Nutri-Score : pour son père fondateur, les lobbies alimentaires ne pourront pas s’affranchir de la pression du consommateur

Depuis le 1er janvier, les critères du Nutri-Score, utilisé en France par 1.200 entreprises, deviennent plus stricts. Serge Hercberg, le scientifique « père » de cet étiquetage nutritionnel, pense néanmoins qu'il finira par s'imposer.
Sept pays européens ont adopté le Nutri-Score comme étiquetage nutritionnel recommandé officiellement: l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne, la France, le Luxembourg, les Pays-Bas et la Suisse. Seule l'Union européenne pourrait toutefois le rendre obligatoire.
Sept pays européens ont adopté le Nutri-Score comme étiquetage nutritionnel recommandé officiellement: l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne, la France, le Luxembourg, les Pays-Bas et la Suisse. Seule l'Union européenne pourrait toutefois le rendre obligatoire. (Crédits : JESSICA DINAPOLI)

Cette année, le mode de calcul du Nutri-Score devient plus exigeant. Sur l'emballage de tout nouveau produit mis sur le marché à partir du 1er janvier 2024, l'attribution des pastilles allant du vert au rouge et des lettres de A à E de ce système d'étiquetage alimentaire devra tenir compte de critères plus stricts. Les changements devraient concerner 30 à 40% des produits en rayon. Le professeur Serge Hercberg, épidémiologiste et nutritionniste, dont les travaux ont inspiré le Nutri-Score, explique à La Tribune le sens et les conséquences de cette évolution.

LA TRIBUNE - S'il était déjà pertinent et performant, pourquoi le mode de calcul du Nutri-Score a-t-il été changé?

SERGE HERCBERG - Depuis le lancement du Nutri-Score en 2017, les connaissances scientifiques sur le rôle des nutriments ont progressé. Le marché alimentaire a aussi évolué, des recettes ont été reformulées, de nouveaux produits ont été mis sur le marché. Et on dispose désormais de l'expérience de la mise en place de ce label. Le comité scientifique qui suit le Nutri-Score a donc considéré qu'on pouvait encore améliorer sa performance et sa cohérence avec les nouvelles recommandations européennes de santé publique. Dans sa nouvelle version, il va donc pouvoir être encore plus utile au consommateur.

Dans cet état d'esprit, il s'agit donc d'un outil qui sera donc en évolution permanente?

Oui. Cette fois, l'évolution est plus importante car il n'y a pas eu de mise à jour pendant 7 ans. Mais les modifications seront désormais régulières: tous les 3 ou 4 ans, voire plus souvent si les nouvelles données scientifiques l'exigent. C'est donc un outil en constante évolution puisque la science progresse. C'était d'ailleurs prévu depuis le départ.

Comment y avez-vous travaillé?

La gouvernance transnationale des sept pays européens ayant adopté le Nutri-Score (Allemagne, Belgique, Espagne, France, Luxembourg, Pays-Bas et Suisse)  a mis en place un comité scientifique d'experts indépendants. Ce dernier a travaillé pendant deux ans pour passer en revue les nouvelles données scientifiques, réfléchir aux adaptations nécessaires et en tester l'impact dans les divers pays. Il a fini par publier deux rapports avec des propositions d'amélioration: un pour les aliments et un pour les boissons. L'ensemble de ses recommandations ont été entérinées par les sept gouvernements pour une mise en place en 2024.

Comment les effets pratiques du label sur la consommation sont-ils pris en compte?

Un bon exemple est celui des Chocapic. Quand le Nutri-Score a été proposé, en 2014, ces céréales pour le petit déjeuner contenaient plus de 40 grammes de sucre pour 100 grammes d'aliment. Elles étaient donc classées C. Nestlé a ensuite amélioré le produit en réduisant sa teneur en sucre et en sel, et en ajoutant du blé complet qui contient des fibres. Le sucre a d'abord été réduit à 30 grammes, puis à 22 grammes, ce qui a permis au produit de passer dans la catégorie B, puis même de se situer juste en dessous du seuil permettant d'accéder à la catégorie A. Le résultat était assez troublant pour le consommateur, car ces céréales se sont donc retrouvées dans la même catégorie de mueslis qui ne contiennent pas du tout de sucre ajouté.

Il était donc logique que cette anomalie soit corrigée, en modifiant les seuils de définition des catégories A et B, ainsi qu'en attribuant plus de points négatifs au sucre. Cela a permis de redonner de la cohérence au classement en repositionnant les Chocapic dans la catégorie C.

Quels autres produits sont pénalisés par le nouveau mode de calcul?

Les modifications sur la prise en compte du sucre ont eu un impact sur beaucoup d'autres produits sucrés. Et le Nutri-Score est aujourd'hui plus strict aussi vis-à-vis des aliments qui contiennent du sel. Les plats prêts à manger, notamment les pizzas, sont donc désormais moins bien notés.

En raison des nouvelles connaissances scientifiques, on a pénalisé aussi davantage la viande rouge, afin de la discriminer face à la volaille et aux poissons, mieux classés. De même pour les boissons édulcorées, puisqu'on sait aujourd'hui qu'il n'y a pas d'intérêt nutritionnel à en consommer, et que certains édulcorants peuvent même avoir des effets délétères sur la santé. Les sodas light vont donc passer de B à C.

Les produits ultra-transformés seront-ils donc davantage pénalisés?

Pas directement. Mais puisque les produits sucrés, salés et édulcorés le sont, beaucoup de produits ultra-transformés vont se retrouver moins bien classés. Globalement, les modifications du Nutri-Score ont donc beaucoup plus d'impact sur les produits ultra-transformés que sur les produits bruts.

Tant que le Nutri-Score reste facultatif, qu'est-ce qui peut pousser les marques à le garder et à améliorer encore leurs recettes?

Même s'ils se retrouvent déclassés par le nouveau Nutri-Score, les produits dont les recettes ont été améliorées restent mieux classés que les aliments concurrents. C'est le cas des Chocapic: l'effort fait par Nestlé est toujours récompensé, puisque ces céréales se retrouvent dans la catégorie C alors que d'autres figurent en D voire en E.

Le Nutri-Score est en outre devenu une référence pour les consommateurs: selon les enquêtes de Santé publique France, ils sont plus de 90% à le plébisciter. Les consommateurs se montrent donc sensibles à l'engagement des entreprises qui jouent le jeu de la transparence.

L'objectif est toutefois aussi d'inciter les industriels à aller encore plus loin, car ils disposent de marges de manœuvre. Ils peuvent rester actifs pour être encore mieux positionnés, en reformulant leurs recettes.

1200 entreprises affichent aujourd'hui le Nutri-Score, ce qui représente environ 60% du marché. Nous espérons à la fois que d'autres y adhéreront, et que peu l'abandonneront.

Les applications de notation alimentaire vont-elles intégrer ces changements?

On l'espère. Et nous savons déjà que cela va être le cas pour la plus indépendante, labellisée par Santé publique France: Open Food Facts.

Les changements ne risquent-ils pas plutôt de nuire à la diffusion du label au profit d'autres, moins exigeants?

Ces derniers jours, les nouvelles ont plutôt été encourageantes, puisque de grands distributeurs comme Leclerc et Système U ont promis d'afficher le nouveau Nutri-Score sur les produits de leurs marques propres.

Mais nous avons effectivement déjà eu une démission: celle de Bjorg, qui utilisait le Nutri-Score, et qui a décidé il y a quelques semaines de le retirer. Vraisemblablement, c'est parce que certains de ses produits vont se retrouver plus pénalisés par le nouveau mode de calcul, en raison de leur teneur en sucre. C'est le cas notamment des boissons végétales d'amandes, soja, noisettes etc. qui, encore peu répandues lors de la naissance du Nutri-Score, bénéficiaient jusqu'à présent d'un mode de calcul illogiquement avantageux. Classés A ou B, elless vont passer dans les catégories C, D ou même E.

Bjorg justifie son choix par l'adoption d'un autre logo, le Planet-score, qui note toutefois l'impact environnemental d'un produit, et non pas sa composition nutritionnelle. Malgré son intérêt, il ne se substitue donc pas au Nutri-Score, puisque l'information fournie est très différente. Bjorg aurait donc pu mettre les deux labels.

On espère que d'autres marques ne vont pas adopter le même type de démarche, et que les consommateurs remarqueront ceux qui quittent le navire lorsque les informations scientifiques sur leurs produits les dérangent.

Le Nutri-Score pourrait-il donc coexister avec un label notant l'impact environnemental?

Oui. Cela fournirait une information complémentaire et, en cas de divergence, permettrait à chacun d'arbitrer si donner plus de poids à la santé individuelle ou à celle de la planète. En France d'ailleurs, en 2024, on devrait avoir un logo environnemental officiel.

Mais il ne faudra pas créer de confusion. Le logo environnemental retenu devra donc pouvoir être différencié graphiquement du Nutri-Score. Or le Planet-Score, qui aujourd'hui ne relève que d'une initiative privée, utilise aussi des couleurs allant du vert au rouge et des pastilles avec des lettres de A à E, ce qui peut induire le consommateur en erreur par rapport au Nutri-Score.

Qu'est-ce qui s'oppose aujourd'hui à une adoption obligatoire du Nutri-Score au niveau européen -le seul niveau auquel il pourrait être imposé en raison du marché unique?

Dans le cadre de la stratégie de l'Union européenne "Farm to Fork" ("De la fourche à la fourchette"), on attendait, d'abord pour fin 2022, puis pour fin 2023, un logo nutritionnel obligatoire pour l'ensemble des Etats membres. C'était un engagement de la Commission européenne. Mais les lobbies des très grands groupes alimentaires très opposés au Nutri-Score, ainsi que des grands syndicats agricoles, se sont montrés très actifs à Bruxelles. Le gouvernement italien de Giorgia Meloni s'est en plus fortement mobilisé contre le Nutri-Score. Cela a fonctionné, puisque la Commission européenne, malgré les éléments scientifiques et la consultation publique en faveur du Nutri-Score, a reporté sa décision à après les élections européennes.

A long terme, le Nutri-Score va toutefois finir par être adopté par l'Ue. La demande des consommateurs européens est extrêmement forte, les lobbies n'arriveront pas à la contenir.

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Commentaires 5
à écrit le 05/01/2024 à 13:22
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avant, on savait ce que c'etait des lipides protides glucides, des acides amines, des oligoelements, et tt le reste.....mais ca c'etait avant, entre temps il y a eu du bon nivellement par le bas, et donc necessite d'un nutriscore pour illetres

à écrit le 05/01/2024 à 12:18
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Les édulcorants sont souvent pire que le sucre. Il faut donc pénaliser les édulcorants pour éviter que, comme dans certaines boissons, on remplace le sucre par des addictifs pour garder la saveur ultra-sucrée. Il faut inciter à baisser la teneur tota...

à écrit le 04/01/2024 à 22:45
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Perso j’ applique mon propre nutriscore : pas d’ ogm , pas d’ additifs, pas de E ceci ou E cela , pas peu de sel ou sucre ou dérivé maltose etc , pas de sorbitol - un élément qui sert à digérer donc c est qu il y a un loup- pas de sulfite , pas de...

le 05/01/2024 à 9:50
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"pas de E ceci ou E cela" vu que c'est anxiogène, le nom est parfois mis à la place (E330 : acide citrique (censé ne pas être mauvais, y en a dans le citron; E300 : acide ascorbique : (bonne) vitamine C; nitrites, ah non, .. :-) (pour éviter le botul...

à écrit le 04/01/2024 à 19:23
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Non, aucun miracle, ce sont justes des mesures qui auraient du être mises en place dès la naissance de la nourriture agro-industrielle.

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