Crash de startups (1/2) : Quibi, 1,75 milliard de dollars partis en fumée pour celui qui devait ringardiser Netflix

SERIE D'ETE. Certaines startups pensent qu'elles changeront le monde, mais la plupart échouent. Cet été, La Tribune revient sur quelques-uns des échecs les plus spectaculaires. Aujourd'hui, l'américain Quibi, le "Netflix des formats courts". Une véritable bulle qui a englouti 1,75 milliard de dollars de capitaux avant de se fracasser en quelques mois sur la réalité du marché.
Sylvain Rolland
(Crédits : Reuters)

Quibi avait tout pour réussir. Une idée novatrice, résumée par un slogan accrocheur : le "Netflix des formats courts". Une innovation technologique impressionnante : l'image s'adapte automatiquement à la manière de tenir le smartphone -à l'horizontal ou à la verticale-, sans aucune perte de qualité. Une innovation d'usage indéniable : des formats courts, conçus et produits pour être regardés en mobilité -dans le train, le bus, la future voiture autonome- ou lors d'une petite pause en télétravail. Bref, Quibi, c'était le divertissement de demain, un Netflix en plus moderne et en plus pratiques pour les jeunes générations pressées et hyperconnectées.

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Une hype énorme

L'annonce du projet, en 2018, a fait l'effet d'une bombe. Le pedigree des deux cofondateurs ne pouvait déboucher que sur un énorme succès. Un duo de choc, mariage improbable et irrésistible entre Hollywood et la Silicon Valley. Du côté d'Hollywood, Jeffrey Katzenberg, ancien patron de Disney et ex-dirigeant de la chaîne NBC dans les années 1990. Un grand nom dans le milieu de la télévision, connu pour avoir fait partie de la dream team qui a déniché les perles "Friends" ou "Urgences" pour NBC dans les années 1990. Du côté de la baie de San Francisco, Meg Whitman, ex-patronne d'eBay et de Hewlett Packard, qui n'est rien de moins que l'une des femmes les plus influentes de la tech américaine.

Avec un tel "power duo" aux commandes, l'argent n'a pas tardé à couler à flots. Tout le monde voulait être du "next big thing". Avant même le lancement de son service, Quibi a levé 1,75 milliard de dollars en deux ans, mise à profit pour développer la plateforme et financer les premiers contenus. Grâce à cet argent, la plateforme a pu attirer les plus grands noms d'Hollywood devant et derrière la caméra, de Steven Spielberg à Jennifer Lopez, en passant par Guillermo del Toro, Queen Latifah, Naomi Watts, LeBron James, Tom Cruise, Idis Elba ou encore les frères Farrelly. Entre autres.

Le trublion d'Hollywood s'est même permis un lancement en fanfare en avril 2020, au moment où la planète se confinait pour la première fois à cause du Covid-19 et basculait massivement vers le streaming vidéo pour tromper l'ennui et l'angoisse. Netflix, Disney+, Amazon Prime Video et consorts allaient voir ce qu'ils allaient voir : la tornade Quibi débarquait pour les ringardiser.

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Le tsunami annoncé n'était qu'une vaguelette

Mais le tsunami annoncé était à peine une vaguelette. Netflix et consorts n'ont rien senti. Et pour cause : malgré tous ses atouts, Quibi avait oublié l'essentiel : proposer une solution à un vrai besoin, basée sur un modèle économique pérenne. A la surprise de ses dirigeants et de leurs investisseurs, le public n'a pas eu faim des quick bites (petites bouchées) de Quibi.

La bulle s'est dégonflée aussi rapidement que la hype était montée : moins de six mois après son lancement, l'affaire était pliée et la startup mettait la clé sous la porte en septembre 2020. Au moment de mettre la clé sous la porte, moins de 2 millions d'abonnés s'étaient laissés séduire, d'après le Wall Street Journal, rendant inatteignable l'objectif minimum de 7,4 millions d'abonnés fixés à fin 2021. Une pilule difficile à avaler : aucun des 175 films, émissions et documentaires disponibles, découpés en 9.600 épisodes de 4 à 10 minutes, n'a fait le buzz. Malgré sa débauche de moyens et une grande médiatisation, Quibi a vécu sa courte vie dans l'indifférence générale.

Les erreurs de Quibi ont été nombreuses. Tout d'abord, un modèle économique bancal, avec un abonnement trop cher pour une valeur ajoutée faible par rapport à la concurrence. Le service demandait un abonnement de 5 dollars par mois avec publicités (8 dollars sans), pour bénéficier d'un petit catalogue de formats courts. Un tarif beaucoup trop élevé pour la cible -les jeunes, grands consommateurs de vidéos sur YouTube et les réseaux sociaux comme TikTok et Snapchat- et aussi par rapport à la concurrence. Effectivement, Disney+ et l'offre la plus basse de Netflix n'étaient pas beaucoup plus chers, mais ils proposent un catalogue pléthorique, qui se regarde aussi très bien en mobilité.

Ce fut la deuxième erreur de Quibi : penser que sa technologie, qui rendait le visionnage fluide à la fois avec un écran positionné à la verticale et à l'horizontale, associée avec des formats courts de moins de 10 minutes, allaient impulser un nouvel usage du streaming en mobilité. La fonctionnalité était certes séduisante et pratique, mais insuffisante pour révolutionner les usages, d'autant plus que la qualité vidéo des concurrents sur smartphone est loin d'être ridicule. Quant aux formats courts, difficile de faire payer un abonnement à des jeunes pour regarder ce type de contenus, qu'ils trouvent déjà sur YouTube en quantité astronomique, la qualité de la production important finalement assez peu, moins que l'adhésion au contenu lui-même.

Incapacité à trouver un repreneur et contentieux juridique

La crise du Covid-19 a également fait perdre à Quibi l'un de ses arguments phares : la promesse de regarder des contenus courts de qualité hollywoodienne en mobilité. Le confinement, puis la démocratisation et peut-être la généralisation dans les années à venir du télétravail, ont immédiatement ringardisé quelque peu le positionnement de Quibi, et ont certainement joué dans le refus des éventuels repreneurs.

Et ce fut le clou dans ce cercueil de Quibi : il n'était pas propriétaire de ses contenus. Pour attirer les talents, la plateforme leur promettait de leur reverser l'intégralité de la propriété intellectuelle de leurs programmes au bout de sept ans. Autrement dit, au moment de se vendre, Quibi n'a même pas pu monétiser ce qui fait la force de Netflix, ses contenus originaux, puisque aucun n'était amené à rester sur sa plateforme de manière pérenne. Pour ne rien arranger, la startup était engluée dans un contentieux avec Eko Interactive, un concurrent qui l'accusait de viol de brevets sur la technologie de "double écran".

On n'a pas encore trouvé la bonne recette pour exploiter les formats courts

Miser sur des formats courts et payants était un vrai pari. Mais si les fondateurs de Quibi avaient examiné les tentatives lancées avec la leur, ils auraient pu être refroidis. La France a été précurseur sur ce genre de contenus, sans qu'aucune initiative lancée ne rencontre de succès à ce jour. En novembre 2016, Vivendi (groupe propriétaire de Canal+) lançait son offre Studio+. La promesse : produire des contenus web de haute qualité, d'une dizaine de minutes également, à regarder principalement sur mobile. Le tout uniquement sur abonnement, de 4,99 euros par mois. Alors que l'offre peinait à rencontrer son public, le prix a été baissé à 2,99 euros par mois, puis le service a été arrêté en catimini en septembre 2018.

Le concept a ensuite été repris par la startup française BlackPills, en 2017. Aux manettes : Patrick Holzman, cofondateur d'Allociné, et Daniel Marhely, fondateur de Deezer, avec au capital de la jeune pousse, Xavier Niel, le patron de Free. Là encore, l'ambition était identique : révolutionner le monde du streaming. Les projets, entre 6 à 14 minutes par épisodes, étaient dotés d'un budget moyen d'un million d'euros par production, précisait Daniel Marhely à l'époque du lancement.

Contrairement à Vivendi, BlackPills a misé sur une offre freemium (alliant gratuité et abonnement) très agressive. Il était possible de regarder gratuitement un épisode par jour, avec publicité. Pour accéder intégralement à une série, il fallait débourser 1,99 euro par saison. Face à la difficulté de trouver un modèle économique pérenne, la jeune pousse a opéré un pivot forcé courant 2019. La startup s'est transformée en studio de production de contenus pour des tiers, sous le nouveau nom de BlackPills Studio. Pour distribuer ses contenus, elle s'est depuis associée à des opérateurs télécoms (comme le bouquet Pickle TV d'Orange depuis 2018), mais aussi, ironie du sort, à Netflix. Elle y distribue notamment sa série originale "Bonding" ou encore le dessin animé pour adultes "Vermin".

Sylvain Rolland

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Commentaires 8
à écrit le 13/08/2021 à 13:58
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Manifestement c'est encore une success story à mettre au palmarès de Meg Whitman (HP Enterprise). Rémunérer Reese Whitherspoon 6 millions de dollars US pour faire une voix off d'un documentaire animalier (Fierce Queens) de 7 épisodes de 7 minut...

à écrit le 12/08/2021 à 23:58
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Ça me rappelle Theranos , belle start up qui allait disrupter les analyses sanguines et changer le monde. Le procès a lieu bientôt !

à écrit le 12/08/2021 à 19:14
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Point de célébrités chez nous ,devons nous nous inquiéter pour nos licornes et farfadets qui sont l'avenir du pays ?

à écrit le 12/08/2021 à 11:15
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En moins gros mais bien funny on a eu juicero, ça a bien fait marrer du monde.🐰

à écrit le 12/08/2021 à 7:45
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On se réfère aux personnes plutôt qu'aux projets ce qui est totalement idiot mais particulièrement représentatif de notre système reposant sur des réseaux de ce fait les investisseurs sont incapables intellectuellement d’appréhender tel ou tel projet...

le 12/08/2021 à 10:09
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Ces faibles comme vous les nommez vous dirigent, ne vous deplaise.

le 12/08/2021 à 11:12
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Je sais bien imais je n'arrive toujours pas à m'y faire et puis il faut bien que quelques témoignages sauvent l'honneur de l'humanité qui malgré tous les efforts qu'ils font pour la salir et la massacrer est magnifique.

le 12/08/2021 à 11:13
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Je sais bien imais je n'arrive toujours pas à m'y faire et puis il faut bien que quelques témoignages sauvent l'honneur de l'humanité qui malgré tous les efforts qu'ils font pour la salir et la masscrer reste magnifique.

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