Dix ans après une vague de suicides, le temps du jugement pour France Télécom et ses ex-dirigeants

Vendredi, le tribunal rendra son jugement dans le procès inédit de l'entreprise et de ses ex-dirigeants pour "harcèlement moral".
Paris, le 6 mai 2019. Didier Lombard, ex-PDG de France Télécom, lors de son arrivée au procès.
Paris, le 6 mai 2019. Didier Lombard, ex-PDG de France Télécom, lors de son arrivée au procès. (Crédits : Reuters)

Après une vague de suicides chez ses salariés, France Télécom était devenue il y a dix ans le symbole de la souffrance au travail. Vendredi, le tribunal rendra son jugement dans le procès inédit de l'entreprise et de ses ex-dirigeants pour "harcèlement moral".

Cette décision sera suivie de près dans le monde du travail.

"Avec ce procès, vous allez faire jurisprudence [...]. À juste titre, on a parlé de procès historique", avait déclaré en juillet la procureure lors des réquisitions.

Lire aussi : Suicides à France Télécom : le procès démarre ce lundi

Une première pour une société du CAC 40

C'est la première fois qu'une entreprise du CAC 40 est jugée pour "harcèlement moral", défini dans le code pénal comme "des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail". France Télécom encourt 75.000 euros d'amende. L'ex-PDG Didier Lombard, l'ex-numéro 2 Louis-Pierre Wenès et l'ex-DRH Olivier Barberot, ainsi que quatre autres anciens responsables jugés pour "complicité", risquent un an d'emprisonnement et 15.000 euros d'amende.

Lire aussi : Suicides à France télécom : Lombard poursuivi pour harcèlement moral

Ils sont jugés pour un harcèlement moral institutionnel qui se serait propagé du sommet à l'ensemble de l'entreprise sans qu'il y ait de lien direct entre les auteurs et les victimes.

Tout au long des audiences, du 6 mai au 11 juillet, le tribunal s'est plongé dans l'organisation, à la fin des années 2000, de cette entreprise de plus de 100.000 salariés, comptant une centaine de métiers différents, répartis sur près de 23.000 sites.

Le procès, qui s'intéresse à la période 2007 - 2010, s'est penché sur les plans NExT et Act qui visaient à transformer France Télécom (devenue Orange en 2013) en trois ans, avec notamment l'objectif de 22.000 départs et 10.000 mobilités.

France Télécom et ses ex-dirigeants ont-ils mis en place une politique visant à déstabiliser les salariés? Ont-ils fait pression pour les pousser au départ?

À la barre, se sont succédé des victimes, leurs collègues et leurs proches, d'anciens responsables, les prévenus bien sûr, mais aussi des sociologues, des psychologues, etc. Des audiences souvent tendues, chargées en émotion, marquées par les larmes et la colère.

"Immense accident du travail"

"J'étais un bon à rien, un parasite", a raconté un fonctionnaire qui a été isolé, muté à 450 km de sa famille. Des parties civiles ont décrit la "dévalorisation" au quotidien, notamment pour les techniciens affectés dans les centres d'appel. Et ce cri de rage de Noémie Louvradoux, dont le père s'était immolé par le feu en 2011 devant l'agence de Mérignac (Gironde): "La mort de mon père, c'est la réussite de leur objectif", a-t-elle accusé.

Lire aussi : « Le suicide constitue parfois une forme ultime de protestation sociale »

"Le tribunal espère que le partage de ces douleurs les aura rendues moins insupportables", a dit à ces victimes la présidente de la 31e chambre correctionnelle, Cécile Louis-Loyant. Mais "l'émotion n'est pas le droit", a-t-elle souligné au dernier jour du procès.

Le parquet a requis les peines maximales contre France Télécom et ses ex-dirigeants. "L'obsession" du départ de 22.000 salariés "est devenue le cœur de métier des dirigeants de France Télécom", a déclaré la procureure Françoise Benezech. "Vous avez conscience que vos méthodes vont dégrader les conditions de travail" et "vous recherchez cette déstabilisation", a-t-elle détaillé.

C'est "un immense accident du travail organisé par l'employeur", a plaidé l'avocat des parties civiles Jean-Paul Teissonnière. "Ce qu'il s'est passé à France Télécom doit être rangé parmi les interdits majeurs d'une société".

L'ex-PDG nie toute crise sociale

La défense a, elle, demandé au tribunal de faire du droit et de ne pas rendre "une décision pour l'exemple". Reprenant point par point les griefs retenus contre les prévenus, l'avocate de France Télécom Claudia Chemarin a soutenu qu'ils ne reposaient "sur aucune démonstration" et qu'ils ne pouvaient constituer un "harcèlement moral".

"Quand on subit un drame, on a besoin d'un responsable. C'est de la vengeance, pas de la justice", a plaidé l'avocate de Didier Lombard, Me Bérénice de Warren.

La défense a insisté sur le contexte économique: France Télécom dans les années 2000 faisait face à une révolution technologique et une concurrence agressive. "Si on n'avait pas fait le plan NExT, aujourd'hui il n'y aurait plus France Télécom", a affirmé l'ex-PDG qui au début du procès a nié toute crise sociale.

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Commentaires 24
à écrit le 22/12/2019 à 15:21
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bonjour 10 ans que j'ai quitté France Telecom avec d'énormes plaies, j'ai fait parti des 22 000 ! Me taire a été la seule chose qui m'a été donnée tout en continuant à me ronger intérieurement. La réalité des choses dépassait l'entendement qui ...

à écrit le 21/12/2019 à 21:02
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Ben j'ai été victime comme plein d'autres de harcèlement au travail, la vieille méthode de gestion du travail d'avant face à des techniciens maîtrisant de la très haute technologie pour l'époque. C'est la manie des drh de financer cher des cadres no...

à écrit le 20/12/2019 à 15:31
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En fait, travailler dans certaine entreprise privée est plus dangereux que d'être dans la police ... et comparativement c'est l'inspection du travail qui craint le plus .

à écrit le 19/12/2019 à 7:26
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Tiens, on a censuré mon post où je disais que le taux de suicides à FT n'a jamais été supérieur à ce qu'il était dans la population active générale... et donc que cette "affaire" n'aurait jamais dû en être une.

le 19/12/2019 à 10:50
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Bien sûr que non. C'est un trafic des chiffres indigne. D'une part, cette affirmation porte sur le chiffre des suicides liés au travail, qui effectivement était équivalent au taux de suicide de l'ensemble de la population. Il faudrait évidemment do...

le 19/12/2019 à 15:18
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C'est un sujet compliqué; assez d'accord pour dire que le taux de suicide chez FT n'était pas très supérieur à la moyenne nationale (légère déviation probablement non significative). Mais le vrai sujet est de savoir si une seule personne a mis fin à ...

le 20/12/2019 à 6:52
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@BH : non seulement ce taux n'a jamais été supérieur mais il est même resté inférieur à FP par rapport à la moyenne dans la population active. Quant à dire si la responsabilité du management de l'entreprise est engagée c'est impossible à dire, les su...

à écrit le 19/12/2019 à 6:12
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Encore un bon samaritain qui piétine son prochain sans vergogne, pour notre bien et pas pour son enrichissement. Ce sont des sans morale de ce calibre qui nous dirigent. Vous pensez bien que la planète, ils s'en foutent. Ils nous emmènent tous au bou...

à écrit le 18/12/2019 à 18:10
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A mon humble avis notre pays a un IMMENSE problème avec les délais de la justice qui la rendent incompréhensible , illisible et dépassée et a décridibilisent . les PTT : 10 ans AZF : dossier fermé 18 ans après . Balkany et Joissains : toujours...

le 18/12/2019 à 19:32
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On est un des pays d'Europe qui sous-finance massivement sa justice depuis des décennies. Pour arriver au même niveau de financement par habitant que les allemands, il faudrait tout simplement doubler le budget de ce ministère. Et ce ne serai...

le 18/12/2019 à 21:23
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@Pas étonnant : les allemands n'ont ni cet impôt imbécile qu'était l'ISF (ie Incitation à Sortir de France) et devenu IFI ni CICE (pas besoin, si on imposait les entreprises en France au même niveau qu'en Allemagne il faudrait leur restituer 80 milli...

à écrit le 18/12/2019 à 16:55
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C'est effectivement l'heure de vérité sachant toutefois que nous ne sommes qu'en 1ere instance. Sur le fond , si tout le monde s'accorde sur le comportement hautement répréhensible des dirigeants, personnes physiques, on ne comprend guère ce que vie...

le 18/12/2019 à 19:41
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A partir du moment où la justice considère qu'il s'agit d'une politique d'entreprise généralisée et pas de la seule dérive personnelle d'une poignée de personnes, la responsabilité morale de l'entreprise peut être engagée. Au niveau des réparatio...

à écrit le 18/12/2019 à 16:30
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En matière de harcèlement moral grave au travail on a des champions de valeur olympique. 2 suicides par semaine dans la police, 1 par semaine dans la pénitentiaire (et autant dans les détenus), 1 par semaine parmi le personnel de l'éducation natio...

à écrit le 18/12/2019 à 16:04
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C'est le procès du style de management à la française, autrement dit le management par la peur (stress) et la représaille (dévalorisation). Ce management qui fait reculer les subordonnés, est le contraire du management efficace. C'est aussi le manage...

à écrit le 18/12/2019 à 15:37
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en 10 ans il y a eu 2500 suicides d'agriculteurs, je propose donc que l'on mette au tribunal tous ceux qui les harcèlent: les écolos, les vegans, les antispécistes, le ministère de l'écologie, de l'agriculture, Philippe, Macron...

le 18/12/2019 à 17:54
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Surtout les banquiers ,car il s'agit de surendettement pour la plupart.

à écrit le 18/12/2019 à 15:36
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en 10 ans il y a eu 2500 suicides d'agriculteurs, je propose donc que l'on mette au tribunal tous ceux qui les harcèlent: les écolos, les vegans, les antispécistes, le ministère de l'écologie, de l'agriculture, Philippe, Macron...

à écrit le 18/12/2019 à 13:58
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Affaire montée de toutes pièces : il n'y a jamais eu plus de suicides à FT que dans l'ensemble de la population active.

le 18/12/2019 à 14:18
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Pourquoi est-ce que la Justice s'emm... depuis 10 ans alors que bruno_bd a la réponse ! On espère pour lui que c'était pas trop fatigant de lire les 66 tomes du dossier.

le 18/12/2019 à 15:58
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et quand bien meme qu'il n'y en ai pas plus,vous trouvez cela normal que des gens ce suicident?pauvre monsieur et encore je suis poli

le 18/12/2019 à 21:30
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@phil92 : le problème est que quand FT est devenue une entreprise normale avec des impératifs de compétitivité face à ses concurrents, elle devait impérativement réduire considérablement ses effectifs... tout en ayant une forte proportion de ses sal...

le 22/12/2019 à 16:33
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je suis d accord a vec vous personnellement j'ai voulu partir mais on m a expliqué bien que en tant que fonctionnaire je versais une cotisation de solidarité de 1% au lieu de 2% pour les salariés du privé avant la réforme de cette année je n'avais ...

à écrit le 18/12/2019 à 13:58
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en voila un de bien pour prendre le suite, après devoyé et licensky si ca colle pas....

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