Dans les campagnes, le parcours du combattant des opérateurs pour déployer la fibre

Pénurie de poteaux, réticences des syndicats d’immeubles, malfaçons de nombreux sous-traitants… Alors que les industriels des télécoms se démènent pour apporter la fibre dans les campagnes, tous sont confrontés à de multiples freins.
Pierre Manière
« Sur le terrain, nous nous apercevons que certains fourreaux, censés être là, n’existent pas ! », peste David El Fassy, le président d’Altitude Infrastructure, un important acteur de la fibre en France.
« Sur le terrain, nous nous apercevons que certains fourreaux, censés être là, n’existent pas ! », peste David El Fassy, le président d’Altitude Infrastructure, un important acteur de la fibre en France. (Crédits : ALESSANDRO BIANCHI)

Le déploiement de la fibre avance à grands pas. Une bonne nouvelle pour les Français, qui, depuis l'épidémie de Covid-19, sont de plus en plus friands de cette technologie. A l'heure de la dématérialisation de nombreux services publics et de l'essor du télétravail, ils sont, en effet, de plus en plus nombreux à troquer leur vieil ADSL contre un abonnement à la fibre, qui permet de bénéficier de débits très supérieurs. Grâce à la mobilisation des industriels du secteur, les objectifs gouvernementaux du « très haut débit pour tous » d'ici à la fin 2022, et de « la fibre pour tous en 2025 », semblent atteignables.

Mais pour y arriver, il reste beaucoup de freins à lever. Car sur le terrain, les opérateurs dits d'infrastructures, qui déploient la fibre à travers le pays, vivent un véritable parcours du combattant. C'est surtout dans les campagnes, où les raccordements sont les plus longs et compliqués, que la tâche est la plus ardue. C'est ce que plusieurs dirigeants d'opérateurs d'infrastructures ont détaillé le 7 octobre dernier, lors d'un débat organisé à Saint-Etienne. Diplomate, Lionel Recorbet, le président d'XP Fibre (ex-SFR FTTH), parle de « cailloux dans la chaussure » lesquels « peuvent rapidement devenir problématiques ».

Une des premières préoccupations concerne, à certains endroits, l'absence de fourreaux pour passer la fibre. « Nous rencontrons énormément de câbles enterrés en pleine terre », râle Lionel Recorbet. Le problème n'est pas nouveau. Il date du déploiement du réseau cuivre, dans les années 1960. Pour déployer ce réseau plus vite, et à moindre coût, cette solution parfois a été privilégiée. Et visiblement davantage que ce qui était prévu... « Sur le terrain, nous nous apercevons que certains fourreaux, censés être là (au regard des plans d'aménagements, Ndlr), n'existent pas ! », peste David El Fassy, le président d'Altitude Infrastructure, un important acteur de la fibre en France. « C'est très fréquent, et cela devient très sensible », renchérit-il.

« Les magasins d'Orange sont vides »

Il n'y a, dès lors, qu'une alternative possible. « Pour garder un rythme de déploiement soutenu, il nous faut planter de nouveaux poteaux, ou appuis aériens, pour apporter la fibre », explique Lionel Recorbet. C'est là que les problèmes commencent. Des collectivités s'y opposent, ne souhaitant pas voir pousser de nouveaux poteaux disgracieux. Et lorsqu'elle donnent leur feu vert, les opérateurs sont confrontés depuis des mois à un autre souci: une pénurie de poteaux. Directeur général délégué d'Axione, un gros acteur de la fibre appartenant au groupe Bouygues, Eric Jammaron tire à boulet rouge contre une obligation d'approvisionnement auprès d'Orange. Laquelle bride sévèrement, selon lui, l'installation des réseaux:

« Dans le cadre de nos contrats, nous devons nous fournir en poteaux auprès d'Orange, raconte-t-il. Mais les magasins Orange sont vides... Nous expliquons alors que nous aimerions bien planter nos propres poteaux. Mais on nous rétorque que ce n'est pas possible. Donc il faut attendre... Et lorsqu'on essaye finalement de s'approvisionner chez les sous-traitants d'Orange, là, c'est possible! Mais ils nous expliquent, eux aussi, qu'ils n'ont plus de poteaux... »

En réponse, Corinne Di-Fant, la directrice des opérations d'Orange dans les campagnes, assure que l'opérateur historique subit aussi, lui-même, cette pénurie de poteaux. « Il y a une rupture de stocks au niveau mondial. Nous la subissons et faisons notre maximum, assure-t-elle. Nous avons référencé de nouveaux fournisseurs pour augmenter l'approvisionnement. Nous espérons sortir de cette crise d'ici à la fin de l'année. »

Des poteaux « souvent vétustes ou surchargés »

Pour aider les opérateurs, le gouvernement a indiqué, au début du mois, qu'ils pourraient bientôt utiliser un parc d'environ 5 millions de poteaux d'Enedis. Déjà utilisés pour l'électricité, ceux-ci permettront aussi d'acheminer la fibre. La nouvelle a été applaudie par le secteur. L'ennui, c'est qu'aux dires de Lionel Recorbet, « les appuis aériens d'Enedis sont souvent soit vétustes, soit surchargés ». Une solution consiste alors à remplacer les vieux poteaux par des neufs. Mais les opérateurs refusent de payer seuls la note. « Il est hallucinant qu'on nous demande de nous substituer au service public de l'électricité pour maintenir ces infrastructures en état », s'étrangle-t-il.

Pour amener la fibre dans certains immeubles, les opérateurs sont parfois bloqués par les syndics, qui refusent de les laisser entrer. « Je ne comprends pas ces difficultés, s'emporte David El Fassy. Il est trop compliqué de raccorder certains immeubles, de décrocher des autorisations, alors qu'on fait tout gratuitement. » Même son de cloche pour Cyril Gasc, un dirigeant de TDF spécialisé dans la fibre. « Nous sommes confrontés à quelques irréductibles, nombreux à certains endroits, qui ne nous répondent pas, ou nous disent non. Beaucoup nous voient comme des démarcheurs lambda », regrette-t-il.

Face à cela, TDF affirme faire son possible. « On passe du temps, on fait du porte-à-porte, on envoie des courriers, on appelle, égrène-t-il. Dans le Val d'Oise, nous avons essayé de trouver des solutions, avec succès, avec des maires pour convaincre les syndics de nous laisser travailler. Mais nous avons vraiment besoin d'une réglementation plus coercitive concernant ces petits immeubles si nous voulons tenir les délais. »

Des malfaçons lors du raccordement final

La filière fait, en outre, les frais de nombreuses malfaçons lors des raccordements finaux des clients. En effet, ce sont les opérateurs commerciaux, et non les opérateurs d'infrastructures, qui se chargent de cette dernière opération. Pour ce faire, ils recourent aux services de sous-traitants. Souvent mal payés, soumis à une forte pression, des prestataires effectuent ces travaux à la va-vite, sans respecter les règles de l'art. Au pied des immeubles, certaines armoires télécoms, pourtant récentes, sont déjà fracturées, et les câbles totalement emmêlés. Dans le secteur des télécoms, on qualifie ces malfaçons, courantes, de « plats de nouilles »... Résultat : environ un raccordement sur cinq se solde par un échec, et de nombreux usagers se retrouvent parfois déconnectés, sans comprendre pourquoi.

Pour y mettre un terme, un nouveau cahier des charges, liant opérateurs d'infrastructures et opérateurs commerciaux, a été mis en place. Il prévoit notamment l'obligation, pour les sous-traitants, d'effectuer des photos de leurs travaux avant et après leurs interventions. Aujourd'hui, seule une poignée d'opérateurs d'infrastructures, dont Altitude, TDF et Axione, ont signé le cahier des charges. Les opérateurs commerciaux, que sont Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free n'ont pas tous ratifié ces nouveaux contrats. Ce qui suscite, aujourd'hui, la colère du gouvernement, et notamment de Cédric O, le secrétaire d'Etat en charge du Numérique. « C'est inacceptable », a-t-il lancé au début du mois, appelant les opérateurs à prendre leurs responsabilités.

Pierre Manière

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