
Prenant la parole au sujet des émeutes qui se déroulent en France depuis trois jours, Emmanuel Macron a pointé du doigt le « rôle considérable » joué par « les plateformes et les réseaux sociaux », « dans les événements de ces derniers jours ». « Nous avons vu sur plusieurs d'entre elles, Snapchat, TikTok et plusieurs autres, à la fois l'organisation d'événements violents se faire, mais aussi une forme de mimétisme de la violence ce qui, chez les plus jeunes, conduit à une forme de sortie du réel », a-t-il dénoncé. En conséquence, le chef de l'Etat entend contraindre ces acteurs à « organiser le retrait des contenus les plus sensibles » et à communiquer « l'identité de celles et ceux qui utilisent ces réseaux sociaux pour appeler au désordre ou pour exacerber la violence ». Des mesures déjà prévues par la loi, qui peinent néanmoins à être appliquées.
LA TRIBUNE : Emmanuel Macron veut contraindre les plateformes à retirer les contenus signalés comme appelant à l'organisation d'événements violents et à communiquer l'identité de leurs auteurs. Mais n'est-ce pas déjà ce que prévoit la loi ?
ALEXANDRE LAZARÈGUE - Oui. Il existe, en effet, plusieurs textes de loi dans ce but. À l'échelle européenne, le digital service act (DSA) qui date du 19 octobre 2022 va contraindre les réseaux sociaux, s'ils veulent avoir accès aux 350 millions de consommateur que représente le marché européen, à respecter la loi en leur imposant une réglementation assez rigoureuse.
À l'échelle de la France, la loi pour la confiance dans l'économie numérique, qui date du 21 juin 2004, permet de retirer des images, vidéos et messages et de demander l'identité de ceux qui ont émis ces contenus. Ce texte a d'ailleurs été régulièrement réformé pour renforcer la présence du droit sur les réseaux sociaux.
Car, pendant très longtemps, les réseaux sociaux se sont présentés comme une boîte aux lettres, considérant qu'ils n'avaient aucune responsabilité vis-à-vis des messages diffusés. Ils se considéraient ainsi comme de simples intermédiaires impliquant qu'il faille se retourner contre les individus. Or, s'ils n'ont pas de responsabilité a priori, ils doivent laisser aux utilisateurs la possibilité de notifier les contenus problématiques, qu'ils doivent supprimer dans les meilleurs délais. Au-delà des utilisateurs, le ministère public peut lui aussi s'adresser à un réseau social pour demander la suppression de messages et aussi demander qu'on lui transmette des informations sur l'identité des individus. Depuis quelques années, un parquet a d'ailleurs été créé à cette fin et qui est dédié aux problèmes de cybercriminalité et au respect des règles sur les réseaux sociaux. Sur le papier, tout a donc été fait pour que ces procédures soient accélérées, mais, la justice étant ce qu'elle est, cela reste relativement long.
En effet, cette réglementation ne semble pas toujours appliquée. Quels sont les freins?
Les réseaux sociaux représentent un marché très monopolisé occupé par quelques entreprises très puissantes avec lesquelles collaborer n'est pas chose aisée. Nous sommes donc un peu à la merci de ces groupes qu'on peine à contraindre à respecter la loi.
D'autant qu'ils ne sont pas situés en France. Ils sont soit en Californie ou au mieux en Irlande où se trouvent leurs sièges sociaux européens. Cela rend donc difficile pour les autorités européennes d'imposer des contraintes à leur égard.
Ils font un peu ce qu'ils veulent car ils n'ont finalement pas intérêt à ce qu'on supprime des messages violents, extrêmes ou radicaux. Le succès de ces plateformes repose sur la radicalité des messages qui y sont échangés. Contrairement à ce qu'ils disent, les réseaux sociaux ne sont pas qu'une boîte aux lettres. En effet, de nombreuses études [à commencer par le leaks des Facebook Files, Ndlr] montrent que les algorithmes de ces plateformes favorisent les messages radicaux et mettent beaucoup moins en avant les messages qui font consensus ou qui font la promotion du vivre ensemble. C'est incontestable. Nous sommes dans une économie de l'attention. Le but est de vous faire rester le plus possible sur le réseau social pour que vous puissiez être touchés par la publicité. Néanmoins, le Digital Services Act prévoit d'imposer une transparence quant à cet algorithme sur lequel sont basées ces plateformes, afin de savoir comment il est construit et fonctionne.
Deuxième élément : l'anonymat. Aujourd'hui il est possible de s'exprimer sous couvert d'anonymat. On peut, en effet, tromper les réseaux sociaux sur son identité en créant un compte avec un pseudonyme et il devient donc difficile de parvenir à vous identifier. Car lorsque vous vous exprimez dans l'anonymat, il y a une sorte de désinhibition quant aux propos que vous tenez car vous savez que vous ne serez pas démasqués et donc vous n'engagez pas votre responsabilité. Mais, les opposants à la levée de l'anonymat plaident pour le fait qu'il a permis à des lanceurs d'alerte de communiquer sur des informations ou de dénoncer des faits.
Notons également que de nombreux messages sont éphémères [ceux échangés sur Snapchat par exemple ont une durée limitée dans le temps, ndlr] et cela pose des difficultés pour se retourner contre les auteurs des messages concernés. Il faut demander la preuve, le contenu concerné, aux réseaux sociaux. Ces derniers peuvent archiver ces éléments au-delà des 24 heures de diffusion, et ce, dans une durée de temps réglementée. Mais encore faut-il qu'ils fassent preuve de bonne volonté.
Quelles évolutions selon vous ?
Le législateur, en France et en Europe, n'a pas cessé depuis ces dix dernières années de renforcer, contrôler, réguler les droits sur les réseaux sociaux et pourtant on voit bien qu'on n'y arrive pas. Ce qui pose encore et toujours la question de la levée de l'anonymat. Elle s'est déjà posée dans les débats, mais a été exclue pour l'instant. C'est pourtant une vraie question.
Quant à la responsabilité pénale des réseaux sociaux, elle ne peut être que difficilement engagée. Il est écrit dans la loi que si le réseau social ne supprime pas le contenu signalé dans un prompt délai, sa responsabilité peut être engagée, mais ça ne s'est encore jamais produit. Aucune décision de justice n'a jamais condamné pénalement un réseau social. Ne faut-il pas alors prendre à bras-le-corps ce sujet et mettre les réseaux sociaux face à leur responsabilité en considérant qu'ils sont pleinement responsables des messages sur leur plateforme ?
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