La finance verte a connu en 2022 sa première crise de croissance

Bilan 2022. Entre soupçons de greenwashing et « ESG bashing » dans les médias, la finance durable aura été mis à rude épreuve tout le long de l’année 2022. La difficile mise en place de nouvelles réglementations impose aux acteurs de la finance un effort supplémentaire en matière de clarté et de transparence. Un exercice jugé indispensable après une forte croissance des encours et de la demande, sans que les engagements en matière de climat ne soient réellement pris dans les portefeuilles.
2022 aura été l'année du grand nettoyage parmi les fonds dits durables ou verts.
2022 aura été l'année du grand nettoyage parmi les fonds dits durables ou verts. (Crédits : EU)

C'est un sacré retour de bâton. Alors que la finance « verte » était devenue en quelques années une évidence pour tous, elle a été victime tout le long de l'année 2022 d'un « ESG bashing » tous azimuts. Les premières attaques vont venues de « l'intérieur », d'éminents responsables ESG au sein de grandes institutions financières, qui ont commencé à émettre des doutes sur le sérieux de la finance durable, voire même son utilité.

Un cadre de DWS, société de gestion d'actifs allemande, filiale de Deutsche Bank, accusa ainsi, fin 2021, sa direction d'avoir surestimé les encours ESG, ce qui provoqua un premier scandale sur les pratiques de greenwashing, une enquête de la justice allemande et la démission du patron de DWS.

Croisade anti-ESG

En mai 2022, c'est au tour d'un certain Stuart Kirk, en charge de l'investissement responsable chez HSBC AM, de créer la stupeur en affirmant que le changement climatique n'est pas un risque dont la finance devait s'inquiéter en priorité. De son côté, Larry Fink, l'emblématique patron de BlackRock, numéro un mondial de la gestion d'actifs, tout juste converti aux vertus de l'ESG, jugea cependant en début d'année que les résolutions climatiques en assemblée générale des actionnaires étaient trop « prescriptives ».

Aux Etats-Unis, la croisade anti-ESG prend une tournure politique quand les Républicains les plus conservateurs menacent, au Texas ou en Floride, mettre sur une liste noire les sociétés de gestion (ou les banques) trop engagées dans la lutte contre le réchauffement climatique. Première victime : BlackRock qui se voit retirer la gestion de 2 milliards de dollars par l'Etat de Floride.

Même en Europe, qui se veut à la pointe du combat, des voix dissonantes se font entendre. En juin dernier, Marc Ophèle, alors président de l'Autorité des marchés financiers (AMF), regrettait la mise en place d'un reporting extra-financier dans le secteur financier avant même la définition d'un cadre pour les entreprises. Bref, d'avoir mis la charrue avant les bœufs. Et d'enfoncer le clou en évoquant la directive européenne SFDR comme d'une « caricature d'exigences en avance de phase ».

Des fonds verts pâle

Le règlement SFDR (Sustainable Finance disclosure) sur la publication d'informations extra-financières, et qui s'applique depuis mars 2021 pour les sociétés de gestion, créé deux catégories deux fonds « verts », ceux qui font la promotion des critères environnementaux (article 8) et ceux, plus engageants, dont l'objectif est l'investissement durable (article 9). Dans un premier temps, le régulateur a laissé aux sociétés de gestion le soin de catégoriser elles-mêmes leurs fonds. Soucieuses de faire la promotion de l'ESG auprès de leurs clients, beaucoup de sociétés de gestion ont classé leurs fonds verts en article 9 sans réelle mesure d'impact.

Mais la publication de nouveaux standards techniques (niveau 2), qui doivent entrer en application au 1er janvier, a conduit les sociétés de gestion à se pencher à nouveau sur la classification de leurs fonds, et, dans de nombreux cas, de reléguer leurs fonds article 9 en fonds article 8.

Bref, c'est l'heure du grand ménage qui pose des doutes sur le sérieux de la démarche ESG. Déjà, Morningstar, principal fournisseur de données sur les fonds, avait exclu plus de 1.200 fonds européens (soit plus de 1.200 milliards de dollars) de ses bases de données ESG. Une enquête internationale, récemment publiée dans Le Monde, montre que la moitié des fonds « super verts » (article 9) investissent en réalité dans les énergies fossiles. Or, un fonds article 9 est sensé avoir un portefeuille composé à 100 % de valeurs durables.

Une clarification bienvenue

L'ESG doit donc éviter de faire des promesses qu'il ne pourrait pas tenir. Les nouvelles règles européennes devraient conduire à de nouveaux engagements extra-financiers et à plus de transparence. Pour l'heure, seuls les fonds thématiques ou ceux alignés sur les objectifs de l'Accord de Paris semblent éligibles à l'article 9. Selon les critères de Sycomore, une des sociétés de gestion pionnières en matière d'ESG, environ 40% seulement de l'indice Eurostoxx peut être considéré comme durable. Ce qui rend l'exercice de sélection de valeurs dans les portefeuilles verts d'autant plus délicats.

Pour une grande majorité d'acteurs de la finance, ce retour de flamme est néanmoins salutaire s'il permet de mieux clarifier ce que c'est un fonds « durable » et son impact réel sur le climat, et ce en fonction d'une gradation plus lisible, entre la nécessité d'accompagner la transition énergétique d'acteurs polluants et la volonté d'investir que dans des valeurs « vertes ».

« C'est clair qu'il y a des abus. Il y a eu une forte croissance des encours et de la demande, avec des règles qui n'étaient pas très claires et dès que l'ESG est devenu mainstream, c'est rapidement devenu le Far West. Aujourd'hui, nous sommes en pleine période de recadrage, avec la mise en place de nouvelles réglementations. Maintenant, il faut de la conformité, du légal et de la réglementation. C'est dans l'ADN de la finance de gérer cette complexité », estime le responsable ISR d'une grande maison de gestion.

« Finalement, on se dit que le pourcentage de durabilité d'un fonds sera plus important et que l'on pourra avoir cette granularité avec l'article 8, en fonction au niveau d'engagement pris », avance une responsable ESG d'une grande gestion, filiale d'un assureur. Le problème est que tout arrive en même temps et que l'ajustement devrait prendre un peu de temps. Les grandes tendances du marché de la finance verte devraient cependant s'éclaircir d'ici la fin du premier semestre 2023. Y compris l'alignement à la taxonomie européenne pour lequel les sociétés de gestion se sont bien gardées jusqu'ici d'afficher leur objectif.

Cet ajustement se fera donc mais dans un contexte de marché plus difficile alors que l'on observe, pour la première fois, une décollecte sur les fonds ESG. C'est sans doute le prix à payer pour un marché arrivé à maturité.

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Commentaires 4
à écrit le 29/12/2022 à 9:11
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Soit, on génère des sous, soit, on génère du bien-être et…. pas que pour quelques uns ! ;-)

le 29/12/2022 à 11:39
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Exacte, ils y a beaucoup trops d'argent qui est détourner.... ( Chantier très surévalué) Ensuite, le changement dois se faire pour le plus grand nombre et pas seulement pour les plus fortunés... Donc, ils me semblent importants de faire le tris d...

à écrit le 29/12/2022 à 9:09
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Soit, on génère des sous, soit, on génère du bien-être et.... pas que pour quelque uns ! ;-)

à écrit le 29/12/2022 à 7:49
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La finance verte, ça n'a jamais existé

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