La verrerie Pochet du Courval envisage d’utiliser du fuel en cas de pénurie de gaz

Les menaces sur l’approvisionnement en gaz agitées par Vladimir Poutine mettent les nerfs de beaucoup d’industriels à rude épreuve. Zoom sur un cas d’école en Normandie où la verrerie Pochet du Courval tente de se prémunir contre un arrêt brutal qui serait fatal à ses énormes fours de fusion.
La production de verre est un processus industriel à forte intensité énergétique, elle se fait essentiellement à partir du gaz. Ici la deuxième chauffe qui fixe le flacon à la sortie du moule.
La production de verre est un processus industriel à forte intensité énergétique, elle se fait essentiellement à partir du gaz. Ici la deuxième chauffe qui fixe le flacon à la sortie du moule. (Crédits : Pochet du Courval - Pascal Biomez)

Guerlain, Chanel, Dior, Mugler, Hermès... Pas un grand parfumeur qui ne commerce avec la verrerie Pochet du Courval, cathédrale industrielle du flaconnage de luxe depuis près de quatre siècles. Nichées au cœur de la vallée verrière de la Bresle aux confins de la Seine-Maritime et de la Somme, les quinze lignes de production de ses trois fours de fusion débitent un million de flacons par jour à un train d'enfer. A peine de quoi fournir une demande en croissance exponentielle depuis que la pandémie reflue et que les asiatiques, chinois en tête, se piquent de jus français.

Pour tenir la cadence, la verrerie, l'une des plus grandes d'Europe dans sa spécialité, a besoin d'opérateurs, de beaucoup d'opérateurs (1.400 salariés y travaillent). Mais aussi de gaz, et même d'une quantité astronomique de gaz. Directement raccordée à un gazoduc, elle en consomme 255 GW/h par an ! Autant que toute la ville d'Abbeville (plus de 20.000 habitants) distante de quelques dizaines de kilomètres. Ici, les fours ne dorment jamais. 365 jours par an et 24 heures sur 24, le verre liquéfié à plus de 1.300 degrés s'écoule dans des canaux en matériaux réfractaires jusqu'aux moules où il s'épanouit en formes complexes. Pour interrompre le processus, comptez plusieurs semaines, pour le redémarrer au moins autant.

Le marteau-piqueur comme seule issue

La technique verrière a, en effet, ceci de particulier qu'il est impossible de stopper des fours dans lesquels circule le verre en fusion. Un arrêt inopiné de l'alimentation en gaz leur serait fatal, comme l'explique Benoît Marszalek, directeur des Opérations.

« Une fois figé à l'intérieur, le verre ne peut plus revenir à l'état liquide. Nous n'aurions d'autre choix que de démolir les installations  au marteau-piqueur et de mettre tous nos collaborateurs au chômage pendant trois ans le temps de tout reconstruire ».

A la clef, d'énormes pertes non assurables parce que relevant d'un cas de force majeure.

Aussi les dirigeants de la verrerie font-ils le siège de la préfecture depuis que sont évoqués de possibles ruptures d'approvisionnement en lien avec le conflit russo-ukrainien. Leur objectif : obtenir de l'Etat un classement parmi les entreprises prioritaires dans les futurs schémas de délestage, au cas où ceux-ci devraient être mis en œuvre. « Nous saurons en juillet si le site est considéré comme critique mais nous savons déjà que le flaconnage passera après le verre pharmaceutique et le food & beverage », s'inquiète Benoît Marszalek. A défaut de ce sésame, Pochet du Courval est prêt à déclencher ce que l'intéressé appelle un « plan B ». Lequel consistera en dernière extrémité à alimenter ses fours au fuel. « Ce serait une très mauvaise nouvelle pour l'environnement et pour nos finances », prévient-il.

Vers l'électrification

Pour autant, cette crise aura au moins une vertu, celle de valider à postériori la stratégie de décarbonation enclenchée en 2014 chez Pochet du Courval qui a, depuis, réduit ses émissions de C02 d'un peu plus de 30%. Une performance qui s'explique par trois raisons : un pilotage plus fin de sa consommation d'énergie grâce à la digitalisation, la modernisation de deux ses fours, et l'injection dans son procédé de 15% de déchets de verre issus de la collecte des ordures ménagères. Une innovation conduite en partenariat avec le groupe Sibelco, fournisseur de minerais en pointe sur le recyclage du verre. « Le calcin ménager a ceci d'intéressant qu'il a moins besoin d'être chauffé que le sable pour entrer en fusion », précise François Lozano, directeur de l'unité verre chaud de la vallée de la Bresle.

Dans la même perspective, le groupe familial s'apprête à lancer la fabrication d'un nouveau four électrique pour remplacer l'une de ses trois installations. Sa mise en service devrait intervenir fin 2024. "Ce sera le premier en France dans le flaconnage de luxe", souligne Benoît Marszalek. Montant de l'investissement : entre 20 et 30 millions d'euros. Objectif : passer un nouveau palier de décarbonation et s'affranchir au moins en partie de sa dépendance au gaz. Une préoccupation qu'il partage aujourd'hui avec beaucoup de nations européennes.

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