La Maif instaure la « tolérance à l'erreur » pour ses salariés

Dans un accord collectif sur la qualité de vie au travail, l’assureur militant a pris une position symbolique très forte sur le droit à l’erreur. Objectif : inciter les managers et les collaborateurs à travailler dans un climat de confiance alors qu’une vaste réorganisation est en cours.

Depuis le début de l'année à la Maif, la « tolérance à l'erreur » est actée noir sur blanc dans un glossaire nourri, en annexe d'un copieux accord sur la « Qualité de vie au travail et la prévention des risques psychosociaux (RPS) », signé pour trois ans par cinq syndicats sur six. Une quasi-unanimité plutôt rare dans l'entreprise.

« Avant de discuter du fond, nous souhaitions avoir un vocabulaire partagé entre tous autour de la table, afin de s'entendre sur les mots, savoir de quoi on parle », explique Frédéric Duflos, secrétaire de la section CFDT de l'entreprise.

Car dans la thématique des risques psychosociaux, le droit à l'erreur dans la relation de travail managé-manager a une importance capitale, puisque se tromper ou mal faire peut être source de tension et de stress pour les salariés. La Maif (7000 salariés) est l'un des pionniers en France à souligner dans un accord collectif ce droit, appelé à dessein « tolérance à l'erreur », afin de souligner qu'il dépend de la singularité des situations et des individus à leur poste et qu'il a ses limites.

« Le droit à l'erreur est aujourd'hui une véritable préoccupation, on en parle de plus en plus dans les congrès RH internationaux, rapporte Jean-Christophe Sciberras DRH France du groupe Solvay [chimie, dont Rhodia, NDLR]. Chez nous, au niveau mondial, le Codir a élaboré en 2010 de façon unilatérale une charte des valeurs comportementales, dans laquelle le droit à l'erreur -allow mistakes- est reconnu afin de pouvoir en tirer parti. »

De son côté, 3M France a diffusé fin 2010 une charte des relations de travail mentionnant « l'acceptation du droit à l'erreur ». Allant quasi de soi dans les entreprises anglo-saxonnes, fréquent dans les entreprises scandinaves, ce droit est en revanche rarement un engagement formel des dirigeants des sociétés franco-françaises, sauf certaines qui l'accordent à leurs équipes projets sur des sujets d'innovation de produits. La plupart se contentent de déclarations de principe, par un modeste alinéa dans un texte.

« Pour avancer, mieux vaut se dire les choses »

La Maif, elle, est allée plus loin avec sa définition négociée avec les partenaires sociaux. Que dit le glossaire ? Il rappelle que l'erreur est humaine, qu'elle est source de progrès et explique que l'expression « nous n'avons pas le droit à l'erreu r», présuppose le « zéro erreur » qui peut « avoir pour effet d'augmenter le contrôle et de diminuer l'autonomie et la responsabilisation, car il revient à nier le risque inhérent à toute initiative ».

Par ailleurs, il insiste sur le fait que le manager doit autant féliciter et encourager le managé que relever les difficultés ou les ratés.

« Pour nous, analyser l'erreur et valoriser ce qui marche est essentiel, c'est le chemin vers l'excellence », souligne Élisabeth Ferru, déléguée syndicale CFE-CGC, également signataire de l'accord.

Dédramatiser l'erreur est crucial pour la mutuelle, qui réorganise depuis 2012 ses réseaux de contact avec les sociétaires (clients) dans l'Hexagone afin de privilégier le face-à-face et de rationaliser ses plateaux téléphoniques d'ici à la fin 2015. L'objectif étant de répondre plus vite et mieux dans le traitement des dossiers.

Ce plan concerne 3.800 collaborateurs, dont 650 vivent une mobilité géographique ou fonctionnelle. Près de 200 gestionnaires de sinistres changent de métier pour devenir commerciaux (conseillers ou téléconseillers), d'autres déménagent en gardant leur métier, mais partent travailler dans un environnement différent.

« Une situation anxiogène pour certains, explique Olivier Ruthardt, DRH et directeur délégué, alors que nous avons besoin que les personnes s'investissent, osent, fassent à leur manière, confrontent leurs idées et s'adaptent rapidement à leur poste. Et pour avancer, mieux vaut se dire les choses que de les mettre sous le boisseau. »

L'inquiétude exprimée auprès des syndicats était claire:

« Si je ne sais pas faire, je serai licencié(e) pour insuffisance professionnelle !»

Il y eut donc, dans l'accord d'accompagnement à la mobilité du 2 avril 2012, un article spécifiant que durant leurs deux premières années, les commerciaux néophytes, venus de la gestion de sinistres, ne feraient l'objet d'aucune «procédure d'insuffisance professionnelle» pour ne pas avoir atteint les objectifs quantitatifs fixés, même modestes. Le temps pour eux de monter en compétences et de prendre leurs marques -avec des loupés, c'est inévitable.

« La mutuelle a su prendre en compte ce qu'on nomme l'anxiété de l'apprentissage qui est l'un des freins majeurs au changement, décrypte Julien Cusin, enseignant-chercheur en sciences de gestion à l'IAE de Bordeaux et auteur de travaux sur l'importance de l'erreur dans les processus d'innovation et d'apprentissage*. En y ajoutant sa "tolérance à l'erreur", la Maif a installé une "atmosphère de sécurité psychologique" qui favorise la reconnaissance par les salariés des écarts, fautes, ou méprises, ce qui les conduit par la suite, eux et leurs collègues, après analyse, à en commettre de moins en moins. »

Ceux-là ont moins d'accidents. Sachant ce fait, les entreprises des secteurs à hauts risques -nucléaire, transports aériens, santé, etc. - se sont avancées, parfois même très loin. Il existe, notamment, dans les hôpitaux et cliniques des «chartes de non-punition». L'idée est d'inciter le personnel à déclarer spontanément et sans délai des «événements indésirables» survenus lors des soins, une bévue sur un médicament, une entorse à une règle de sécurité, etc.

En contrepartie, le directeur de l'établissement s'engage par écrit à ne pas lancer de procédure disciplinaire. Sauf cas de paresse, négligence, manquement délibéré ou récidive. Ce qui permet ensuite aux individus et au collectif de trouver des actions correctives et préventives efficientes.

« L'une des finalités du droit à l'erreur consiste à chercher des explications et non pas un coupable », insiste Julien Cusin.

Le droit à l'erreur, une source d'optimisation

C'est précisément l'attitude de Nicolas Brosseau, responsable de pôles au sein de l'université d'entreprise de la Maif. Lorsqu'une de ses responsables de projet lui rapporta, en 2013 que le plan d'accompagnement standard, qu'elle avait élaboré pour former les conseillers allant travailler dans les agences flambant neuves en cours de création décevante les participants, il ne s'emporta pas et ne la jugea pas.

« Elle m'a alerté lors d'un point d'activité, et nous avons pu, ensemble, rectifier le tir très vite. En épluchant les retours des stagiaires et des formateurs, on a pointé son erreur: la formation en salle d'une journée était trop théorique, elle a donc proposé une formation sur site d'une demi-journée, la veille de l'ouverture, avec mises en situation dans le cadre de travail. Ça a marché.

Avec mes collaborateurs, je souhaite ainsi qu'on me dise quand ça ne va pas, la relation est libre et transparente. L'essentiel, c'est de pouvoir réfléchir et de capitaliser ensuite sur le retour d'expérience. »

De fait, la nouvelle modalité d'apprentissage «in situ», innovante chez l'assureur, a été reprise dans d'autres dispositifs de formation.La tolérance à l'erreur est dans l'ADN de la Maif, reconnaissent volontiers salariés et syndicats.

Mais ces derniers sont contents qu'elle soit écrite, car cela «sécurise» les bonnes pratiques existantes. Pour Julien Cusin toutefois, cette approche n'est utile que si elle s'accompagne de la catégorisation de l'erreur commise (étourderie, ignorance, acte délibéré, etc.), afin de pouvoir déclencher l'action juste qui évite sa répétition. Les syndicats comptent bien faire un point d'étape dans un an.

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*Auteur de Faut-il échouer pour réussir ? Mythe et réalité du retour d'expérience en entreprise (Éd. du Palio, 2008), et animateur d'une rencontre de l'Anvie sur le sujet, le 24 juin 2014 à Paris.

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