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La reprise sera inclusive ou ne sera pas

Pour advenir, le nouveau capitalisme, issu notamment des crises – environnementale, sanitaire, économique – actuelles, devra faire la part belle à l’intelligence collective et à tous ceux que l’ancien monde a eu tendance à exclure. C’est vrai pour les femmes, bien sûr, mais aussi les personnes en situation de handicap, les jeunes, les seniors, les LGBTQ+, les réfugiés… Tout le monde doit monter à bord ! (Cet article est issu de T La Revue de La Tribune - N°4 Avril 2021)
(Crédits : Istock)

Pourquoi reléguer certains aux marges de la société ? Pourquoi refuser une deuxième chance à ceux que la vie a malmenés ? Pourquoi la société se priverait-elle de ces talents inexploités ? Si ce questionnement a redoublé avec la crise sanitaire et économique, qui a mis en lumière les faiblesses de l'ancien monde, dans lequel il valait mieux être riche et bien portant, connecté et diplômé que pauvre et malade, la question de l'inclusion était prégnante depuis déjà quelques années. Elle taraudait personnel politique et dirigeants d'entreprises. D'ailleurs, « pourquoi les entreprises ne seraient-elles pas le reflet de la société ? », remarque Yann Tanguy, délégué général de l'association Les entreprises pour la Cité créée en 1986 par Claude Bébéar. Cet impératif a peu à peu pris corps dans l'économie, à la faveur d'une série d'évolutions culturelles et de pratiques dans les affaires. Du fait des défis, très médiatisés, liés aux migrations ou à la montée des extrêmes en politique, sans oublier la volonté d'être eux-mêmes au travail, quelles que soient leur origine culturelle, leur orientation sexuelle ou leur âge, les salariés y sont devenus de plus en plus sensibles. Et ils préfèrent, de même que les candidats à l'embauche, travailler dans une organisation qui cultive l'inclusivité. C'est donc une question d'attractivité et de rétention des talents pour les employeurs. En outre, à mesure que les baby-boomers se retirent du monde du travail, la relève est assurée par des jeunes pour qui la notion d'inclusivité, ne serait-ce que celle des femmes, semble une évidence. De même, de plus en plus d'entreprises, tournées vers l'international, veulent ressembler aux communautés qu'elles servent et se sont davantage ouvertes à la diversité. Et bien sûr, il y a l'argument économique : « Les entreprises qui ont des pratiques inclusives en matière de recrutement, de promotion, de développement des talents, de leadership et de gestion des équipes génèrent jusqu'à 30 % de revenu par salarié en plus et une plus grande profitabilité que leurs concurrents », soulignait le cabinet de conseil Deloitte dans une étude de 2017. Mieux encore, l'Organisation Internationale du Travail estime que les entreprises inclusives ont environ 60 % de chances supplémentaires d'accroître leurs résultats. Pas étonnant que selon les données récoltées par Deloitte en 2019, « près de 80 % des DRH et dirigeants interrogés considèrent que la diversité et l'inclusion se révèlent être des avantages compétitifs ». Même chose du côté du cabinet Willis Towers Watson, qui a mené l'enquête l'an dernier sur ce sujet auprès d'une centaine de DRH d'entreprises de toutes tailles, dans divers secteurs, en France et à l'étranger, et qui a découvert que les préoccupations concernant la diversité et l'inclusion prennent de plus en plus d'importance, puisqu'elles sont considérées comme prioritaires par 31 % des répondants, contre 20 % l'année précédente. Ce n'est évidemment pas encore suffisant, mais c'est tout de même un signe que si certaines entreprises ont pu se montrer sourdes à cet impératif moral ou même aux arguments économiques, elles le sont de moins en moins... Et à l'heure où les dirigeants d'entreprises revisitent leur façon de faire des affaires, pour y ajouter du sens, exigé par leurs salariés, de même que par de plus en plus d'investisseurs, « il n'est plus question d'opposer performance économique et performance sociale », tranche Yann Tanguy, précisant que le réseau Les entreprises pour la Cité compte aujourd'hui 150 membres qui se mobilisent sur les 25 critères de discrimination définis par la loi, dont l'égalité hommes/femmes et le handicap, mais aussi pour les jeunes issus de milieux défavorisés ou les réfugiés, entre autres, les uns en sensibilisant les collégiens et professeurs aux métiers d'avenir, comme le numérique, les autres en s'associant avec des partenaires pour intégrer le plus de profils possible dans le monde du travail. « Le but est de révéler tous les talents », conclut Yann Tanguy.

Multiplication des initiatives

Au-delà de ces initiatives pionnières, d'autres, allant également dans le sens de l'inclusion, se sont multipliées ces dernières années. Ainsi, alors qu'en 2004, les jeunes adultes résidant dans les zones urbaines sensibles connaissaient un taux de chômage deux fois supérieur à la moyenne nationale (et il dépasse aujourd'hui les 40 % dans certaines communes de Seine-Saint-Denis), Schneider Electric a lancé, avec le soutien de Jean-Louis Borloo, alors ministre des Affaires sociales, le processus 100 Chances 100 Emplois, visant à accompagner des jeunes sur le chemin de l'inclusion dans la vie économique.

« Aujourd'hui c'est un réseau d'entreprises, de grands groupes, d'entreprises de travail temporaire, de PME, TPE..., présent dans 40 villes en France. C'est le réseau des jeunes qui n'en ont pas. L'an dernier, nous avons accompagné, avec le soutien d'un partenaire emploi - souvent la Mission Locale, plus de 1 000 jeunes pour qu'ils travaillent leurs projets professionnels, leurs éléments de langage, leur motivation, se familiarisent avec les codes du monde du travail, simulent des entretiens d'embauche... Puis ils présentent leur projet devant des entreprises et des organismes partenaires et nous les accompagnons dans la recherche d'un contrat en alternance, d'un CDD, d'un CDI, d'une mission en travail temporaire. C'est beaucoup plus qu'un simple parrainage », détaille Didier Coulomb, directeur Insertion chez Schneider Electric et délégué général de 100 Chances 100 Emplois.

« Nous estimons avoir réussi s'ils trouvent un poste d'une durée supérieure à six mois et notre taux de réussite est de 70 % », complète-t-il. Les exemples abondent, mais il en choisira un, celui d'un jeune à Bordeaux, un peu perdu et aujourd'hui patron d'un fast-food. Et puis un autre, aussi : ce jeune réfugié qui ne parlait pas le français, en apprentissage en bac pro chez Engie... En outre, Didier Coulomb représente Schneider Electric dans le collectif pour une économie plus inclusive, lancé en 2018, au plus fort du mouvement des Gilets Jaunes, par Emmanuel Faber et 13 PDG, pour mettre davantage la puissance économique de leurs entreprises « au service du progrès social et sociétal ». Aujourd'hui, le collectif compte 35 membres, dont Accor, Adecco, AG2R La Mondiale, AXA, BNP Paribas, Carrefour, Crédit Agricole, Crédit Mutuel, Danone, EDF, Engie, Groupama, Korian, L'Oréal, Orange, Rexel, Schneider Electric, Sonepar, Suez, Transdev, Veolia... « Nous participons ou organisons avec des partenaires, dont Pôle Emploi, des forums de recrutement, du job dating, des sessions de coaching pour accompagner celles et ceux qui en ont le plus besoin vers des contrats d'alternance et de formation ou des métiers, dans dix villes en France. Ce collectif a aussi une action autour des achats inclusifs, auprès d'entreprises de l'économie sociale et solidaire, des PME, des quartiers prioritaires de la politique de la ville, du secteur adapté. Cette démarche s'inscrit dans un contexte d'engagement des entreprises mais aussi de l'État, qui a lancé des initiatives comme La France Une Chance, le PaQte avec les Quartiers pour Toutes les Entreprises, le plan 1 jeune 1 solution. D'ailleurs, il faut un partenariat public/privé pour que l'impact soit au rendez-vous sur le terrain », ajoute-t-il.

Accroissement des inégalités

Par ailleurs, en août 2019, 34 multinationales (dont, en France, AXA, BNP Paribas, Caisse des Dépôts, Danone, Engie, Kering, L'Oréal, Michelin, Renault, Schneider Electric, Sodexo, Veolia, Vinci...), se sont réunies au sein du Business for Inclusive Growth (B4IG), lors du sommet du G7, à Biarritz. Cette coalition s'est engagée à verser un total d'un milliard de dollars pour lutter contre les inégalités. Car les données de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) sont sans appel : si le taux d'extrême pauvreté a décru dans certaines régions du monde, dont la Chine, il a augmenté dans d'autres, en Afrique subsaharienne, notamment. De même, dans les pays de l'Organisation, les plus développés de la planète, le fossé entre riches et pauvres n'a cessé de se creuser. Au point que le revenu des 10 % les plus riches est aujourd'hui neuf fois plus élevé que celui des 10 % les plus pauvres. Il y a 25 ans, ce multiple n'était « que » de sept... Or ce phénomène a un prix. Il est élevé. Pour les exclus de la prospérité, évidemment, mais aussi pour la société dans son ensemble : coût des transferts sociaux, de la santé, de la sécurité, mais aussi migrations, manifestations, manque à gagner pour les entreprises. Pis, avec la crise sanitaire, ce sont plus de 150 millions de personnes, dans le monde, qui pourraient basculer cette année dans l'extrême pauvreté, selon la Banque Mondiale, dont environ un million de personnes en France, d'après les estimations d'associations caritatives. Or, comme le dit Bénédicte Faivre-Tavignot, directrice exécutive de l'Institut Society & Organizations, en charge de l'économie inclusive, à HEC Paris, « l'accroissement des inégalités n'est ni éthique, ni soutenable. Nous arrivons aux limites du précédent modèle. Les besoins essentiels de certains - santé, travail, mobilité... - ne sont pas assurés pendant que d'autres continuent de s'enrichir au-delà du raisonnable. De quoi créer en effet du mécontentement, voire une montée des populismes et de la violence ». Seule solution donc : inclure, toujours et encore... En cela, « les entreprises peuvent être guidées par la raison d'être qu'elles se seront choisie et aligner leur stratégie et leurs activités autour de priorités, sans oublier de s'intéresser à des sujets moins directement reliés à la raison d'être », précise la spécialiste d'HEC.

Mais la crise ne va-t-elle pas, en particulier sur le marché de l'emploi, avoir un « effet d'éviction » pour ceux qui n'ont pas le « profil classique » ? Après tout, compte tenu d'un taux de chômage qui menace de grimper, les entreprises auront l'embarras du choix pour embaucher... Pourquoi, dans ces conditions, aller chercher des candidats en situation de handicap, des jeunes sans diplôme, des personnes éloignées de l'emploi ? « Nous sommes conscients de ce danger, d'autant que la distanciation sociale éloigne de fait la diversité... Mais nous disons aux entreprises qu'il ne faut pas baisser la garde, d'autant qu'elles auront, si elles veulent tirer leur épingle du jeu en période de reprise, besoin d'innovation et de créativité. Or cela ne peut venir que de profils variés. Et nous voyons des signes encourageants en ce sens », souligne Yann Tanguy.

Inclusion tous azimuts

« Nous sentons un besoin plus grand de cohésion sociale et une accélération de la transformation des entreprises vers le partage. La crise a remis l'humain au centre », confirme d'ailleurs Anne-Laure Thomas, coprésidente de l'Association française des managers de la diversité (AFMD). Ne serait-ce que pour sortir de l'isolement ou de l'oisiveté forcée, il semble que chacun veuille désormais s'engager et agir. D'ailleurs, la crise sanitaire et économique a fait émerger de nouveaux thèmes en matière d'inclusion qui sont maintenant pris en compte. Les difficultés des jeunes étudiants privés du petit job leur apportant un appoint financier, l'isolement des salariés dû au télétravail, la fragilité des seniors, les violences conjugales... « Il y a désormais une perméabilité entre société civile et entreprises, et les périmètres s'élargissent », relève à cet égard Maya Hagege, déléguée générale de l'AFMD, et qui poursuit ainsi : « En outre, nous assistons à une professionnalisation de la fonction diversité et inclusion dans les entreprises. Celles qui avaient déjà mis en place des actions en faveur de l'inclusion et de la diversité ne peuvent qu'accélérer. C'est toujours le bon moment pour actionner les leviers et aujourd'hui encore plus qu'hier ». Il s'agit, selon Bénédicte Faivre-Tavignot, « de déployer en France comme à l'étranger des mesures innovantes, construites par les entreprises, l'État et la société civile, afin de s'assurer que tous voient leurs besoins essentiels satisfaits et que les jeunes soient mieux accompagnés dans leur accès au monde du travail ». Sinon, prévient-elle, « ce ne sera pas la reprise, mais le chaos ». D'autant plus, souligne cette experte, « que nous avons à moyen terme une nouvelle crise devant nous, celle des migrations dues notamment au réchauffement climatique. C'est un défi majeur ». Tout l'enjeu aujourd'hui est donc de créer un monde d'après qui soit plus inclusif - et plus durable.

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Cet article est extrait de "T" La Revue de La Tribune n°4 - S'engager et agir - Avril 2021 - Découvrez la version papier

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Commentaires 2
à écrit le 29/07/2021 à 20:58
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BIentôt, ils vont nous expliquer que la diversité génère plus de prix nobel ... C'est d'ailleurs démontré par le haut conseil des technocrates parisiens de la rue saint guillaume ...

à écrit le 27/07/2021 à 14:11
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Il se détache surtout une dictature financière encore plus repoussante et abjecte car entre les mains des personnages les moins éclairés de la planète ces gens là étant dévorés par leur pathologie cupide. Ensuite c'est vous qui avaez raison d'essayer...

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