
Face au déclin industriel de la France - le secteur pesait seulement 10% dans le PIB en 2019 contre 24% en 1980 -, l'État mise gros sur la French Tech et son corollaire, la French Fab (les innovations industrielles). « Aujourd'hui, les PME innovantes ne s'industrialisent pas en France. Soit elles sous-traitent leur production ailleurs, soit elles se font racheter leur R&D », déplorait en janvier 2022 la ministre de l'Industrie Agnès Pannier-Runacher, lors d'un déplacement dans les locaux de la startup Exotec, champion de la robotisation des entrepôts logistiques qui devenait alors la 25ème licorne française, et la toute première licorne industrielle du pays.
Accompagnée du secrétaire d'État au Numérique d'alors, Cédric O, les deux ministres lançaient un plan doté de 2,3 milliards d'euros, issus des fonds du PIA4 et du plan France 2030. L'objectif : réindustrialiser le pays en partie grâce aux startups, en levant les freins à l'aboutissement de leurs projets industriels. Et lancer au passage de nouvelles filières industrielles innovantes.
Ainsi, l'État s'est fixé un objectif pour le moins ambitieux, que certains qualifient plutôt d'intenable : créer, tous les ans, pas moins de 100 nouveaux sites industriels en France, d'ici à 2025. « La French Tech est la pierre angulaire de la réindustrialisation », déclarait en mars dernier Paul-François Fournier, le directeur exécutif de Bpifrance, à La Tribune. « Ce qui nous paraissait deux mondes distincts - le monde de la tech centré sur le numérique et le monde de l'industrie centré sur l'usine - sont en train de se marier et de s'enrichir l'un et l'autre », poursuivait-il en se réjouissant que la France compte déjà près de 1.900 startups industrielles sur un peu plus de 20.000, soit un peu moins de 10% du cheptel. Actuellement, un tiers d'entre elles évoluent dans l'industrie « classique » (électronique, photonique, robotique, impression 3D...), un autre tiers dans la santé (biotech et medtech), et un autre tiers dans le « green » (énergie, agro-industrie, valorisation des déchets, mobilité et transports). Près de 70% de ces pépites sont situées hors de l'Île-de-France... ce qui représente un atout non négligeable pour l'État dans sa stratégie de décentralisation de l'économie.
Quelques beaux arbres... mais pas encore de forêt
Pour créer ces nouvelles usines, le gouvernement mise sur les deeptech, ces startups qui exploitent une innovation de rupture. Fin 2022, les deeptech représentaient 44% de l'ensemble des startups industrielles du pays. 118 sites industriels de deeptech étaient actifs, à l'image de l'usine de Lactips, en région Aura, qui produit 1.500 tonnes de bioplastique par an pour remplacer les emballages issus de la pétrochimie, notamment pour les yaourts.
OVHCloud (datacenters), Ynsect et Innovafeed (unités de production d'insectes destinés à l'alimentation animale), tous trois basés dans les Hauts-de-France, Umiami (fabrication d'alternatives végétales à la viande et au poisson) dans le Grand-Est, Aledia (nouvelle génération d'écrans) à Grenoble, ou encore Verkor (batteries de véhicules électriques) qui va ouvrir à Dunkerque une gigafactory avec 1.200 emplois à la clé, incarnent aussi, avec Exotec et quelques autres, ce futur désirable de l'industrie française. Pour le gouvernement, l'industrialisation des startups contribue aussi à améliorer l'image écornée de la French Tech, en insistant sur l'utilité sociétale d'innovations technologiques au potentiel mondial, mais qui s'accompagnent d'un vrai projet industriel dans les territoires et pourvoient des emplois non-délocalisables qui revitalisent autour d'eux des zones sinistrées par le déclin industriel de la fin du XXè siècle.
« Nous avons la conviction que le modèle des startups est un vecteur de réindustrialisation et qu'il ne manque pas grand-chose pour créer un puissant effet de levier et dynamiser l'écosystème des startups industrielles, qui n'en est qu'à ses débuts en France », se persuade Paul-François Fournier.
Mais la mayonnaise a encore du mal à prendre. Malgré ces belles réussites qui font office de vitrine, malgré les moyens déployés et les ambitions affichées, seuls 18 projets d'usines portés par des startups ont vu le jour en 2021. Et en 2022, sur 62 projets espérés, seuls 16 se sont concrétisés d'après les chiffres de Bpifrance, en partie à cause de la crise du financement qui frappe le monde de la tech depuis un an. Or, « les projets d'usines portés par les startups, qui nécessitent parfois de repenser même les machines qui fabriquent leurs produits, sont extrêmement capitalistiques », a précisé Paul-François Fournier à La Tribune début avril, lors du forum Tech for Future.
La tech pour aider l'usine à se moderniser
Si les projets industriels des startups tardent à vraiment décoller, la French Tech peut aussi aider la « vieille industrie » à se moderniser grâce aux nouvelles technologies. L'enjeu : gagner en compétitivité et en productivité, réduire les coûts - notamment énergétiques - et redorer l'image peu glamour de l'usine. On part de loin : la France compte 177 robots pour 10.000 employés, contre 212 en Italie et 346 en Allemagne, d'après France Industrie.
Certaines startups ont choisi d'occuper ce créneau, comme la pépite Ewattch, basée dans le Grand Est. Pour aider les industriels dans leur effort de modernisation des sites de production, cette startup leur vend des capteurs connectés pour récupérer de la data, et des interfaces numériques pour les analyser, les visualiser, et prendre des décisions en conséquence. « L'analyse de la donnée a permis de réaliser des optimisations qui ont conduit certains clients à économiser jusqu'à 25% de leur consommation énergétique, ce qui est considérable dans une usine », déclarait son patron, Nicolas Babel, à La Tribune en 2021.
Les innovations sont nombreuses pour améliorer la productivité et réduire les coûts. Conçue spécialement pour les acteurs de l'industrie textile, la startup Tekyn commercialise une plateforme de pilotage de l'ensemble de la production, qui permet notamment de l'adapter aux besoins réels, donc de réduire les invendus, véritable fléau de ce secteur. Mais reste encore à savoir si les grands industriels comptent s'emparer massivement des outils technologiques des startups, ou si ces derniers resteront cantonnés à des marchés de niche.
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