« Le patinage meurt à petit feu » (Adam Siao Him Fa, patineur artistique)

ENTRETIEN- Le double champion d’Europe veut dépoussiérer l’image de son sport. Et, à 23 ans, il espère monter en grade lors des Mondiaux au Canada, qui démarrent demain.
Finale du Grand Prix 2023, le 9 décembre, à Pékin.
Finale du Grand Prix 2023, le 9 décembre, à Pékin. (Crédits : © LTD / MARK R. CRISTINO/EPA/MAXPPP)

Brian Joubert est le plus récent patineur français médaillé d'or en individuel aux championnats du monde. C'était en 2007. Adam Siao Him Fa, qui s'est inspiré du Poitevin, postule à 23 ans à un premier podium mondial à Montréal (Canada) cette semaine. Ses deux titres européens, le dernier en janvier à Kaunas (Lituanie), en font un client attendu. Il s'investit également pour la modernisation du patinage, en danger d'après lui.

LA TRIBUNE DIMANCHE - Un double champion d'Europe est-il très attendu au niveau mondial ?

ADAM SIAO HIM FA - Le podium est possible, mais je me concentre sur la performance plus que sur le résultat. Être dernier avec une prestation dingue aurait plus de valeur à mes yeux que d'être premier avec un programme moyen. Le classement dépend tellement des autres patineurs et des juges, qui ne sont pas toujours justes. Je sais ce que je vaux, à voir si les juges sont d'accord ou pas. On doit faire avec la subjectivité du système de notation en vigueur.

Vous arrive-t-il de noter les chauffeurs ou les livreurs ?

Ça m'arrive. Une seule fois, j'ai donné une mauvaise note à un chauffeur qui avait fait un détour sans raison à Nice, m'assurant que la course serait plus rapide. Sauf que je connaissais la route pour l'aéroport, et j'avais raté mon vol.

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Vous patinez depuis l'âge de 4 ans. Ça a été un coup de foudre ?

Non. La première fois, j'ai tenu quinze minutes et je me suis mis à pleurer car je ne comprenais pas ce que je devais faire. Mais j'y suis retourné le lendemain, pour faire des sauts, comme mes deux frères. Ils ont arrêté le patinage vers 15 ou 16 ans, donc je me suis inspiré d'autres personnes : Brian Joubert, Patrick Chan ou Alexeï Iagoudine, plus tard Yuzuru Hanyu et Nathan Chen [tous champions du monde]. Si je n'ai fait du patinage qu'en club, j'ai aussi pratiqué le wakeboard, le volley et l'escalade pour m'amuser.

En grandissant, j'ai découvert le plaisir de patiner en se laissant porter par la musique

Adam Siao Him Fa

À 15 ans, vous passiez à Tout le sport sur France 3. Inhibant ?

Non, car je ne me rendais pas du tout compte de l'impact que ça pouvait avoir. J'étais dans ma bulle, à faire mon truc sur les patins, sans faire attention au reste. J'étais très porté sur les jeux vidéo. Aujourd'hui encore, surtout League of Legends, qui me détend et me permet de faire de la compétition d'une autre façon. Au collège, j'ai aussi commencé la guitare.

Quels sauts affectionnez-vous ?

J'adore le quadruple boucle piqué, le quadruple lutz et le backflip, que j'ai tenu à remettre dans mon programme car ce saut va ouvrir la porte à plein de nouvelles figures. C'est intéressant d'inventer, j'ai plein d'idées. Notre sport a énormément évolué depuis vingt-cinq ans mais il doit encore se développer car j'ai l'impression que le patinage meurt à petit feu, du moins en France. Il est beaucoup moins développé qu'il l'était il y a vingt ans. J'aimerais contribuer à lui donner un coup de neuf et montrer à tout le monde qu'il est accessible. Il n'y a pas d'âge pour patiner. Depuis l'enfance, je rêve de gagner une médaille olympique, mais en même temps mon but est de rester sur la glace le plus longtemps possible et de continuer à me faire plaisir. Je vise d'abord la performance et la longévité, ensuite le résultat.

Sur le plan artistique, le patinage est-il ringard ?

Pour le moderniser, on n'est pas obligé d'aller vers des musiques urbaines ou plus jeunes. Je suis favorable à la nouveauté, mais ça peut passer par la chorégraphie, même sur des musiques vieillottes, l'arrangement musical, les costumes ou le thème du programme. Il y a toute une idée à construire avec un chorégraphe et un coach. J'essaie de me démarquer et d'avoir mon propre style, afin que mes programmes ne ressemblent pas à ceux des autres. Surtout, j'ai besoin de sentir la musique, car je ne me verrais pas exécuter un programme que je n'apprécie pas.

La proposition musicale vient-elle de vous ?

Parfois. De mon staff aussi. Il est plus facile de patiner sur une musique pop en gala qu'en compétition, où les contraintes sont nombreuses : durée, nombre de sauts. J'écoute de tout : Kanye West ou DMX, Je te laisserai des mots de Patrick Watson ou du classique. Je suis capable de m'amuser sur des univers très différents. Je suis devenu sensible à l'aspect artistique alors que, adolescent, tout ce qui m'intéressait c'était de réaliser des sauts. En grandissant, j'ai découvert le plaisir de patiner en se laissant porter par la musique.

Est-il vrai que vous pensez beaucoup sur la glace ?

Oui, à tout le côté technique : le placement des sauts, le relâchement, les appuis. Mais aussi à l'expression du visage pendant la chorégraphie. Quelquefois, je me force à ne penser à rien car ça m'aide à me décontracter. Mais je dois dire que le laisser-aller est un peu moins dans ma nature. J'apprends.

Gagnez-vous votre vie ?

Depuis deux ans. J'ai un salaire, des aides du club, de la fédération et du ministère des Sports. Hors saison, je fais des spectacles et je réinvestis l'argent gagné dans mes intervenants, mes stages, mes déplacements. Je mets aussi de côté pour l'après-carrière. Entre les galas et l'indispensable récupération, ça demande une grosse planification. La compétition reste ma priorité, donc il ne s'agit pas d'avoir une surcharge. À côté, j'étudie la communication digitale et le webdesign dans une école en ligne. J'étais bon élève en présentiel, j'ai eu plus de mal avec les cours par correspondance mais j'ai eu mon bac scientifique. Je ne travaillais pas beaucoup, mais en m'y mettant un mois avant c'est passé.

Des athlètes français ont étiré leur carrière pour participer à Paris 2024. Ce sera pareil pour vous si les Jeux d'hiver en 2030 étaient bien attribués aux Alpes françaises ?

Oui. Je dois entretenir mon corps d'ici là. Le dos, les genoux et les chevilles prennent des chocs monstrueux, donc je fais en sorte d'atténuer ces douleurs en m'échauffant beaucoup. Avec la fédération et mes coachs, on s'est mis d'accord pour créer une structure afin de me préserver et durer. Depuis que je m'entraîne à Nice, avant le premier titre européen, je suis très entouré : kinés et ostéopathes, préparateurs physique et mental, nutritionniste, prof de danse et chorégraphe. On a réfléchi point par point à mes besoins.

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