LA TRIBUNE - Avec la crise du coronavirus, l'attribution des fréquences 5G aux opérateurs a été reportée à une date encore inconnue. Ce qui repousse, mécaniquement, l'arrivée de cette technologie en France. Est-ce, selon vous, un problème ?
FRANCK BOUETARD - Cela pose un vrai problème. Aujourd'hui, Ericsson participe au déploiement de 32 réseaux 5G commerciaux dans le monde, répartis sur 18 pays et quatre continents. Autrement dit : la 5G, c'est parti. Certains pays sont en train d'accélérer les déploiements. C'est notamment le cas des Etats-Unis, de la Chine et de l'Australie. Ils y voient à la fois un moyen de lutter contre le Covid-19, et un outil pour relancer l'économie, jugeant cette infrastructure essentielle pour les années à venir. Et en France, que fait-on ? On retarde l'attribution des fréquences. Il est en train de se créer un gouffre entre l'Europe et le reste du monde en matière de 5G.
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L'Europe n'était déjà pas en avance...
La situation s'est aggravée. Il y a urgence à traiter ce problème. Il y a de multiples raisons qui expliquent les retards d'attributions des fréquences et de déploiements. Mais il n'y a qu'en Europe que cela pose problème... Aujourd'hui, l'Europe est par endroit à l'arrêt en matière de 5G. Cela ne sera pas sans conséquences, à terme, sur la compétitivité économique et sur l'emploi. La 5G pourrait pourtant constituer un puissant moyen pour redémarrer l'économie et favoriser la réindustrialisation. Mais sans fréquences, nous sommes dans une impasse.
En France, certains opérateurs arguent que la crise du Covid-19 a rebattu les cartes, et que la 5G n'est plus aussi prioritaire qu'avant en matière d'investissements...
La position des opérateurs est compréhensible. Ce sont des acteurs économiques, ils font des choix d'investissements. A court terme, certains peuvent juger qu'avec l'essor du télétravail, la fibre est davantage prioritaire que la 5G. Mais à moyen terme, c'est la compétitivité du pays qui en pâtira. Cette problématique est beaucoup plus large et ne concerne pas que les opérateurs télécoms.
Accélérer l'arrivée de la 5G relève au final d'un choix politique. Le gouvernement y est-il sensible ?
Je pense que les politiques y sont sensibles. Sans doute ont-ils d'autres problèmes à régler en ce moment. Mais c'est aussi le cas aux Etats-Unis, en Chine ou en Australie...
Aujourd'hui, la 5G est accusée de tous maux. Certains, comme au Royaume-Uni brûlent des antennes, accusées de propager le virus...
Je condamne totalement ces agissements. Il n'y a bien évidemment aucun lien entre le Covid-19 et la 5G. Pendant ce temps-là, nous, nous envoyons nos équipes pour réparer les infrastructures. Elles prennent des risques pour que ces mêmes individus, qui détruisent nos antennes, puissent communiquer ou travailler depuis chez eux.
Certains l'accusent la 5G d'être trop énergivore. Qu'en dites-vous ?
Concernant l'empreinte carbone de la 5G, il faut remettre l'église au milieu du village. Nous entendons tout et n'importe quoi. C'est ahurissant. Ces 20 dernières années, le trafic mobile a explosé alors que l'empreinte carbone des réseaux télécoms, elle, est restée stable. Pourquoi ? Parce que les technologies évoluent et sont justement moins énergivores. Je rappelle que l'empreinte carbone des réseaux télécoms, comme celle des data centers, est deux fois moindre que celle des téléphones portables. La solution pour diminuer la consommation d'énergie est connue : il faut changer de mobile moins souvent, sachant que les individus achètent un nouveau terminal tous les 12 à 18 mois. En parallèle, il faut changer de technologie de réseau mobile dès que possible, sachant que les opérateurs amortissent cet investissement au bout de sept ans. Le problème, c'est qu'aujourd'hui, nous faisons tout l'inverse.
La 5G consomme-t-elle moins d'énergie que la 4G ?
La 5G va casser la courbe de consommation. Avec ses caractéristiques, les opérateurs seront capables d'absorber huit fois plus de trafic mobile avec la même consommation d'énergie. Si on ne l'adopte pas rapidement, alors oui, la consommation énergétique augmentera puisque le trafic mobile, lui, continuera de progresser. C'est une des raisons pour lesquelles il faut se saisir rapidement de cette technologie.
Certains redoutent que la 5G nuise à la santé.
A ce sujet, les fréquences 3,5 GHz utilisées pour la 5G sont très proches de celles auxquelles on recourt pour la 4G, qui vont jusqu'à 2 GHz. Nous sommes presque dans les mêmes bandes de fréquences. J'ajoute que la 5G sera soumise aux mêmes contraintes d'émission et de puissance que la 4G. Cela fait 40 ans que nous déployons des réseaux mobiles. Personne n'a jamais été capable de démontrer un quelconque impact sur la santé. La 5G, c'est juste un protocole différent sur des émissions de fréquences. Je rappelle aussi qu'une antenne 4G actuelle émet sur 120 degrés, même si aucun téléphone n'est à proximité. Une antenne 5G, elle, est capable de scanner son environnement. Si un mobile a besoin de communiquer, elle dirige sa puissance vers lui avec le beamforming. En d'autres termes et à niveau de trafic équivalent, avec la 5G, l'exposition aux ondes est moindre qu'avec la 4G. Ce sont des réalités techniques. Mais aujourd'hui, celles-ci sont parfois devenues inaudibles...
Certains arguent que les réseaux 5G vont coûter très cher alors qu'on ne voit pas encore bien ce que cette technologie va apporter de plus que la 4G...
En Europe, nous avions exactement les mêmes débats au moment du lancement de la 4G. Les Américains, eux, ne se sont pas posés de questions. Ils ont déployé la 4G à toute vitesse. Et c'est précisément ce qui a permis aux Gafa d'exploser. Je rappelle que les Google, Amazon, Facebook et Apple se sont développés grâce aux réseaux mobiles, et non via l'Internet fixe. La 5G n'est pas qu'un objet économique en tant que tel : il s'agit d'une infrastructure stratégique, dont bénéficieront, à terme, tous les secteurs de l'économie.
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