Huawei et 5G : la tardive « boîte à outils » de l’UE

Dans le sillage du Royaume-Uni, qui a autorisé Huawei à prendre part au déploiement de la prochaine génération de communication mobile sous certaines conditions, Bruxelles a dévoilé ses recommandations, c’est-à-dire diverses limitations, à l’égard du groupe chinois.
Pierre Manière
« Les opérateurs télécoms ne doivent pas sélectionner des fournisseurs à risques, qui pourraient permettre à un Etat par exemple de prendre la main sur les sites stratégiques que sont les capitales, les endroits abritant une activité militaire intense ou une centrale nucléaire », a déclaré au Monde Thierry Breton, le nouveau commissaire européen au marché intérieur.
« Les opérateurs télécoms ne doivent pas sélectionner des fournisseurs à risques, qui pourraient permettre à un Etat par exemple de prendre la main sur les sites stratégiques que sont les capitales, les endroits abritant une activité militaire intense ou une centrale nucléaire », a déclaré au Monde Thierry Breton, le nouveau commissaire européen au marché intérieur. (Crédits : Hannibal Hanschke)

Voilà qui va ajouter de l'eau au moulin de ceux qui pestent contre la lenteur des prises de position de Bruxelles, ou contre les difficultés des Etats membres à accorder leurs violons concernant les dossiers stratégiques. Ce mercredi, l'UE a enfin dévoilé sa doctrine concernant le déploiement de la 5G, et surtout sur la place donnée à Huawei. L'équipementier chinois suscite depuis longtemps la méfiance du continent. A l'instar des Etats-Unis, qui ont chassé Huawei du marché de la 5G, certains Etats membres redoutent que ses infrastructures servent de cheval de Troie à Pékin pour espionner les communications, ou les interrompre. Plusieurs hauts responsables de l'UE s'inquiètent, depuis des lustres, d'une loi chinoise de 2017, qui oblige ses entreprises à coopérer avec les services de renseignement de l'Empire du Milieu. Huawei, pour sa part, a toujours balayé avec force les soupçons d'espionnage.

Dans cet épineux dossier, l'Europe est prise entre deux feux. D'une côté, les Américains, en pleine guerre commerciale avec la Chine, ont investi de gros moyens pour pousser le Vieux Continent à chasser Huawei du marché de la 5G. Quitte, parfois, à se montrer menaçants. Le pays de l'Oncle Sam a notamment indiqué à Londres qu'un accord post-Brexit pourrait être remis en cause en cas de feu vert à l'équipementier chinois. De l'autre côté, la Chine n'a pas été en reste. Outre-Rhin, elle a par exemple brandi le spectre de mesures de rétorsions à l'égard de la puissante industrie automobile allemande, dont l'Empire du Milieu est le premier marché.

Huawei, un « fournisseur à risque »

L'UE a donc tranché. Elle a révélé, ce mercredi, sa « boîte à outils » pour la 5G. Ces règles qui encadrent le recours aux équipementiers télécoms par les opérateurs mobiles, ressemblent beaucoup à celles définies mardi par le Royaume-Uni. Dans un entretien au journal Le Monde, Thierry Breton, le nouveau commissaire européen au marché intérieur, en a défini les contours. En premier lieu, Huawei n'est pas interdit. Mais il est confronté à diverses limitations. En bon diplomate soucieux de ne pas froisser la Chine, Thierry Breton, qui se refuse à citer nommément Huawei, le qualifie, de manière indirecte, de « fournisseur à risque ». A ce titre, le groupe chinois - tout comme son compatriote ZTE - n'est pas le bienvenu à certains endroits. « Les opérateurs télécoms ne doivent pas sélectionner des fournisseurs à risques, qui pourraient permettre à un Etat par exemple de prendre la main sur les sites stratégiques que sont les capitales, les endroits abritant une activité militaire intense ou une centrale nucléaire », souligne Thierry Breton.

Un autre point important concerne la diversification, pour des raisons de sécurité, des équipementiers. « Il ne faut pas qu'un opérateur ne dépende que d'un seul équipementier », déclare le commissaire européen, car « si celui-ci devait avoir un souci, c'est tout le réseau qui serait menacé ». Cela revient, de facto, à fixer une limite aux parts de marché de Huawei dans l'UE, tout comme à celles, d'ailleurs, des autres équipementiers - soit essentiellement les européens Nokia et Ericsson. Sur ce point, le Royaume-Uni s'est montré plus explicite, en fixant un maximum de 35% de part de marché à Huawei dans les infrastructures mobiles jugées « non stratégiques ». Étrangement, Thierry Breton ne pipe mot sur une éventuelle interdiction de Huawei de certaines infrastructures sensibles, dites de « cœurs de réseaux », où transitent toutes communications. Sachant que le Royaume-Uni et la France ont, par exemple, interdit aux opérateurs de recourir ici aux équipements du groupe chinois.

« Quasi-cacophonie de l'Europe »

Quoi qu'il en soit, toutes ces règles de l'UE ne sont que des recommandations, et il appartiendra aux États de les suivre. Thierry Breton se veut confiant, il assure que « ce sont les 27 membres de l'UE qui en ont défini les contours », et que « tous se sont engagés à les mettre en œuvre ». Reste que ces mesures arrivent bien tard. De nombreux pays, comme l'Espagne, la Pologne, le Portugal ou la Hongrie ont déjà décidé de donner leur feu vert au groupe de Shenzhen. Puisque les Etats membres ont fait leur tambouille dans leur coin, une interdiction globale de Huawei, qui pouvait être légitime pour des questions de souveraineté, semblait dès lors impossible à mettre en œuvre au niveau européen.

La manière dont le dossier a été traité par l'UE a fait grincer des dents. Dans une étude publiée au printemps dernier, l'Institut Montaigne estimait que les divergences de vues concernant l'équipementier étaient révélatrices d'une Europe « en ordre dispersé ». « La fragmentation et la quasi-cacophonie de l'Europe vis-à-vis de Huawei rend bien plus difficile une approche cohérente à l'échelle du continent qui prend en compte non seulement les risques sécuritaires, mais aussi les enjeux géopolitiques et les rapports de puissance, pour lesquels le niveau technologique et économique est bien sûr structurant », dézinguaient ses auteurs. L'arrivée de la nouvelle « boîte à outils » ne suffira probablement pas à balayer les critiques.

Pierre Manière

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Commentaires 5
à écrit le 30/01/2020 à 15:56
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C'est la que doivent se mordre les doigts de nos gouvernements d'avoir laissé mourir 80%de notre industrie électronique thomson, radiola, Audax, j'en oublie et des meilleures, non que nos entreprises étaient insuffisement performantes mais rachetées...

à écrit le 30/01/2020 à 12:20
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La Chine est toxique, nous le voyons avec le coronavirus, L'Europe est une junkie addicte au marché chinois pour ses exportations à forte valeur ajoutée et l'importation de touristes qui consomment notre production de produits de luxe dans les grands...

à écrit le 30/01/2020 à 10:22
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Les chinois comme de bonnes fourmis intelligentes, travailleuses et consciencieuses vont pouvoir continuer à piller la techno européenne en toute impunité.

à écrit le 30/01/2020 à 9:47
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Les allemands vont probablement obéir à Donald par intérêt commercial.

à écrit le 30/01/2020 à 7:54
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Pourquoi tant d'atermoiements, et de suspicion à l'égard de Huawei.... Orange n'a pas autant de scrupules dans le cadre de l'équipement de la fibre optique chez les particuliers. En effet son nouveau decodeur HD très en deçà de celui qu'il a rempl...

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