La startup de la semaine : Myrissi, l'IA qui traduit odeurs et couleurs en parfums

Toutes les semaines, La Tribune braque les projecteurs sur une pépite méconnue de la French Tech. Cette semaine, Myrissi. Créée en 2014 à Nancy, cette startup a développé une technologie de "traducteur sensoriel" mêlant intelligence artificielle (IA) et analyses comportementales pour corréler odeurs, couleurs et émotions. Son outil aide les professionnels à développer des produits, comme les parfums, et à élaborer des stratégies marketing.
Anaïs Cherif
(Crédits : Myrissi)

Un parfum boisé devrait-il opter pour un packaging aux couleurs chaudes ou au contraire, pencher pour des couleurs froides ? Pour percer le mystère des liens entre les couleurs, les odeurs et les émotions, la startup nancéienne Myrissi a élaboré un "traducteur sensoriel". Le but : aider les entreprises à développer des produits et affiner leurs stratégies marketing.

Comprendre et reproduire les émotions qui mènent à l'achat d'un produit

Créée en 2014, Myrissi a mis sur le marché sa technologie baptisée E-COs en 2017. Alliant intelligence artificielle et analyses comportementales, cet outil travaille sur l'articulation entre odeurs, couleurs et émotions pour provoquer l'acte d'achat chez les consommateurs. "Notre technologie propose deux usages aux professionnels : traduire les informations marketing en directions sensorielles, et vice-versa", explique Muriel Jacquot, co-fondatrice et directrice scientifique de Myrissi.

Dans le détail, E-COs permet au client de renseigner rapidement des informations marketing comme les images promotionnelles ou le type d'émotions recherchées. Le logiciel analyse ces données et propose des "directions olfactives ou aromatiques" pour mieux toucher le public-cible. Mais la démarche inverse fonctionne aussi. La technologie peut partir du produit fini - comme un parfum -, pour mieux "travailler sur le storytelling" et donc affiner la stratégie marketing. Dans ce cas de figure, Myrissi réalise des analyses chimiques en laboratoire ou se base sur une description olfactive des principales notes qui compose le produit.

"L'originalité de Myrissi est de replacer la perception du consommateur au cœur des développements des produits", affirme la cofondatrice. "C'est pourquoi nous jouons sur les synergies de ce qu'un consommateur imagine et ressent lorsqu'il regarde une publicité ou un produit. Inconsciemment, il se décrit des sensations. Plus l'utilisation du produit sera proche de l'image projetée avant l'achat, plus le consommateur sera satisfait."

Plus de 10 ans de recherches scientifiques

La startup cible principalement la parfumerie fine, le secteur du "home care et beauty care" (lessive, adoucissant, shampoing, gel douche...), mais aussi l'alimentaire (vins et spiritueux, café, thé, chocolat...). Elle commence tout juste à cibler les agences de communication.

Myrissi est née après plus de 10 ans de recherches scientifiques, impulsées par Muriel Jacquot, toujours enseignante-chercheuse à l'École supérieure d'agronomie et des industries alimentaires (Ensaia) de Nancy. "La recherche a débuté en 2004, suite à un appel à projets de la ville de Nancy, alors que je travaillais dans un laboratoire de physico-chimie", souligne-t-elle. "En parallèle, je donnais des cours à l'université de Lorraine sur l'évaluation sensorielle et le marketing. Tout cela a fini par se recouper."

L'intelligence artificielle de Myrissi repose sur "des bases de données propriétaires, c'est-à-dire que nous avons développées nous-même avec des tests consommateurs", affirme Muriel Jacquot. Plus de 25.000 personnes se sont prêtées au jeu des analyses comportementales, réalisées principalement en France, mais aussi en Angleterre, au Liban, à Taïwan et aux États-Unis. Dans l'Hexagone, Myrissi s'était associé au Palais de la découverte à Paris où pendant plusieurs mois, ils proposaient aux participants de sentir des odeurs et d'y associer une couleur pour traduire au mieux leur perception sensorielle.

Classification de 450 odeurs et 31 affects

Au cours de cette expérimentation, 450 odeurs ont été qualifiées en couleurs. Mais il manquait une brique essentielle : les émotions. "Venant du secteur de l'agroalimentaire, je ne connaissais pas le secteur de la parfumerie. Il a fallu un peu de temps pour comprendre le marché. Nous nous sommes rendus compte que nous ne pouvions pas parler parfum sans parler émotions", estime Muriel Jacquot.

"Nous avons tenté initialement de travailler sur le lien direct entre odeurs et émotions, mais cela n'a pas abouti. Le souvenir olfactif est très riche - c'est la fameuse madeleine de Proust ! C'est pourquoi les résultats obtenus étaient trop personnels, liés à des souvenirs intimes. Il était donc impossible d'en dégager de grandes tendances", analyse Muriel Jacquot.

Myrissi va alors travailler sur le lien entre couleurs et émotions entre 2014 et 2017, en réalisant un partenariat avec le Centre hospitalier régional universitaire de Nancy. "Nous faisions passer des IRM où nous projetions des couleurs. Cela nous a permis de démontrer que les couleurs ont une capacité d'activation olfactive : quand je vois des couleurs, cela m'aide à imaginer des odeurs, tout en activant des réactions affectives au niveau cérébral", détaille la cofondatrice. L'intelligence artificielle de Myrissi a ensuite intégré 31 affects différents, comme la joie ou la nostalgie, pour déterminer quelle humeur est censée s'accorder au plus juste avec telle odeur.

Vers une intelligence artificielle intégrant les 5 sens

La startup revendique actuellement une vingtaine de clients - principalement en France - dont 80% de grands comptes. Pour cibler spécifiquement les TPE/PME, la jeune pousse finalise une plateforme dédiée, disponible en SaaS (logiciel en tant que service, reposant sur une logique d'abonnement et non de licence) d'ici à la fin de l'année 2019. Pour les grands comptes, la solution est entièrement personnalisable afin d'intégrer le vocabulaire et la classification des notes propres à chaque entreprise. L'abonnement, variable selon le niveau d'engagement, démarre à 400 euros par mois et peut grimper jusqu'à "plusieurs milliers d'euros par mois", selon Muriel Jacquot. La jeune pousse, qui a réalisé un chiffre d'affaires inférieur à un million d'euros en 2018, n'est pas encore rentable.

Depuis sa création, la startup de 5 salariés a levé un total de 260.000 euros. Myrissi à l'ambition de lever 1,5 million d'euros l'année prochaine pour consolider sa position sur le marché. Elle vient d'intégrer en septembre l'accélérateur de startups du groupe LVHM, au sein de l'incubateur Station F à Paris. "Ce programme permet une relation privilégiée avec les 75 maisons du groupe", souligne Muriel Jacquot.

Myrissi souhaite aussi accélérer son développement. Car la technologie est loin d'avoir exploré tout son potentiel. À long terme, Myrissi aimerait obtenir un outil capable d'intégrer les 5 sens. C'est pourquoi elle mène actuellement des activités de recherche sur le toucher. En parallèle, la jeune pousse explore de nouveaux marchés. Sa technologie a été reconnue en janvier 2018 par la Cour d'appel de Nancy comme utile pour l'expertise judiciaire. En combinant composition chimique et représentation de la perception, l'outil permet de mesurer les proximités entre deux produits, et peut donc servir dans des litiges de concurrence déloyale et de contrefaçon, selon la cofondatrice. Myrissi fait également de la recherche pour des applications dans le domaine de la santé, comme le réapprentissage de l'odorat après une opération, par exemple.

Anaïs Cherif

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Commentaires 3
à écrit le 25/10/2019 à 22:37
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Classification de 450 odeurs et 31 affects ???? Il est évident qu'en fonction de l'odeur, je pense que nous tomberions d'accord pour dire que la matière fécale ne sent pas bon, mais la question des affects, ou plaçons nous les scatophages? Pour...

à écrit le 25/10/2019 à 11:29
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Si elle traduit le brun en odeur de m... c'est qu'il y a des possibilités de véritable intelligence... On ne sait jamais puisque il y a de fortes chances que l'IA soit découverte par hasard ! DE grâce dites le nous vite ! ^^

à écrit le 25/10/2019 à 11:12
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ca laisse reveur........ passer un reseau convolutif sur des images, ok, ca peut faire sens la on fait automatiquement plein de trucs subjectifs........ question subsidiaire, ca detecte les emotions? euh, c'est tres dur de detecter des emotions (...

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