Subventions étrangères  : l'Union européenne s'organise et instaure un contrôle a priori

OPINION. Face aux subventions étrangères créant des distorsions sur le marché européen, l'Union européenne a décidé de se doter d'un mécanisme de contrôle. Par Sabine Naugès, avocat associée au sein du cabinet McDermott Will & Emery.
(Crédits : YVES HERMAN)

C'est ainsi que le 30 juin 2022, le Conseil et le Parlement européen sont parvenus à un accord provisoire concernant l'adoption du Règlement relatif aux subventions étrangères faussant le marché intérieur (le « Règlement ») élaboré par la Commission, lequel a vocation à établir des règles permettant l'encadrement de telles subventions et de remédier aux distorsions qu'elles sont susceptibles de générer.

En effet, ces subventions peuvent créer des conditions de concurrence déloyale offrant aux entreprises étrangères qui en sont bénéficiaires la possibilité de proposer leurs services ou leurs biens à un coût moindre contrairement aux entreprises européennes qui font l'objet d'un strict contrôle de la Commission européenne en matière d'aides d'État.

Depuis plusieurs années, des voix s'étaient ainsi élevées pour une prise en compte à l'échelle européenne de ces subventions étrangères. Cette menace a, par ailleurs, été clairement identifiée par la Commission européenne dans son Livre blanc relatif à l'établissement de conditions de concurrence égales pour tous en ce qui concerne les subventions étrangères.

Notons que cette problématique fait également l'objet d'une attention toute particulière des États-Unis et du Japon, ces derniers souhaitant, avec l'Union, renforcer les règles de l'OMC en matière de subventions industrielles.

Si le Règlement apparait à première vue défensif, il n'est que le corollaire du principe de liberté d'accès au marché européen en ce qu'il vise à rétablir l'égalité entre les entreprises étrangères et européennes. En réalité, il tend plus particulièrement à éviter l'octroi de marchés publics à des entreprises étrangères bénéficiant de subventions étrangères et à protéger les entreprises européennes contre certaines tentatives de rachats.

Pour ce faire, le Règlement adopte une définition large de la notion de subventions étrangères, telle qu'issue de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne. Celles-ci sont définies comme toutes contributions financières accordées par un pays tiers qui confère un avantage à une entreprise exerçant une activité économique dans le marché intérieur et qui sont limitées, en droit ou en fait, à une ou plusieurs entreprises ou secteurs.

À titre d'exemple, une garantie illimitée des dettes ou du passif, accordée par un État étranger peut être qualifiée de subvention étrangère. Inversement, les subventions inférieures à 4 millions d'euros sont considérées comme peu susceptibles de créer des distorsions.

Afin de garantir une application cohérente, le Règlement met en place désormais une procédure centralisée au profit de la Commission européenne qui sera chargée de veiller au respect de ces dispositions.

Pour cela, l'autorité bruxelloise dispose de trois pouvoirs d'enquêtes :

  • un pouvoir général d'enquête sur dénonciations des tiers ou à l'initiative de la Commission elle- même ;
  • un pouvoir d'enquête dans le cadre des notifications des concentrations pour lesquelles le chiffre d'affaires de la cible excède 500 millions d'euros et les subventions étrangères dépassent 50 millions d'euros ; et
  • un pouvoir d'enquête dans le cadre des notifications des procédures de passation des marchés publics au sens des Directives 2014/23/UE, 2014/24/UE et 2014/23/UE,  pour lesquelles la valeur du marché excède 250 millions d'euros et les subventions étrangères dépassent 4 millions d'euros.

La fixation d'un niveau relativement élevé des seuils de notification permet à la Commission de n'examiner que les subventions susceptibles de générer le plus de distorsions.

Dans le cadre de ses investigations, la Commission européenne pourra notamment prendre toutes les mesures provisoires, mais aussi interroger toutes personnes et demander tous renseignements qu'elle estimera utiles à la conduite de son enquête.

Il convient également de relever la portée extraterritoriale du Règlement, qui de ce fait permettra à la Commission européenne de conduire ses enquêtes à l'intérieur tout comme à l'extérieur de l'UE.

En outre, dans le cadre de son examen des subventions étrangères, la Commission tiendra compte des effets tant négatifs que positifs de celles-ci. Si à l'issue de cette mise en balance les effets négatifs de la subvention l'emportent, alors la Commission européenne se devra de remédier aux distorsions que ladite subvention crée. Ce test de mise en balance fera notamment l'objet de futures lignes directrices afin d'en préciser les contours dans ses critères et modalités de mise en œuvre.

Ensuite, la Commission européenne disposera de nombreux pouvoirs lui permettant de corriger les effets négatifs de ces subventions étrangères.

Ces derniers, fortement inspirés des mécanismes existant déjà en matière de contrôle des concentrations et d'aides d'État, permettront ainsi à la Commission de refuser toute opération de concentration ou d'attribution d'un marché public rendue possible grâce aux subventions étrangères.

De plus, la Commission pourra imposer des engagements contraignants aux entreprises bénéficiant de subventions. Parmi ces engagements, on retrouve notamment l'interdiction de certains investissements, la cession de certains actifs (comme en matière de contrôle des concentrations) ou encore le remboursement de la subvention étrangère (comme pour les aides d'État).

Au-delà de ces pouvoirs de nature structurelle, la Commission européenne pourra également prononcer des amendes et des astreintes en cas d'infractions aux règles de la procédure ou en cas de non-respect des engagements (comme en matière de pratiques anticoncurrentielles par exemple). Ces amendes pourront aller jusqu'à 10% du chiffre d'affaires global annuel de l'exercice précédent dans les cas les plus graves et les astreintes jusqu'à 5% du chiffre d'affaires journalier moyen de l'exercice précédent.

Cela étant rappelé, l'ensemble des décisions rendues par la Commission au titre du Règlement pourront faire l'objet d'un recours devant la Cour de justice de l'Union européenne dans un délai de deux mois à compter, suivant le cas, de la publication de l'acte, de sa notification au requérant ou, à défaut, du jour où celui-ci en a eu connaissance.

À cet égard, la Cour dispose d'une compétence de pleine juridiction en ce qui concerne les sanctions prévues par le Règlement. À ce titre, elle sera en capacité d'annuler, de réduire ou inversement d'augmenter les amendes et astreintes prononcées par la Commission.

Enfin, le Règlement sera d'application immédiate et rétroactive pour toutes les subventions étrangères octroyées jusqu'à cinq ans avant l'entrée en vigueur du Règlement et générant des distorsions sur le marché intérieur après son entrée en vigueur.

L'entrée en vigueur de ce règlement est estimée pour fin 2022 après l'approbation formelle définitive du Règlement par le Parlement européen et le Conseil.

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Commentaire 1
à écrit le 11/10/2022 à 10:56
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Quand on pense que le dogme de l'UE de Bruxelles avait pour but de faciliter les relations en Europe, on constate que c'est loin d'être gagné ! :-) Voilà ce que c'est de mettre 'la charrue avant les bœufs" : On perd du temps et de l'argent au lieu d'...

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