Financement des startups : « La compétition entre les fonds est très intense » (Cyril Bertrand, XAnge)

ENTRETIEN. Parmi les plus anciens -et les plus renommés- fonds de capital-risque français, XAnge lance un nouveau véhicule d'investissement, XAnge 4, toujours spécialisé dans l'early stage, avec un premier closing de 125 millions d'euros. Cyril Bertrand, son managing partner, revient pour La Tribune sur la maturité du capital-risque français, la concurrence acharnée entre les fonds, les leçons de la crise du Covid-19, et pourquoi XAnge se tourne de plus en plus vers la deeptech et la santé.
Sylvain Rolland
Cyril Bertrand, managing partner chez XAnge.
Cyril Bertrand, managing partner chez XAnge. (Crédits : DR)

Avec 39 opérations menées en 2020 -35 levées de fonds et 4 exits-, le fonds XAnge fait partie des investisseurs en capital-risque les plus actifs de France. Créé en juillet 2004 sous l'impulsion du groupe La Poste et d'ABN-Amro, X Ange est, comme la French Tech elle-même, arrivé au stade de la maturité. Apprécié par les entrepreneurs, le fonds lance son quatrième véhicule d'investissement, baptisé XAnge 4. Souscrit à hauteur de 125 millions d'euros, il vise 200 millions sous gestion d'ici à la fin de l'année. Fera-t-il aussi bien que les trois premiers ?

Malgré quelques ratés, XAnge abrite effectivement quelques-unes des plus belles pépites de la French Tech, de Lydia (application de paiement mobile et de virements entre particuliers) à La Ruche Qui Dit Oui (réseau d'alimentation en circuit court), en passant par Ledger (portefeuille numérique pour crypto-actifs), Welcome to the jungle (recrutement) ou encore Evaneos, le "Airbnb du luxe". Des exemples parmi d'autres de la "technologie pour tous", au cœur de l'ADN d'XAnge d'après son directeur, Cyril Bertrand.

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LA TRIBUNE - XAnge lance ce jeudi son quatrième véhicule d'investissement, XAnge 4, doté pour l'instant de 125 millions d'euros. Comment comptez-vous attirer les meilleurs entrepreneurs à l'heure où l'argent afflue pour financer la tech et que les fonds se livrent une concurrence acharnée ?

CYRIL BERTRAND - Nous allons continuer faire ce que nous faisons très bien depuis presque vingt ans, c'est-à-dire repérer des pépites quand elles démarrent et les accompagner vers le succès, en privilégiant les innovations qui apportent de nouvelles solutions à des problèmes qui concernent tout le monde. XAnge 4 s'inscrit donc dans la continuité de nos trois premiers fonds, qui sont désormais fermés. Nous sommes et resterons spécialisé uniquement dans l'early stage, c'est-à-dire l'amorçage et la Série A, avec des tickets à partir de 300.000 euros et jusqu'à 10 millions d'euros. Comme toujours, nous voulons être investisseur principal [lead, Ndlr] ou co-investisseur principal, et nous avons aussi vocation à réinvestir ensuite dans les levées d'hyper-croissance des startups que nous finançons depuis le début.

Notre thèse d'investissement reste la même : les technologies pour tous. C'est pourquoi nous privilégions la tech qui n'a pas de mode d'emploi, les startups dans lesquelles nous investissons s'adressent au plus grand nombre. Cela nous permet de concilier des objectifs de performance financière en nous attaquant à des marchés profonds aux débouchés importants, à l'image des marques BtoC de confiance comme Lydia, mais aussi de viser l'innovation utile, qui entraîne des changements positifs dans la société, comme dans la santé, l'alimentation ou encore la deeptech. A terme, XAnge 4 gérera 200 millions d'euros et nous sommes très confiants de les obtenir étant donné que de nouveaux investisseurs nous ont déjà rejoints, en plus de nos partenaires historiques.

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C'est la première fois que vous mettez la deeptech et la santé au cœur de votre thèse d'investissement. Jusqu'à présent, ces secteurs, très spécifiques, attiraient peu les investisseurs généralistes. La deeptech ne vous fait plus peur ?

La deeptech est effectivement la grande nouveauté de XAnge 4. Et non, nous n'avons plus peur car nous avons tâté le terrain ces dernières années et nous sommes suffisamment sûrs de nous pour y aller à fond. La preuve, XAnge a aujourd'hui neuf startups deeptech en portefeuille, dont la solution de sécurisation des crypto-actifs Ledger, qui est devenue une licorne après une levée de 380 millions de dollars [312 millions d'euros, Ndlr] en juin dernier. En 2015, quand nous avions investi dans Ledger, XAnge était alors son premier investisseur institutionnel et cet investissement sonnait comme un pari fou, mais regardez où en est l'entreprise aujourd'hui.

Ce qui faisait peur dans la deeptech, c'est qu'on parle d'innovations de rupture, de technologies lourdes, avec des temps de maturation très longs et d'énormes besoins en capitaux avant d'envisager un retour sur investissement. Mais les choses ont évolué ces dernières années. Déjà, l'écosystème des investisseurs a compris que les deeptech peuvent révolutionner des marchés très grand public, donc il y a moins d'aversion au risque, surtout post-Covid avec l'accélération de la transformation numérique et l'afflux d'argent pour financer l'innovation.

Par conséquent, il y a de plus en plus de relais en late stage pour la deeptech, ce qui n'était pas le cas avant. Cela rassure les investisseurs early stage comme nous, car on sait que si on réussit à faire décoller la boîte, elle sera financée pour sa phase de croissance et on pourra réussir notre sortie. Le risque est donc moindre qu'il y a trois ans. Je constate aussi un changement de culture dans ce domaine. La "vieille génération" de chercheurs, si vous me passez l'expression, a fait place à de jeunes entrepreneurs qui pensent davantage business et qui exécutent à la même vitesse que les autres.

Même logique pour la santé ?

Oui, nous nous sommes rendus compte que les entrepreneurs recherchent un mix d'investisseurs. Certes ils veulent des fonds spécialisés santé ou deeptech, qui ont une connaissance très fine de leur secteur et de ses spécificités. Mais ils souhaitent aussi des fonds comme nous, qui sont capable de les faire grandir. Dans la santé, on ne se limite plus. La seule chose que nous ne ferons pas c'est le matériel chirurgical et invasif, mais tout ce qui relève de l'intelligence artificielle dans la santé, la santé connectée, nous intéresse beaucoup.

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Vous insistez sur le fait que XAnge restera un fonds d'early stage. Pourtant, avec l'argent Tibi et la popularité de la tech auprès des investisseurs institutionnels, de plus en plus de fonds early stage veulent aussi financer le late stage [les gros tours de table après la Serie B ndlr], où les retours sur investissements sont plus importants... Pourquoi ne pas suivre le mouvement ?

Le late stage n'est pas notre métier, donc pour nous c'était évident de rester concentré sur nos forces. Et puis tout le monde s'y met, ça va être une bataille de vikings. Nous pensons qu'il y a d'excellents collègues en France et en Europe qui font ça très bien, en plus de tous les nouveaux acteurs qui s'y mettent suite à l'argent Tibi [initiative qui pousse les bancassureurs français à investir dans la tech, Ndlr]. Surtout, c'est le late stage qui attire le plus les investisseurs internationaux. Notamment les Américains et les Asiatiques qui arrivent avec des moyens conséquents, des grands noms dans leur portefeuille, et qui veulent rafler les meilleures opportunités en France. Pour un entrepreneur, c'est difficile de résister quand un General Atlantic, un Goldman Sachs ou un Softbank propose un gros ticket pour faire de toi un géant mondial...

La compétition est moins féroce dans l'early stage ?

Le niveau de la compétition augmente partout, même dans l'amorçage. Pour tous ceux qui ont pratiqué l'investissement il y a vingt ans, cela nous rappelle qu'on vivait jusqu'à récemment dans un paysage de pionniers. Maintenant, l'écosystème devient mature, alors la compétition devient plus forte. La différenciation, la taille des fonds, la performance historique des fonds, deviennent très important pour attirer les meilleurs entrepreneurs, car ce sont eux qui décident qui ils font entrer dans le capital.

La crise du Covid-19 a redonné le pouvoir aux entrepreneurs ?

Aux meilleurs, oui. La conjoncture est favorable, l'argent est là, les fonds savent repérer les meilleurs entrepreneurs et sont en compétition pour les avoir. Les investisseurs de la vieille génération étaient habitués à dicter leurs termes, cela ne se passe plus comme ça aujourd'hui. Le rapport de force n'est pas totalement inversé, mais la conjoncture est très favorable et la tech n'a jamais été aussi attractive pour les investisseurs, car la transformation numérique est un mouvement inéluctable, qui touche tous les secteurs, et qui a été accélérée par la crise du Covid-19, à l'exception du secteur du tourisme.

De manière générale, le Covid a bénéficié à tout le secteur de la tech, investisseurs compris. Tous les fonds ont pris un coup sur la tête en mars 2020, mais le bilan un an et demi plus tard est que nous avons tous eu des performances boostées par le Covid.

C'est parce que le rapport de force tourne à l'avantage des entrepreneurs et que la concurrence est forte que vous communiquez beaucoup sur les succès d'XAnge ?

C'est le moment pour tous les fonds de se rappeler que le marketing, ce n'est pas que pour les startups. Le portefeuille de XAnge compte quatre licornes [startup non-cotée valorisée au moins 1 milliard de dollars, Ndlr] et nous avons accompagné l'an dernier deux introductions en Bourse (IPO), dont celle à 300 millions d'euros de Believe, qui devient un pilier de l'industrie du streaming musical. Notre positionnement historique sur la "technologie pour tous", qui est un autre nom pour dire "tech for good" ou "tech à impact", a montré sa pertinence puisque sur les treize startups françaises labellisées B corp et financées par le capital-risque, six sont dans notre portefeuille : Shine (sortie depuis), Omie & Cie, Welcome to the jungle, La Ruche qui dit oui, Ouihelp et Microdon (sortie depuis).

Nous mettons aussi en avant auprès des entrepreneurs notre capacité à préparer la Série B aux Etats-Unis, notamment parce que nous avons un managing partner américain, Nicolas Rose, qui est basé à New York. Les entrepreneurs, même les plus expérimentés, font beaucoup d'erreurs au moment d'entrer sur le marché américain, et avoir cette expertise fait partie de nos meilleurs arguments.

Propos recueillis par Sylvain Rolland

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