Prélèvement des superprofits : l’Allemagne s’inspire de la France, et non l'inverse

En plein débat sur la taxation des superprofits, Berlin a annoncé dimanche son intention de ponctionner les bénéfices exceptionnels réalisés par certains énergéticiens, afin de faire baisser les factures des ménages. Un mécanisme qui existe déjà dans l’Hexagone, contrairement à ce qu'affirme une partie de l'opposition. Explications.
Marine Godelier
Berlin entend ponctionner les marges des producteurs d'électricité d'origine renouvelable, nucléaire et charbonnée, qui vendent leurs MWh à un prix du marché tiré par les cours du gaz, alors même que leurs propres coûts de production n'ont pas augmenté.
Berlin entend ponctionner les marges des producteurs d'électricité d'origine renouvelable, nucléaire et charbonnée, qui vendent leurs MWh à un prix du marché tiré par les cours du gaz, alors même que leurs propres coûts de production n'ont pas augmenté. (Crédits : DR)

Alors qu'en France, la Nupes et le Rassemblement national réclament depuis des mois une taxation des « superprofits » réalisés par certains grands groupes pendant la crise, notamment TotalEnergies ou l'armateur mondial CMA CGM, l'Allemagne semble, à première vue, emprunter cette direction : ce week-end, le gouvernement d'Olaf Scholz (SPD) a affirmé qu'il plaidera pour prélever les « bénéfices aléatoires » des entreprises ayant « profité » de l'envolée des cours du gaz et de l'électricité, afin de soulager le pouvoir d'achat des ménages.

De quoi faire réagir la classe politique dans l'Hexagone : « Peut-être que vous pouvez passer [à l'Allemagne] un coup de fil, histoire de ne pas rester les seuls « Gaulois réfractaires », comme dirait Macron », a tweeté dans la foulée la députée européenne Manon Aubry (LFI). « La France pourrait-elle suivre ? » s'est interrogé dès le lendemain France 2 dans son journal télévisé du soir.

Et pourtant, « c'est exactement ce que la France fait », a opposé dimanche le ministère de l'Economie. Même son de cloche du côté des experts : « Dans l'esprit, c'est un mécanisme qui existe déjà ici », souligne à La Tribune Jacques Percebois, économiste et spécialiste des questions énergétiques. « L'Allemagne s'en est inspirée », estime même Michel Gioria, délégué général de France Energie Eolienne (FEE).

La filière française des énergies renouvelables rend le trop-perçu à l'Etat

Néanmoins, côté Bercy, pas de taxation des superprofits en vue. « Je ne sais pas ce qu'est un superprofit ! », a même lancé à l'université d'été du Medef le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire. « Je préfère que Total électrifie les bornes dans toutes ses stations-service [...] et fasse des ristournes aux prix à la pompe [...] plutôt que de les taxer », a abondé hier son ministre délégué à l'industrie, Roland Lescure. Comment se fait-il alors que le dispositif de contribution obligatoire des « profiteurs de crise », imaginé en Allemagne, se rapproche de ce qu'a mis en place la France, pourtant hostile à un mécanisme fiscal exceptionnel ?

En fait, il s'agit là de deux sujets différents. En effet, l'idée de l'Allemagne n'est pas de taxer TotalEnergies, Shell ou CMA CGM, dans l'esprit des mesures mises en place au Royaume-Uni, en Italie ou en Espagne. Mais plutôt de ponctionner les marges des producteurs d'électricité d'origine renouvelable, nucléaire et charbonnée, qui vendent leurs MWh à un prix du marché tiré par les cours du gaz, alors même que leurs propres coûts de production n'ont pas augmenté.

Or, ce type de système existe déjà en France. C'est d'ailleurs pour cela que la filière éolienne française a dû remettre à l'Etat l'intégralité des 1,8 milliard d'euros de subventions qu'elle avait perçues en 2021, et que les énergies renouvelables devraient générer pas moins de 8 milliards d'euros de recettes cette année.

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Complément de rémunération « unilatéral » en Allemagne

En effet, plutôt que d'être « lâchées » sans garantie sur les marchés, ces dernières se trouvent sous contrats dits « de complément de rémunération » avec l'Etat français. Ce système prévoit une compensation financière aux opérateurs d'énergies renouvelables lorsque les prix sur le marché sont inférieurs au prix cible fixé lors des appels d'offres, afin d'encourager leur développement...mais aussi, en retour, un versement de l'excédent à la puissance publique quand ces prix lui sont supérieurs. « Un mécanisme gagnant-gagnant pour l'éolien et l'Etat », vante FEE, puisque les producteurs éoliens peuvent « profiter » de la crise pour rembourser leur « dette ».

« Imaginons que le coût de production d'un parc éolien soit de 100 euros par MWh. Si le prix du marché se situe à 70 euros le MWh, l'Etat subventionnera donc le parc à hauteur de 30 euros, afin qu'il puisse s'y retrouver financièrement. Mais en contrepartie, si le marché s'envole à 500 euros le MWh, comme c'est le cas actuellement, c'est l'opérateur de ce champ d'éoliennes qui devra restituer la différence à l'Etat, soit 400 euros ! », illustre Jacques Percebois.

C'est donc de ce mécanisme que souhaiterait s'inspirer Berlin. Et pour cause, outre-Rhin, « le programme de soutien aux énergies renouvelables s'apparente à une sorte de contrat de complément de rémunération unilatéral », explique un connaisseur du secteur. Comme en France, il oblige l'Etat à fournir aux producteurs éolien ou solaire la différence entre le prix défini lors de l'appel d'offre et celui du marché, si ce dernier s'avère trop bas pour couvrir les coûts de l'opérateur. Mais en retour, il ne prévoit pas d'imposer à ce dernier de restituer le trop-perçu si le marché s'emballe, contrairement à ce qu'exige l'Hexagone.

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EDF doit céder une partie de son électricité à prix coûtant

Ce n'est pas tout. A défaut de mettre également à contribution les producteurs d'électricité à base de charbon, qui n'existent quasiment plus en France (moins de 0,5% du mix), la France fait en sorte que l'opérateur de son parc nucléaire (environ 70% du mix) ne dégage pas de marges conséquentes.

En effet, un système appelé l'ARENH (Accès régulé à l'électricité nucléaire historique) empêche EDF de profiter d'effets d'aubaines, et donc de réaliser des profits exceptionnels. Depuis 2011, ce dispositif très décrié permet aux fournisseurs « alternatifs » (c'est-à-dire autres qu'EDF), qui ne peuvent posséder aucune centrale atomique, de proposer à leurs clients des prix compétitifs en achetant de l'électricité auprès d'EDF à prix coûtant (sans bénéfice pour ce dernier) plutôt qu'à celui, fluctuant, du marché.

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Ce tarif étant fixé par les pouvoirs publics à 42 euros le MWh, l'ARENH représente logiquement un manque à gagner considérable pour l'électricien historique, au moment où les cours s'envolent. D'autant que face à la crise de l'énergie, l'exécutif a décidé en début d'année de relever de 100 à 120 térawattheure (TWh) le volume d'électricité à prix cassé qui devra être cédé aux alternatifs en 2022, malgré un « coût » de près de 8 milliards d'euros pour EDF, selon les calculs du groupe.

« La méthode que l'Allemagne veut mettre en place ressemble, dans l'esprit, à l'ARENH. En France, c'est ce qui permet, entre autres, à l'Etat de mettre en place un bouclier tarifaire pour protéger les particuliers », fait valoir Jacques Percebois.

« Les mécanismes ne sont pas forcément les mêmes, mais la logique l'est [...] et elle ne relève en rien de la fiscalité », a tenté de son côté d'argumenter le ministère de l'Economie.

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Au-delà de l'état d'esprit général, reste donc à connaître les contours précis de cette contribution obligatoire voulue par Berlin et soutenue par la Commission européenne. Celle-ci ne relèvera « pas du droit fiscal » a en tout cas martelé le ministre allemand des Finances, le libéral Christian Lindner. Lundi, Emmanuel Macron s'est quant à lui déclaré favorable à la mise en place à l'échelle européenne d'un mécanisme « à l'égard des opérateurs énergétiques » réalisant de gros profits. Mais au vu de la proposition formulée par gouvernement allemand, rien ne laisse présager, à ce stade, que TotalEnergies, Shell et autres CMA CGM seront eux aussi concernés.

Marine Godelier

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Commentaires 5
à écrit le 07/09/2022 à 16:34
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Qu'est-ce qu'un "super-profit" ? Doit-on considérer plus privilégiée une entreprise qui fait un résultat de 10% de son chiffre d'affaires cette année après avoir perdu 2% pendant les 5 années antérieures (donc 0% de gain sur 6 ans), qu'une autre qui ...

à écrit le 06/09/2022 à 19:33
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les fachos de gauche devraient faire des posts et des tweets pour confisquer l'argent du VENEZUELA, chez l'ami du Staline francais ultra tolerant ( vous savez, celui qui massacre des indiens amazoniens pour faire exploiter le petrole par des chinois ...

le 06/09/2022 à 20:58
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Vous avez parfaitement raison

le 07/09/2022 à 11:39
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Oui, et il devraient aussi travailler et entreprendre plus pour payer plus d'impots et aider le pays au lieu de demander seulement aux autres de payer plus tout en les decouragenat d'entreprendre et travailler.

à écrit le 06/09/2022 à 18:56
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Les français ne sont pas dupes et savent très bien que Macron est la marionnette de Berlin... Vivement que Total ouvre une boîte aux lettres à Amsterdam pour y loger fiscalement ses activités étrangères.

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