Convergence télécoms-médias : le mea culpa très cash de Patrick Drahi

Devant la commission d’enquête sénatoriale sur la concentration dans les médias, le propriétaire d’Altice (SFR) est revenu sur les gros ratés de sa politique de convergence entre les télécoms et les médias. S’il est satisfait de la croissance de BFMTV et de RMC, il concède son échec à se développer dans le football, comme dans la production de films et de séries. Idem pour la presse, ce qui l'a poussé, dit-il, à se séparer de Libération et de L’Express.
Pierre Manière
Patrick Drahi, le fondateur d'Altice (SFR).
Patrick Drahi, le fondateur d'Altice (SFR). (Crédits : Reuters)

Parmi la brochette de milliardaires qui défilent depuis près de deux semaines devant la commission d'enquête du Sénat sur la concentration dans les médias, l'intervention de Patrick Drahi, ce mercredi en fin d'après-midi, était très attendue. D'abord parce que le fondateur d'Altice, la maison-mère de SFR, compte parmi la poignée de grandes fortunes industrielles qui ont fait main basse sur la presse et l'audiovisuel ces dernières années. Après son rachat de SFR en 2014, il s'est lancé dans une frénésie d'acquisitions dans les médias. Sur le front de l'information, il a notamment avalé Libération, L'Express, BFMTV et RMC. Mais là où Patrick Drahi Drahi se démarque, c'est qu'il reste un fervent supporter de la « convergence » entre les télécoms et les médias. Son credo: remplir ses tuyaux dédiés aux communications avec des contenus maisons afin de doper les abonnements, donc les profits.

Devant les parlementaires, Patrick Drahi, au ton très cash comme à son habitude, a toutefois convenu que sa stratégie a essuyé de gros ratés. A commencer par ses investissements dans le football. En 2017, l'homme d'affaires avait jeté un pavé dans la mare en rachetant les droits de retransmission de la Ligue des champions au prix faramineux de 350 millions d'euros par an« J'ai essayé de suivre le modèle de BT [l'opérateur historique britannique, Ndlr] qui avait racheté les droits du football anglais », a-t-il déclaré. Problème : « Il n'y avait pas assez de Français pour payer l'abonnement, c'est aussi bête que ça. » Résultat : « J'ai revu mon modèle, a affirmé le tycoon. [...] Parfois, en tant qu'entrepreneur, on fait des erreurs, de grosses bêtises. » De même, Patrick Drahi a indiqué avoir « arrêté » Altice Studio, sa structure dédiée à la diffusion et à la production de films et de séries, quand il s'est aperçu que « ça ne marchait pas ».

« Je ne suis pas un mécène pour le restant de ma vie »

Il en va de même pour son incursion dans la presse, dont Patrick Drahi a finalement vite tourné la page. Après avoir bouclé le rachat de Libération puis du Groupe L'Express-Roularta, en 2015, il a cherché à diffuser ses titres via un kiosque numérique à disposition de ses clients télécoms. Une astuce fiscale, liée à la TVA réduite de la presse, a un temps permis à SFR d'économiser plusieurs centaines de millions d'euros. « On a profité du régime en place », s'est défendu Patrick Drahi. Mais le gouvernement a fini par interdire cette pratique, et SFR a écopé d'un gros redressement fiscal. « Le truc s'est écroulé », a regretté le fondateur d'Altice. Plus question, dès lors, de continuer à éponger les pertes d'une presse devenue inutile. « Moi, je suis un mécène pendant quelques jours, mais pas pour le restant de ma vie », a lâché l'homme d'affaires.

Après avoir renfloué Libération « à hauteur d'une centaine de millions » d'euros, il se sépare du titre en 2020, en le logeant dans fonds de dotation. Il affirme l'avoir doté « d'une vingtaine de millions » d'euros pour assurer l'avenir du quotidien ces prochaines années. Quant à L'Express, il en a cédé la majorité du capital (51%) à Alain Weill, le fondateur et ancien patron de BFMTV et de RMC. Ces séparations, Patrick Drahi les a jugées inévitables pour assainir son groupe, qu'il veut transmettre à ses enfants. « On se dit : 'je peux pas laisser à mes enfants un truc qui perd de l'argent à vie' », a-t-il lâché.

Quand Drahi balaye l'influence conférée par les médias

De toute façon, la presse n'a jamais été stratégique à ses yeux. A commencer par Libération. « Quand j'ai racheté Libération, je ne savais même pas ce que j'allais en faire ! », a-t-il déclaré. Cette acquisition n'a jamais relevé, jure-t-il, que de la philanthropie, voire de la charité. « J'ai racheté Libération au moment où cette entreprise avait besoin de 14 millions [d'euros] pour ne pas passer [faire] faillite, tandis que j'étais en train de faire un chèque de 14 milliards [pour SFR] », a-t-il raconté. Avant de comparer cette situation à celle d'un « gars qui s'achète une paire de chaussure à 100 euros » alors qu'« il y a un gars, dans la rue, qui va pas bien [et] a besoin de 10 centimes ». « J'ai dit, écoutez, moi, je vais regarder le dossier », a-t-il déclaré. « J'ai pas acheté ça pour d'autres raisons », a-t-il renchéri.

A l'en croire, cette emplette n'avait « rien à voir » avec une volonté de gagner en influence pour mener à bien ses affaires. Il n'en a, a-t-il assuré, nul besoin. « Moi j'ai 30 millions de clients chez SFR, j'ai la moitié de la France, s'est-il vanté. Quand je me promène dans la rue, tout le monde me connaît. Tout le monde connaît mon entreprise. »

La loi de 1986, une législation « ridicule »

Au contraire de la presse, la télévision constitue, au regard de Patrick Drahi, un domaine plus « en cohérence » avec les télécoms et le déploiement de la fibre dans toute la France. Voilà pourquoi il a acquis, justifie-t-il, BFMTV et RMC, qu'il développe en ouvrant des chaînes régionales. Voilà enfin des médias qui lui donnent satisfaction. Il en veut pour preuve la croissance du chiffre d'affaires de BFMTV et de RMC, qui est passé, sous sa coupe, de « 190 à 340 millions d'euros ».

Patrick Drahi affirme n'avoir qu'une envie : « constituer un groupe plus grand » dans la télévision. Pourquoi n'a-t-il pas, alors, fait une proposition pour M6 ? Parce que, comme La Tribune l'a expliqué en avril dernier, la loi anti-concentration de 1986 ne lui permettait d'acquérir que 49% du groupe. Ce qui a douché ses ambitions. Selon lui, cette législation s'avère « ridicule », et entrave toute perspective de développement. Patrick Drahi compte bien, malgré tout, tirer son épingle du jeu de la fusion, en cours d'examen, entre TF1 et M6. Si ce mariage est validé par l'Autorité de la concurrence, le nouvel ensemble devra se séparer de plusieurs chaînes. « Donc si je peux récupérer ce qui va tomber de l'arbre, je le ferai », a indiqué le milliardaire. Voilà qui a le mérite d'être clair.

Pierre Manière

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Commentaires 4
à écrit le 03/02/2022 à 21:23
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Les politiques et la cour qui les entoure ,comprennent que des années de laxisme bisounouresque a laissé entrer les loups dans l'Olympe et que leurs jours sont comptés . Les prochains présidents seront les patrons d'industries ou même étrangers comme...

à écrit le 03/02/2022 à 14:30
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Un langage de bon sens, loin de la langue de bois franco-française.

à écrit le 03/02/2022 à 9:50
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Que pense t il de l'abandon de la "politique de l'offre" et de ses éternelles publicités? Serait il encore favorable a une concentration des médias?

à écrit le 03/02/2022 à 8:10
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A t'on vraiment les hommes d'affaires que l'on mérite ?

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