Les Chatons toutes griffes dehors face aux géants du Net

Dans le sillage de sa campagne "Dégooglisons Internet", qui vise à lutter contre l’hégémonie des Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), l’association Framasoft travaille à la création d’un collectif d’hébergeurs alternatifs, les "Chatons", dont l’objectif est de populariser les services éthiques auprès du grand public.
Sylvain Rolland
Depuis le mois de janvier, l'association Framasoft, connue pour sa campagne "Dégooglisons Internet", tente de créer un collectif qui regrouperait le maximum d'acteurs proposant des services en ligne alternatifs.

Les irréductibles Gaulois du village libriste s'organisent. Ces partisans des logiciels libres, de l'auto-hébergement des données et des services alternatifs aux géants du Net comme Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft (les fameux Gafam), s'apprêtent à livrer bataille contre l'envahisseur.

Depuis le mois de janvier, l'association Framasoft, connue pour sa campagne "Dégooglisons Internet", tente de créer un collectif qui regrouperait le maximum d'acteurs proposant des services en ligne alternatifs. Baptisé malicieusement "Collectif d'hébergeurs alternatifs, transparents, ouverts, neutres et solidaires", ou "Chatons", ce regroupement est annoncé pour octobre 2016, le temps d'écrire une charte de valeurs et un manifeste avec les acteurs concernés.

Des services "gratuits"... totalement intrusifs

L'objectif est clair: résister à la "colonisation" du web par les géants américains. Et sensibiliser le grand public aux dangers d'une trop grande concentration de services utilisés par tous dans les mains de quelques multinationales comme Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft, dont la valeur en Bourse dépasse le PIB d'Etats riches comme la Suède, l'Argentine ou la Belgique. Tristan Nitot, ingénieur chez CozyCloud et défenseur de cette initiative, explique pourquoi le "libre" prend de l'ampleur:

"Depuis que l'informatique est devenue un métier, l'entreprise qui écrit le logiciel, le code, contrôle l'utilisateur. D'où l'émergence du mouvement du logiciel libre, qui explique qu'il faut partager le code source du logiciel avec tout le monde pour empêcher une entreprise d'avoir un contrôle total de nos données et les Etats d'intégrer dans ces systèmes opaques des logiciels espions. Le problème est qu'aujourd'hui, les Gafam vendent leurs logiciels comme des services (Gmail, Facebook...), qui sont utilisés par des milliards d'utilisateurs dans le monde. Cette domination leur donne un pouvoir inédit sur les citoyens car ces géants contrôlent toutes leurs données personnelles et les réutilisent pour leur profit. De fait, cette concentration facilite la surveillance généralisée, comme l'a montré l'affaire Snowden en 2013".

Framasoft veut populariser le "libre", mais refuse de grossir

En France, Framasoft est le porte-étendard de ce mouvement. Ses services alternatifs, comme Framasphère (un Facebook éthique), Framabee (moteur de recherche) ou Framacarte (équivalent de Google Maps) connaissent un succès croissant depuis l'affaire Snowden. Chatons représente donc le passage à la vitesse supérieure en regroupant les services et les hébergeurs alternatifs pour leur permettre de gagner en notoriété auprès du grand public. Et ainsi éviter que seuls les geeks et les citoyens anti-Gafam les utilisent, comme c'est encore trop le cas aujourd'hui.

L'objectif est aussi d'essaimer, c'est-à-dire de faire émerger d'autres solutions, à la fois complémentaires de celles qui existent déjà (il n'y a pas de Twitter éthique, par exemple) et redondantes, pour casser la logique centralisatrice du "winner takes all".

Car Framasoft se retrouve face à un paradoxe. Plus ses services sont plébiscités, plus l'association se transforme en gros au milieu des petits.

"Nous savons que nous allons dans le mur ! Cette croissance permanente n'est pas tenable à long terme", indique Framasoft dans un billet de blog.

En fait, l'association craint d'être victime de son succès: devoir embaucher davantage, maintenir plus de machines, "courir derrière l'argent", grossir sans cesse et, in fine, devenir un service centralisateur similaire à ceux qu'elle combat.

Chatons vise donc à conserver cet esprit "village gaulois" sans gêner la démocratisation des services anti-Gafa. Et si cette plateforme vient d'une initiative de Framasoft, l'association compte s'effacer pour devenir "un chaton parmi d'autres".

De nombreux hébergeurs prêts à devenir des Chatons

Le projet a été accueilli plutôt favorablement par la communauté du libre. "Framasoft se remet en question et refuse de devenir une grande usine à gaz centralisatrice. C'est ce qui arriverait s'il devenait un incontournable d'Internet", se réjouit Raspéguy, le rédacteur en chef du blog Hashtagueule, qui chronique l'actualité informatique dans le domaine du "libre".

Des hébergeurs de services en ligne, dont certains existent depuis plus longtemps que Framasoft, sont prêts à rejoindre l'aventure. C'est le cas d'Indiehosters, d'Infini, l'Autre Net, Ouvaton, Rhien, Tuxfamily ou encore Zaclys. "L'idée est de fédérer les anciens mais aussi de faire émerger une nouvelle génération, encourager la création de services éthiques mais plus modernes, aussi performants et agréables à utiliser que ceux des Gafam", indique Tristan Nitot.

Toutefois, beaucoup ne se font pas d'illusions sur le fait que Chatons n'attirera qu'un écosystème très restreint d'hébergeurs adhérant aux valeurs de décentralisation, de liberté des logiciels et d'économie solidaire. De plus, il faudra avant toute chose se mettre d'accord sur la charte de valeurs et le manifeste. Cela promet quelques migraines dans les mois à venir. "Certains points de la charte peuvent mettre un frein à l'enthousiasme de certaines entreprises et associations de l'hébergement informatique", souligne Raspéguy.

Quelques migraines à prévoir

L'obligation de transparence des comptes financiers fait déjà grincer quelques dents. Si elle était maintenue dans la version finale de la charte, cette exigence pourrait poser un gros problème à la plupart des hébergeurs professionnels existants, refroidis à l'idée de partager leurs informations financières pour des raisons de compétitivité.

Autre point de blocage pour les entreprises : la volonté du collectif d'impliquer les hébergés dans la maintenance des services qu'ils utilisent. "C'est hors de question", tranche Philippe Scoffoni, qui fournit des solutions d'auto-hébergement avec sa société Open DSI destinée aux PME et TPE. "Je ne vais pas permettre à mes clients de faire la maintenance de leur serveur alors que c'est ma société qui s'engage sur ce niveau de service", explique-t-il sur son blog.

Cet expert en solutions informatiques libres et open source loue néanmoins l'ambition du projet. Mais il s'interroge sur son efficacité. Puisque Framasoft veut rester "petit", Philippe Scoffoni craint que "ce collectif aboutisse au mieux à la création d'un réseau de petits hébergeurs, au risque de ne toucher qu'une petite frange d'utilisateurs".

Autant de sujets qui devront être mis sur la table lors des prochains mois. Mais qui ne devraient pas doucher l'enthousiasme autour d'une initiative que la communauté libriste considère globalement comme un progrès dans la lutte anti-Gafam.

Sylvain Rolland

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