Innover par l’hybridation est économe

CHRONIQUE - « Est hybride ce qui est mélangé, hétéroclite, contradictoire. Autrement dit, c’est le mariage improbable, c’est tout ce qui n’entre pas dans nos cases ! » Et si l’hybridation était la grande tendance à venir ? Pour T La Revue, Gabrielle Halpern* analyse les métamorphoses de notre société. (Cet article est issu de T La Revue n°15 – « Sobriété, frugalité, ingéniosité : comment innover autrement ? »)
(Crédits : Frédérique Touitou)

Les nouvelles technologies ont rendu notre imagination paresseuse, dans la mesure où dès que nous nous interrogeons sur l'avenir d'un métier, d'un objet, d'un lieu, d'un dispositif, d'une solution, nous sommes tentés de lui adjoindre immédiatement une dimension numérique, comme s'il n'y avait que le numérique qui pouvait sauver le monde ! C'est oublier que l'innovation peut revêtir de tout autres habits et que mille chemins sont possibles... La Nature, d'ailleurs, l'a bien compris, et procède d'une manière qui pourrait nous inspirer. « Rien ne naît ni ne périt, mais des choses déjà existantes se combinent, puis se séparent de nouveau », écrivait le philosophe grec Anaxagore. La Nature procède par hybridation d'éléments existants. C'est un processus dans lequel il n'y a ni création ni destruction - n'en déplaise à Schumpeter ! -, mais plutôt métamorphose permanente. Les créations ex nihilo n'existent pas ; pas plus que les disparitions absolues. Cela donne une image étonnante de la Nature, qui ressemble davantage à une marieuse qu'à une sage-femme ou un croque-mort... Si elle ne crée rien, elle innove, en revanche par réemploi, par circularité, par recyclage, par hybridation. Non, comme l'a reformulé le chimiste français Antoine Lavoisier (1743-1794), des siècles plus tard, « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ».

Mais la formule d'Anaxagore était plus précise, puisqu'elle donnait des détails de cette transformation : c'était un changement par combinaison ou « re-combinaison ». Nous ferions bien de nous en inspirer, parce que cette manière d'innover par l'hybridation est économe : faire une chose à partir de plusieurs choses, fabriquer un alliage insolite à partir de plusieurs matériaux, manufacturer un seul outil à partir de plusieurs outils, utiliser un lieu pour plusieurs usages et fonctionnalités, etc. Créer à partir de ce qui existe déjà, grâce à une recombinaison inédite.

L'hybridation pourrait être considérée comme une innovation par le recyclage. Le recyclage ou la circularité constituent d'ailleurs le mouvement même de la Nature, de la réalité. Même notre cerveau recycle d'anciennes fonctions cérébrales pour qu'elles remplissent de nouvelles fonctions. Oui, le recyclage - prenant la forme d'une recombinaison, d'une ré-articulation, d'une ré-association - est une vieille habitude du monde, sauf que nous l'avons oubliée et que nous détruisons sans cesse des ressources naturelles.

En renouant avec la Nature, dans une logique de biomimétisme, nous pourrions nous réapproprier son habitude d'hybridation de la matière, en l'étendant au matériel, comme à l'immatériel. Créer un nouveau monde, à partir d'autres mondes, c'est aussi savoir relier. Là où il y avait segmentation, silos, distinction, identité, - c'est-à-dire mille murs -, il peut y avoir désormais combinaison, mutualisation, coordination, coopération, hybridation... c'est-à-dire mille ponts !

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Commentaire 1
à écrit le 23/07/2023 à 7:59
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La nazisme était aussi une hybridation entre l'oligarchie et la barbarie, parfois l'hybridation il vaut mieux l'éviter.

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