Réindustrialisation : être à la table du « Yalta de l'industrie verte »

ÉDITO - Après des décennies de délocalisations, la France a commencé à se réindustrialiser. L'enjeu va bien au-delà de la relance d'un secteur d'activité. Alors que les grandes régions géographiques bataillent pour attirer les investissements qui seront les éléments de puissance industrielle de demain, la France a des atouts pour être à la table des négociations du « Yalta de l'industrie verte » qui se dessine.
Fabrice Gliszczynski
(Crédits : Reuters)

%%%Chères lectrices, chers lecteurs,

Vous en avez l'habitude. La Tribune accompagne régulièrement son offre quotidienne d'un format unique dans l'univers de la presse numérique : un dossier de fond sur un sujet de transformation économique et/ou sociale, voire sociétale, ou encore environnementale. Une enquête complète, avec une multitude d'angles, d'exemples et de témoignages pour décrypter les enjeux d'une thématique dans l'actualité. Après notre dernière édition sur La revanche du nucléaire, nous abordons aujourd'hui la question de la réindustrialisation de la France, et plus précisément celle des obstacles à lever pour y parvenir.

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Pourquoi un tel sujet ? Tout d'abord, parce que la problématique de la réindustrialisation embrasse toutes les composantes de notre ligne éditoriale centrée notamment sur les transformations des territoires, les enjeux de décarbonation et l'innovation. Ensuite parce qu'elle est au cœur de l'actualité avec l'adoption la semaine dernière au Sénat du projet de loi « industrie verte », première étape de son chemin législatif qui se poursuivra à l'Assemblée nationale à partir du 20 juillet.

Mais surtout, parce que l'ambition du gouvernement de porter la part de l'industrie dans le PIB à 15% en 2027, contre 10% aujourd'hui, va bien au-delà de la simple relance d'un secteur d'activité. Elle conditionne en effet la puissance économique du pays, une partie de sa souveraineté, et sa place dans le concert des grandes nations du monde. À l'échelle nationale, les enjeux n'en sont pas moins importants. Et pour cause, la réindustrialisation est cruciale autant pour atteindre le plein-emploi que pour redynamiser les territoires mis à mal par 40 ans de délocalisations et ainsi atténuer les tensions sociales qui menacent l'unité de la France. Elle est même un enjeu fondamental pour le maintien de notre démocratie si l'on songe que la colère qui a accompagné la fermeture de nos usines fait le jeu des partis extrêmes, de droite comme de gauche. Derrière la volonté de réindustrialiser se pose donc la question de l'avenir de la France avec comme seule option possible le succès sous peine de basculer -définitivement diront les plus pessimistes- dans une phase de déclin.

Consubstantielle à la nouvelle page de la mondialisation qui est en train de s'écrire, cette ambition de réindustrialisation est clairement dictée par la volonté des pays occidentaux de sécuriser les chaînes de production en jouant la carte nationale et celle des pays amis pour ne plus revivre les dépendances industrielles mises à nu par la crise sanitaire et la guerre en Ukraine.

Dans cette redéfinition de la carte industrielle mondiale, les grandes zones géographiques de la planète sont en concurrence et toutes jouent leur partition pour attirer les investissements qui seront les éléments de puissance industrielle de demain. Un nouvel ordre industriel se dessine au moment où la course à la décarbonation bat son plein à l'échelle du globe. Il en ressortira à coup sûr une sorte de « Yalta de l'industrie verte » pour reprendre la formule de Bruno Le Maire, dans lequel les pays européens ont tout intérêt à se retrouver du côté des vainqueurs face aux États-Unis et la Chine. Tout se joue donc aujourd'hui. En effet, dès lors que les entreprises auront tranché sur les lieux d'implantation de leurs sites industriels, ces derniers ne bougeront plus avant bien longtemps. Notre ministre de l'économie ne dit pas autre chose : « C'est bien ça l'enjeu. Une fois que les grands industriels automobiles auront choisi leur localisation des chaînes de valeur, c'est fini. Une fois que les grands producteurs de batteries électriques auront choisi de s'installer à tel ou tel endroit, c'est fini pour plusieurs décennies. Une fois que la production d'hydrogène vert sera répartie entre les grands continents de la planète, c'est fini pour plusieurs décennies ».

Pour l'heure, si depuis quelques années, le nombre d'ouvertures d'usines en France dépasse celui des fermetures, tout reste à faire. La décision de Bridor de mettre fin à son projet d'usine en Bretagne en raison du retard provoqué par les différents recours environnementaux rappelle l'ampleur des blocages français et les injonctions contradictoires non seulement de nos gouvernants qui veulent à la fois promouvoir l'activité industrielle et lutter contre les émissions de gaz à effet de serre, mais aussi de nos concitoyens qui veulent avoir des emplois mais pas d'usines...

Pour autant, la France a ses chances. Car, les principes de ce nouveau « Yalta industriel » qui se profile ne sont plus ceux d'il y a encore 20 ans quand l'organisation des chaînes de valeur était dictée par les seuls coûts de production, essentiellement de main-d'œuvre. Aujourd'hui, les cartes sont rebattues et l'industrie mondiale s'inscrit dans une double révolution, environnementale et numérique, dans laquelle la France à de nombreux atouts : sa technologie, sa main-d'œuvre qualifiée, mais aussi son électricité décarbonée liée à son parc nucléaire.

À condition néanmoins que l'Europe fasse vraiment sa mue sur la question des aides publiques pour pouvoir jouer à armes égales avec les Etats-Unis et la Chine, et que les différentes politiques industrielles des pays européens soient cohérentes entre elles mais aussi avec les mesures que peaufine Bruxelles pour éviter une compétition intra-européenne qui serait forcément désastreuse et ferait le jeu de nos concurrents.

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Pour décrypter les enjeux de cette réindustrialisation et son impact dans les régions françaises, La Tribune a décidé de mobiliser l'ensemble de sa rédaction à Paris et dans les bureaux régionaux pour réaliser ce numéro hors-série exceptionnel de près de 150 pages, dans lequel vous trouverez notamment :

Les interviews de Roland Lescure, ministre de l'industrie, de Luca de Meo, directeur général du groupe Renault, de David Lisnard, maire de Cannes et président de l'association des maires de France (AMF), de Frédérique Le Grevès, directrice générale de STMicroélectronics qui aborde la question de la place des femmes dans l'industrie, ou encore de Florence Lambert, présidente de Genvia, qui prépare à Béziers sa future gigafactory de fabrication d'électrolyseurs haute température destinés à produire de l'hydrogène décarboné compétitif.

-Des décryptages sur la problématique du « zéro artificialisation nette », de la sécurisation des matières premières, de la taxe carbone, de l'énergie (avec notamment un focus sur la course aux raccordements pour les nouvelles usines par crainte de manquer d'électricité), de l'emploi, de la formation, de l'apport du numérique, ou encore du rôle des startups industrielles.

-Des enquêtes sur de grands secteurs concernés par la réindustrialisation comme la défense et la santé.

-Des coups de projecteurs sur les nombreuses initiatives dans les régions françaises.

-Des portraits comme celui de Clarisse Maillet, la directrice générale d'Aérométal, basée en Bourgogne-Franche-Comté.

réindustrialisation

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Fabrice Gliszczynski

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Commentaires 3
à écrit le 28/06/2023 à 8:15
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Enfin la France a commencé à réindustrialiser des usines à goudron hein je sais pas s'il faut y voir du vertueux là dedans...

à écrit le 27/06/2023 à 13:58
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Il y a un malentendu entre malcomprenant avec cette expression d'industrie verte. Ils ont du traduire le Plant anglosaxon par plante... verte ! Chef, chef les anglois créént des Plant industrielles ! C'est l'avenir nom de diou !

à écrit le 27/06/2023 à 12:08
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Ah bon, quels sont les éléments factuels qui vous permettent d'affirmer dans votre introduction que la "France se réindustrialise?" Des chiffres trompeurs peut etre. Allez vous sur le terrain?

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