Les autorités antitrust américaines n'arrivent pas à épingler Amazon

Le géant du commerce en ligne vient de remporter deux victoires contre le régulateur américain, en finalisant son rachat des studios MGM et en obtenant le classement d’une plainte pour abus de monopole intentée par la capitale fédérale. Mais les adversaires des Gafams ne comptent pas lâcher le morceau pour autant.
(Crédits : Dado Ruvic)

Amazon vient de remporter deux victoires dans son bras de fer avec les autorités américaines de la concurrence. Vendredi, une cour de Washington a classé une plainte pour abus de position dominante déposée par un juge de la capitale fédérale américaine, qui reprochait notamment au géant du commerce en ligne d'empêcher aux entreprises vendant sur sa plateforme de proposer leurs produits à un coût inférieur sur un autre site.

Une pratique jugée anticoncurrentielle par Karl Racine, procureur général de Washington, qui a pointé que, les frais demandés par Amazon pour vendre sur sa plateforme pouvant aller jusqu'à 40% du prix de vente final, il serait normal que les vendeurs puissent fixer des prix inférieurs sur les plateformes rivales proposant des frais moins élevés. Amazon s'est défendu en affirmant que ce type de clause était courant dans l'industrie, et parfaitement légal. Un argument qui semble avoir convaincu la justice de Washington. Karl Racine a d'ores et déjà annoncé son intention de faire appel.

MGM appartient désormais à Amazon

La nouvelle est tombée alors qu'Amazon venait tout juste d'annoncer avoir complété l'absorption de Metro-Goldwyn-Meyer, vénérable studio hollywoodien qui possède un catalogue de plus de 4.000 films où figurent de nombreuses œuvres mythiques, dont les licences James BondRoboCop et Rocky, les films Autant en emporte le vent et Douze hommes en colère, mais aussi des séries plus récentes comme Vikings et La servante écarlate.

Le rachat, d'une valeur de 8,5 milliards de dollars, avait été annoncé en mai dernier, mais demeurait jusqu'à présent sous la menace d'un veto de la part de la Federal Trade Commission (FTC), le gendarme américain de la concurrence. La date limite dont disposait celui-ci pour s'opposer à la fusion venant d'être dépassée, l'accord a finalement pu être officialisé.

Un camouflet pour Lina Khan

Ces deux annonces illustrent les difficultés qu'éprouve l'administration Biden pour mettre en œuvre ses velléités régulatrices à l'encontre des Gafam. Bien qu'il s'agisse un jugement local et non fédéral, le verdict rendu à Washington montre que, malgré la position écrasante d'Amazon sur le e-commerce (le mastodonte totalise à lui seul 40% des ventes en ligne aux États-Unis), trouver des arguments juridiques solides l'accusant de pratiques anticoncurrentielles est loin d'être évident.

La finalisation du rachat de MGM constitue quant à elle un camouflet pour Lina Khan, qui a récemment pris la tête de la FTC avec l'intention de brider le monopole exercé par les Gafam, et en particulier par Amazon.

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Son hostilité aux Gafam ne date pas d'hier. En 2017, alors qu'elle poursuit des études de droit à Yale, elle publie un papier très remarqué dans le Yale Law Journal, intitulé Amazon's Antitrust Paradox. Elle y affirme, contre la doxa dominante aux États-Unis, qu'un monopole est nocif pour le consommateur, même s'il ne se traduit pas par une hausse des prix ou une dégradation du service pour le consommateur. Elle prend notamment l'exemple d'Amazon, qui a assis sa domination en cassant les prix, éliminant ainsi ses concurrents, et souligne la nécessité d'adopter une approche plus musclée en matière de législation.

Sa nomination à la tête de la FTC en juin dernier, dont elle devient alors la plus jeune présidente, est vue comme le pire scénario possible pour les Gafam. Amazon s'empresse d'ailleurs de contester ce choix, mettant en doute sa neutralité et déposant une plainte (rejetée) à ce sujet auprès de la FTC. Peu après sa prise de poste, la jeune présidente affirme que les acquisitions menées par les géants des nouvelles technologies renforcent leur position de monopole, et remet en question le rachat de WhatsApp et Instagram par Facebook. Dans ce contexte, de nombreux commentateurs s'attendent alors à voir l'acquisition de MGM tomber à l'eau. Plusieurs politiques démocrates, dont la sénatrice Elizabeth Warren, appellent la FTC à bloquer la fusion.

Match nul au sein de la FTC

Malgré les velléités régulatrices de sa présidente, le gendarme américain de la concurrence est toutefois bloqué depuis l'automne. Début octobre, le démocrate Rohit Chopra a en effet dû quitter ses fonctions au sein de l'agence pour prendre un nouveau poste au sein de l'administration Biden, laissant quatre commissaires en place (dont Lina Khan) : deux républicains et deux démocrates.

Or, la prise de décision au sein de l'agence requiert une majorité, et étant donné le contexte politique extrêmement tendu aux États-Unis, ainsi que le fossé qui sépare les deux grands partis sur un certain nombre de sujets clefs, il est très difficile pour les démocrates d'obtenir l'aval des deux commissaires républicains. L'administration Biden a bien prévu de nommer un nouveau commissaire (le démocrate Alvaro Bedoya), pour ramener l'effectif au complet, mais sa nomination doit d'abord être approuvée par le Sénat, où les démocrates bénéficient d'une très courte majorité, et où les élus républicains font également blocage.

Une nouvelle proposition de loi antimonopole

Face à cette situation, la sénatrice Elizabeth Warren vient d'introduire une proposition de loi visant à renforcer les pouvoirs de la FTC pour bloquer les fusions et acquisitions, ainsi qu'une interdiction pure et simple des rachats valorisés à plus de cinq milliards, un seuil qui aurait rendu le rachat de MGM impossible.

« Nos lois antimonopole actuelles ne donnent pas suffisamment de mordant à la FTC pour empêcher des fusions géantes comme celle d'Amazon et MGM », a déclaré la sénatrice du Massachusetts. « Ma nouvelle loi antimonopole n'aurait pas seulement rendu cette fusion illégale, elle aurait également contraint la FTC à étudier les conséquences négatives potentielles pour les travailleurs d'Amazon, ainsi que l'impact sur la compétition, en prenant en compte l'immense écosystème d'Amazon. » Pour les raisons déjà évoquées plus haut, une telle loi a toutefois très peu de chances de passer.

Partie remise pour la FTC ?

Amazon devrait toutefois temporiser avant de sabler le champagne. Fin 2021, la FTC a lancé une enquête sur Amazon Web Services (AWS), qui détient un tiers des parts de marché mondiales sur le cloud et génère la majorité des profits du géant américain. La FTC a notamment commencé à interroger des entreprises afin de repérer des pratiques anticoncurrentielles potentielles de la part d'Amazon, comme le fait de favoriser ses clients qui recourent uniquement à AWS au détriment de ceux qui travaillent également avec d'autres fournisseurs cloud. En Europe, OVH a récemment déposé une plainte contre Microsoft Azure, dénonçant précisément ce genre de pratiques.

Malgré une situation difficile au sein de la FTC, Lina Khan a obtenu plusieurs succès dans sa croisade antimonopole depuis sa nomination, et notamment le blocage de l'absorption de Arm par Nvidia, qui a obtenu le soutien des Républicains.

Du choix de Lina Khan à la tête de la FTC à celui de Jonathan Kanter, critique affiché de Google et favori de l'aile gauche du parti, à la tête de la division antimonopole du Département de la Justice, l'administration Biden a pour l'heure systématiquement nommé les personnalités les plus anti-Gafam aux postes clefs pour la régulation de l'industrie. Si la situation finit par se débloquer à la FTC, Amazon, et avec elle les principaux géants technologiques américains, pourraient bien finir par connaître des heures difficiles. L'enquête menée autour des pratiques d'AWS est notamment à suivre de très près.

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Commentaire 1
à écrit le 22/03/2022 à 1:10
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J'avais cru comprendre que la sénatrice Elizabeth Warren avait un projet de loi pour bloquer les fusions/acquisitions de plus de 5 milliards pour justement freiner l'emprise financière des oligarques de la silicon valley dont la stratégie économiq...

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