Une dernière estocade des taux surprend les actions

CHRONIQUE. Les marchés d'actions enregistrent une correction sévère depuis début août : -4%. À l'origine, une ultime poussée de fièvre des taux d'intérêt américains qui ressemble davantage à une dernière estocade qu'à un durcissement durable. Par Karl Eychenne, chercheur chez Oblomov & Bartleby
(Crédits : Reinhard Krause)

« Ne jamais baisser la garde ! ».

En sport de combat comme en finance, il suffit d'un moment de relâchement, et la contingence des évènements en profite pour vous surprendre. C'est exactement ce qui se produit aujourd'hui sous les yeux de l'investisseur, qui n'ont pas vu venir le repli des actions : -4% pour la zone euro depuis début août. À l'origine de ce trou d'air, des hausses de taux américains rapides et brutales. Cette hausse des taux est-elle justifiée, durable, inquiétante ? Non, non et non.

Mais qu'importe le mal, le stigmate est seul suffisant pour justifier une baisse des actions. Les taux d'intérêt américains montent, et c'est bien le principal motif d'angoisse des marchés d'actions. En effet, ils ne peuvent compter ni sur les bénéfices des entreprises attendus en croissance nulle sur 2023, ni sur la prime de risque exigée par les investisseurs à des niveaux déjà complaisants. Seuls les taux d'intérêt sont susceptibles de faire mal au marché d'actions américain, et c'est ce qu'ils font.

De ce point de vue, le marché euro paraissait moins vulnérable, avec des bénéfices révisés à la hausse pour 2023, et une prime de risque un « chouilla » plus conservatrice. Mais la sympathie inaliénable (sa corrélation historique) du marché euro envers le marché américain a motivé une correction plus importante encore. Le reste des mouvements observés est plutôt cohérent : la hausse des taux américains pèse davantage sur les valeurs de croissance, les valeurs cycliques, le dollar, et donc les marchés émergents.

Avons-nous raté quelque chose ?

Y aurait-il donc quelque chose que nous avons raté sur les taux, et donc sur les actions ? Non. Il se trouve juste que cette hausse des taux n'a rien à voir avec les précédentes qui étaient motivées par la perspective de voir la Banque centrale américaine (Fed) monter ses taux encore et encore. Le sens de l'histoire c'est la fin du cycle monétaire restrictif. Mais alors pourquoi les taux américains ont-ils monté, et surtout pourquoi cela ne devrait pas durer ? Trois motifs font consensus.

D'abord, il y a ce chiffre de création d'emploi américain (ADP) pour juillet bien plus fort qu'attendu, et qui présagerait d'un discours de la Fed plus musclé afin de contenir un dérapage des salaires. Bémol : les anticipations des marchés concernant la politique monétaire à venir ont à peine évolué suite à la nouvelle ; en particulier les taux d'intérêt à 2 ans sont restés sages, seuls les taux à 10 ans ont remonté. Autre bémol, ce chiffre d'emploi n'est pas le plus important, celui de vendredi (Payrolls) est beaucoup plus suivi par les marchés, car beaucoup plus fiable. Enfin dernier bémol, ce chiffre d'emploi source ADP est en contradiction avec les indicateurs avancés publiés récemment (ISM, PMI), et dont les composantes emploi témoignent plutôt d'un fléchissement.

Ensuite, il y a la décision de la Banque centrale japonaise (BOJ) d'augmenter sa cible maximale sur les taux d'intérêt à 10 ans de 0,5 à 1%. Elle seule pratique ce genre de politique, mais il faut dire que la BOJ a un rapport très particulier avec son marché obligataire dont l'encours dépasse près de 250% du PIB, la palme de l'endettement parmi les pays développés. À l'origine de cette décision de la BOJ, une accélération suspecte de l'inflation, qui était restée jusqu'alors bien sage durant toute la période d'hystérie connue partout ailleurs (hors Chine). Toutefois, la réaction du marché obligataire japonais ne semble pas à la hauteur de cette nouvelle très symbolique ; les taux à 10 ans japonais ont remonté à « seulement » 0,6%, bien loin de leur nouvelle cible maximale de 1%. Et pour cause, dans le même temps, la BOJ intervenait pour limiter toute exubérance.

Enfin, il y aurait bien cette décision d'une des trois principales agences de notations (Fitch) de dégrader d'un ton la note de la dette publique américaine de « AAA » à « AA+ ». En forçant le trait, cela pourrait être équivalent à baisser la moyenne d'un élève de 20 à 19. Toutefois, on ne plaisante pas avec la Princesse au petit pois de la finance, il se trouve que l'investisseur obligataire manifeste une sensibilité exubérante au moindre changement de température de la dette américaine. On se rappellera de l'épisode de 2011, la notation de la dette américaine fut dégradée pour la première fois de son histoire, également de « AAA » à « AA+ ». Sauf qu'à l'époque une telle nouvelle provoqua non pas une hausse des taux comme aujourd'hui, mais une chute de près de 1% pour cause de fin du monde probable.

La pensée pascalienne

Ainsi donc, tout concourt à penser que la hausse des taux d'intérêt en cours n'est qu'un épiphénomène. Et si les taux cessent de monter, les actions cessent de baisser. Tout devrait rentrer dans l'ordre d'ici peu, la semaine prochaine par exemple avec le retour du beau temps... Il n'en faut souvent pas davantage pour que l'investisseur trouve les meilleurs arguments justifiant son opportunisme. Et si l'on cherche davantage de finesse intellectuelle afin de justifier le rebond des actions à venir, alors peut-être se risquera-t-on à invoquer la pensée pascalienne :

Ne pouvant faire que ce qui est rationnel fit monter le marché,
On a fait en sorte que ce qui fait monter le marché fut rationnel

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Commentaire 1
à écrit le 04/08/2023 à 8:48
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Disons que les États grattent tout ce qu'ils peuvent gratter alors que devenus les larbins des marchés financiers ils sont obligés de faire contre eux s'ils veulent sauver leurs peaux et comme la finance a intérêt à continuer de se faire protéger par...

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