se développe ici ou là (tutorat, transmission des savoirs, recueil de la mémoire, etc.). Dans les entreprises familiales, les anciens ne s'éloignent évidemment pas trop. Ailleurs, c'est plus compliqué. C'est l'enjeu identifié par de plus en plus d'entreprises dans des secteurs particulièrement concurrentiels et sensibles.

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Commentaire 1
à écrit le 27/01/2023 à 11:47
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Reconnaître le délitement cognitifs,la mémoire qui vacille.les douleurs qui s'emparent du corps est une réalité a partir de 60ans.les orateurs brillants commencent a bafouiller les sportifs a se faire réparer Redoutée d'être rejetée a 45ans est un ...

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