Comment Montréal est devenu un « hub » mondial de l'intelligence artificielle

La métropole québécoise tire son épingle du jeu dans la bataille mondiale de l'IA. Elle est aujourd'hui en pointe sur le « deep learning », la branche la plus en vogue du secteur.
Université, startups et labo de grands groupes se côtoient sur une surface de quelques kilomètres carrés.
Université, startups et labo de grands groupes se côtoient sur une surface de quelques kilomètres carrés. (Crédits : Pixabay)

Les ouvriers s'affairent au 6650 et au 6666 de la rue Saint-Urbain, deux immenses bâtiments mitoyens ornés de briques rouges, dans le quartier en pleine reconversion du Mile-Ex, à Montréal. Depuis plus d'un an, ces anciennes halles industrielles délaissées se transforment petit à petit en épicentre de l'intelligence artificielle québécoise. Chercheurs universitaires et entreprises privées s'y côtoient en parfaite harmonie. Le prestigieux Institut de valorisation des données (Ivado), pilier de la coopération public-privé dans l'IA, et l'Institut québécois d'intelligence artificielle (Mila), le plus grand centre de recherche public au monde en IA, ont été les premiers à emménager, au début de l'année. L'antenne montréalaise de Fair, le labo de Facebook, y a aussi pris ses quartiers, tout comme CortexAI (Thales), Samsung AI Lab, ainsi que les startups Element AI (550 employés, 93 millions d'euros levés) et Imagia. Entre autres. Bientôt, Microsoft AI, l'antenne de recherche du géant des logiciels, s'installera aussi dans le quartier, non loin de l'immense studio de développement du champion français Ubisoft, qui travaille à la manière de révolutionner le jeu vidéo avec l'IA.

« Dans un rayon de trois kilomètres en pleine ville, il y a une concentration unique au monde d'universités, de startups et de labos de grands groupes. C'est la grande force de Montréal », explique Gilles Savard, le directeur général de l'Ivado.

Cette institution, créée en avril 2016, incarne à elle seule le positionnement atypique de Montréal sur la scène mondiale de l'IA. Son budget de 234 millions de dollars sur cinq ans, financé à 50 % par l'État et à 50 % par le privé, lui permet d'animer la nouvelle filière économique autour des « sciences des données » (big data et toutes les branches de l'IA). L'Ivado fédère au total 1250 scientifiques et se consacre autant à la recherche fondamentale qu'aux partenariats avec une centaine d'industriels en quête de nouvelles applications métier à base d'IA.

Enjeu stratégique

Si des entreprises parmi les plus innovantes au monde choisissent Montréal pour mener tout ou partie de leur recherche en intelligence artificielle, c'est parce que la ville abrite 350 chercheurs spécialisés dans le deep learning, cette sous-branche en vogue qui consiste à apprendre aux machine à apprendre par elles-mêmes en s'inspirant des réseaux de neurones humains. En quelques années, Montréal a attiré la plus grande concentration au monde de chercheurs dans cette discipline. Un véritable tour de force qu'on n'attendait pas de la part d'une ville surtout réputée pour ses arts créatifs. « Il y a cinq ans, il y avait les universités bien sûr, mais peu d'entreprises ou de startups dans l'IA. Ça décolle vraiment depuis deux, trois ans », s'étonne encore Joëlle Pineau, professeure à l'université McGill et directrice de Fair (Facebook), premier laboratoire privé dans l'IA de la ville, ouvert en 2017.

Le chercheur Yoshua Bengio, incontestablement l'un des hommes les plus puissants du pays, est à l'origine de ce succès. « Le deep learning est né ici, grâce aux travaux de Yoshua avec Yann Le Cun [qui dirige aujourd'hui Fair Paris, ndlr] et Geoffrey Hinton [parti chez Google] », raconte Simon Lacoste-Julien, directeur du laboratoire IA de Samsung et professeur agrégé à l'université de Montréal. Mais, contrairement à ses deux collègues, Yoshua Bengio a résisté aux sirènes du privé (qui triple, voire décuple, les salaires des chercheurs) pour se consacrer au développement de la filière deep learning à Montréal.

Le poids universitaire du lauréat 2019 du prix Turing - équivalent d'un Nobel de l'informatique - est tel que son nom suffit à faire pleuvoir l'argent. Sa startup Element AI a levé, en 2017, 102 millions de dollars (93 millions d'euros) au bout de neuf mois d'existence, en partie auprès de fonds canadiens soutenus par l'État. En 2017, dans le cadre de la « Stratégie pancanadienne en matière d'intelligence artificielle », le gouvernement fédéral a débloqué 125 millions de dollars pour financer des chaires professorales, dont une partie pour le Mila, créé par Yoshua Bengio en 1993. Le Québec a ajouté 100 millions de dollars pour financer des laboratoires et des startups, dont un grand nombre sont créées par des anciens étudiants de Bengio. « L'objectif du gouvernement d'investir 4 milliards de dollars dans les prochaines années dans la recherche scientifique assure la pérennité de nos laboratoires, ce qui engendre une innovation continue qui est essentielle pour alimenter les marchés émergents de l'IA », estime Jean-François Gagné, CEO d'Element AI, dans le rapport « Canadian AI Ecosystem 2018 ».

« Le soutien massif et continu du gouvernement est crucial et c'est la grande différence avec d'autres écosystèmes comme la France », confirme Christophe Villemer, entrepreneur et vice-président exécutif de Bleu Blanc Tech, la French Tech locale.

Petit écosystème

Par ricochet, les entreprises privées se bousculent à Montréal car elles peuvent piocher parmi les disciples de Yoshua Bengio : le Mila leur offre sur un plateau des pointures mondiales du deep learning. En retour, les géants du Net jouent le jeu : les chercheurs peuvent conserver une activité universitaire et publier des articles scientifiques.

« La question de la liberté n'est pas un problème car la plupart des labos privés font de la recherche fondamentale et ouverte », précise Joëlle Pineau. Et de poursuivre : « Mes recherches ne servent pas aux produits de Facebook, même si un jour, les avancées seront certainement utiles à cette entreprise comme à d'autres. »

Le virage récent de Montréal sur l'intelligence artificielle tend à infuser dans l'ensemble de l'écosystème d'innovation, même s'il reste dominé par le spatial et les industries créatives, notamment le jeu vidéo. « Même si l'IA ne représente qu'environ 10 % des startups à Montréal, c'est dans ce domaine que l'on sent la plus grande dynamique au niveau entrepreneurial. Il y a aussi de plus en plus de fonds qui investissent dans l'IA », indique Bruno Morency, le directeur du programme d'incubation Techstars Montréal.

Les chiffres tendent toutefois à relativiser l'importance du Québec sur la scène mondiale. Ses startups ont levé moins d'un milliard d'euros en capital-risque en 2018, d'après l'agence de développement économique Investissement Québec, équivalent local de Bpifrance. Soit largement moins que d'autres « petits » écosystèmes comme la France (3,45 milliards d'euros) ou Israël. Mais le pays des grands lacs joue crânement sa chance. Grâce à une variété de crédits d'impôt, les startups peuvent diviser le coût de leur R&D par cinq ou six, estime le « Global Startup Ecosystem Report » publié en mai dernier. La qualité de vie et le faible coût du logement expliquent aussi pourquoi le nombre de startups explose et se situerait entre 3.000 et 4.000 dans le Grand Montréal.

L'intelligence artificielle à Montréal

  • Plus de 120 startups
  • 14 fonds d'investissement
  • 7 incubateurs et accélérateurs
  • 14 centre de recherche publics
  • Plus de 20 centres de recherche privés, dont Samsung, IBM, Facebook, Huawei, Google, Microsoft, Cisco, General Motors

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Commentaires 2
à écrit le 26/06/2019 à 11:36
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Toronto et Montréal ont chacune accueilli 11 investissements étrangers de R&D en 2018, contre 47 pour Paris qui domine le classement (KPMG Global Cities Investment Monitor 2019). les 3 grandes villes US classées (SF, LA, NY) n'ont accueilli en tout ...

à écrit le 26/06/2019 à 8:39
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bon, y a bengio qui enseigne la bas apres, une grosse partie des modeles actuels est developpe directement chez les gafam, les universites sont en retard sur les modeles deep ( ce qu'on peut comprendre vu qu'ils n'ont pas les jeux de donnees, hormis...

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