Mauvaise récolte : l’industrie de la pomme de terre frappée de plein fouet par la chute de la production

L’été long et caniculaire a eu un effet dévastateur sur la récolte française de pomme de terre, majoritairement cultivée en Nord-Pas-de-Calais et Picardie. Le rendement affiche cette année une baisse historique de près de 20% par rapport à la moyenne de ces vingt dernières années. Si l'on ajoute l’inflation et la hausse des coûts de l’engrais et de l’énergie, la filière totalise près de 200 millions d’euros de pertes cumulées.
Côté stockage, les coûts de l'électricité explosent, les différentes unions professionnelles ayant déjà fait état, début octobre, de factures en augmentation de plus de 500%.
Côté stockage, les coûts de l'électricité explosent, les différentes unions professionnelles ayant déjà fait état, début octobre, de factures en augmentation de plus de 500%. (Crédits : Reuters)

Du jamais-vu depuis vingt ans. Trop chaud, pas assez d'eau... L'industrie de la pomme de terre tire la sonnette d'alarme. Et pour cause. Les producteurs doivent aujourd'hui face à « un effondrement historique des rendements en France », s'affole l'Union nationale des producteurs de pommes de terre (UNPT). La région des Hauts-de-France, premier producteur de France, est exsangue.

Il faut le savoir, mais la France compte énormément sur la production des Hauts-de-France pour manger des frites. La région, qui rassembles les départements du Nord-Pas-de-Calais et de la Picardie, cultive 94.000 hectares sur le total des 151.000 hectares répartis en France. Les Hauts-de-France, première région cultivatrice de pommes de terre, fournit ainsi à elle seule 61% de la production française, qu'elle soit destinée directement aux assiettes ou à se transformer en frites, en surgelés ou en fécule.

Une filière qui va bien au-delà de la fabrication des frites

Cette mauvaise récolte constitue une véritable crise pour le marché de la pomme de terre, qu'elle soit de consommation ou industrielle. La différence entre les deux ? La première va se retrouver sur les étals des marchés et supermarchés. La seconde est revendue à l'industrie agroalimentaire, pour être transformée en frites surgelées ou en flocons, pour la purée par exemple. Les usines de transformation avalent ainsi chaque année près de 21% d'une production.

Une autre filière, moins connue du grand public, va extraire la fécule des pommes de terre (son amidon en quelque sorte) pour fabriquer des épaississants pour les plats préparés (70%), des ingrédients cosmétiques ou des excipients pour l'industrie pharmaceutique (6%) et, plus étonnamment, des emballages papier-carton (24%). Selon l'Insee, en 2020, le chiffre d'affaires de l'ensemble du business de la pomme de terre s'élevait en France à 3,97 milliards d'euros.

Les vagues de chaleur ont impacté les quantités mais aussi la qualité

Cette année, non seulement, le tonnage attendu de pommes de terre n'est pas au rendez-vous, mais les vagues de chaleur enregistrées pourraient entraîner des problèmes à la vente. Geoffroy d'Évry, président de l'UNPT, installé dans l'Aisne, vient à peine de terminer la récolte destinée à des usines de frites et de chips. Il explique la situation :

« Les producteurs nous signalent des manques de longueur ou de calibre, mais aussi une matière sèche plus élevée : la pomme de terre renferme moins d'eau, ce qui rend le tubercule plus sensible aux chocs liés à la récolte, entraînant notamment la formation de points noirs. »

De quoi rendre un peu tatillon les clients industriels, qui imposent parfois des cahiers des charges assez exigeants à leurs fournisseurs. « Comme dans d'autres secteurs, des tares peuvent être appliquées à la livraison, en fonction des restrictions imposées », poursuit le président de l'UNPT.

Parmi les grands noms du secteur, on trouve nombre d'industriels basés dans la partie Nord de l'Europe comme le néerlandais Lamb Weston (1,13 milliard de dollars de chiffres d'affaires), qui possède des sites de transformation aux Pays-Bas, en Autriche, au Royaume-Un. En France, il y a Vico, coopérative française appartenant au groupe international Intersnack (2,7 milliards d'euros de CA), qui fabrique 29.000 tonnes de chips à Montigny-Lengrain dans l'Aisne, mais encore le canadien McCain (250 millions d'euros de chiffre d'affaires en France), dont le siège social français est basé à Harnes, près de Lens, sans oublier le néerlandais Aviko qui s'approvisionne beaucoup  en France. On pourra bientôt ajouter le poids lourd belge Clarebout Potatoes (650 millions d'euros), qui a prévu d'installer une nouvelle usine près de Dunkerque, en plus de son usine à Comines-Warneton en Wallonie.

La filière française de la fécule possède, elle aussi, ses leaders mondiaux, à savoir Roquette (3,9 milliards d'euros de CA) qui se fournit notamment auprès de la Coopérative féculière de Vecquemont (950 producteurs en Hauts-de-France et Normandie), et Tereos le groupe coopératif sucrier français (ex Béghin-Say) qui, fort de ses 12.000 agriculteurs adhérents à travers le monde, affiche un chiffre d'affaires international de 4,3 milliards d'euros.

Coût exorbitant du stockage au froid pour empêcher la germination

En plus des mauvais rendements, ce qui inquiète aussi la profession, c'est que des pommes de terre stockées commencent déjà à germer... Et puisque certains produits phytosanitaires pour empêcher le phénomène sont désormais interdits, la solution passerait par la baisse de la température des entrepôts frigorifiques.

Sauf que, là encore, les coûts de l'électricité explosent, les différentes unions professionnelles ayant déjà fait état, début octobre, de factures en augmentation de plus de +500%. « En passant en moyenne de 50-60 euros/MWh à 550-600 euros/MWh, les surcoûts sur les produits stockés ne correspondent pas aux prix annoncés au printemps », souligne le président de l'UNPT.

Toutes exploitations et types de stockage confondus, c'est en moyenne un coût de stockage à la tonne (en groupe froid) qui passerait déjà de 8 euros à... 28 euros la tonne (voire 70 euros pour certains contrats). À multiplier évidemment par un volume moyen de 2.000 tonnes par stockage... et par une durée qui peut aller jusqu'à dix mois !

La crainte que les agriculteurs se tournent vers d'autres cultures

Comme si les problèmes de rendement et du prix de l'électricité ne suffisaient pas, la filière a déjà dû faire face, depuis la guerre en Ukraine, à des hausses inouïes sur les prix des engrais azotés (le gaz entrant également dans la composition des intrants de synthèse) et doit composer désormais avec les prix du carburant pour le transport. Sauf que, sur le marché à terme, le cours de la pomme de terre se négocie toujours aux alentours de 25 euros les 100 kilos.

« Au final, les prix contractuels négociés en début d'année ne couvriront donc pas les coûts supplémentaires auxquels les agriculteurs devront faire face dans les semaines et mois à venir », assure le président de l'UNPT, qui redoute que certains producteurs n'optent l'année prochaine pour d'autres cultures.

Le risque pour la France de perdre son rang de 1er exportateur mondial

La France compte quand même garder son rang de premier exportateur mondial de pommes de terre, un rang stratégique « pour la défense de la souveraineté alimentaire nationale et européenne », rappelle l'UNPT.

Sur la campagne 2021-2022, selon les douanes françaises, la France a produit 8 millions de tonnes de pommes de terre, majoritairement cultivées dans les Hauts-de-France. Et a envoyé environ 1,9 million de tonnes ailleurs en Europe (très exactement 673.000 tonnes en Belgique, 573.000 en Espagne, 329.000 vers les pays de l'Est et 283.000 en Italie).

Une réunion de crise a donc été organisée au ministère de l'Agriculture et de la souveraineté alimentaire afin de mettre en place un plan d'urgence.

Soutien à la trésorerie pour aider les agriculteurs à replanter

D'abord, avec un mécanisme de soutien de la trésorerie des agriculteurs afin qu'ils puissent replanter des pommes de terre l'année prochaine.

Ensuite, via un dispositif de sauvetage de la filière féculière, avec la revalorisation des aides au sein de la politique agricole commune (PAC). Mais de combien ? « Nous avons demandé 500 euros de l'hectare contre 80 euros (soit 9 millions d'euros au total d'aides contre 1,7 million aujourd'hui), mais nous n'avons, à ce jour, toujours pas eu de réponse », regrette le président de l'UNPT. « Quand on estime qu'il faut engager, tout compris, 5.000 à 8.000 euros de l'hectare pour démarrer une culture de pommes de terre, les agriculteurs vont-ils continuer à avoir la trésorerie nécessaire dans le contexte actuel ? Sachant que nos coûts de production ont déjà augmenté de près de 40% depuis la période post-covid ».

« Les agriculteurs belges et français seront les plus durement touchés »

La situation en France n'est pas un épiphénomène puisque la production 2022 du nord-ouest de l'Europe est également impactée par le changement climatique, mais en moindre proportion, avec un repli estimé de 7% à 11%.

Le quatuor de tête des pays producteurs, à savoir Allemagne, Belgique, France et Pays-Bas, ne récoltera que 20 à 21 millions de tonnes.

Et contrairement à l'épisode caniculaire de 2018-2019, il y a fort à parier qu'aucune pomme de terre ne viendra des gros producteurs de l'Est, et notamment la Pologne et l'Ukraine. Et ce, « alors même que la demande de l'industrie agroalimentaire et des consommateurs reste très forte », rappelle Xavier Bertrand, président du conseil régional des Hauts-de-France, qui a interpellé le ministre Marc Fesneau sur la situation.

L'élu a aussi rappelé que, du côté de la filière de la fécule, le site industriel de  Vecquemont, dans la Somme, « pourrait se trouver en péril sans soutien de l'État face à ses intempéries ». La coopérative fondée en 2011 a connu sa pire année, la teneur en fécule des pommes de terre étant très basse (alors qu'il faut déjà en temps normal 5 tonnes de pommes de terre, « à 17% de richesse », pour extraire 1 tonne de fécule).

« Les agriculteurs belges et français seront les plus durement touchés (environ -20% pour les Belges), alors que les producteurs néerlandais (notamment ceux situés au nord des « grands fleuves où davantage de précipitations ont été enregistrées) le seront beaucoup moins », estime le NEPG (Groupe des producteurs de pommes de terre du Nord-ouest européen / North-western European Potato Growers, NEPG), représentant 11.500 producteurs produisant entre 10 et 11 millions de tonnes de pommes de terre.

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Commentaires 3
à écrit le 28/10/2022 à 21:15
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Pas des pommes de terre pour McDonalds etc. donc pour prioritiser les foyers et éviter l’énorme gaspillage de l’industrie de fast food. Pendant le confinement on avait un grand surplus de pommes de terre. Avec les changements climatiques et stress su...

à écrit le 21/10/2022 à 10:17
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je pense qu'il faut vite accuser le covid ukrainien, et donc demander des compensations sociales et tolerantes a l'euro pres

à écrit le 21/10/2022 à 9:59
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Une production plus faible est un gage de qualité.

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