Le Brexit va-t-il freiner l’élan de la tech londonienne ?

Les leaders de la tech londonienne craignent que la capitale européenne de l’innovation perde une partie de son attractivité auprès des talents européens et redoutent un impact du Brexit sur l’investissement dans les startups. Tout dépendra en fait des négociations qui seront menées entre Londres et Bruxelles dans les deux ans à venir.
Sylvain Rolland
De nombreuses startups qui viennent de lever des fonds ont signé des clauses spéciales en cas de Brexit.

Les Anglais ont tranché, le "out" l'a emporté. Dans deux ans, après des négociations forcément complexes avec Bruxelles, le Royaume-Uni pourrait sortir de l'Union européenne. Quelles conséquences cette décision aura-elle sur la tech londonienne? Considérée comme la capitale digitale de l'Europe, Londres accueille un écosystème d'innovation très dynamique, avec 14 licornes et plusieurs milliers de startups. Loin devant Paris, Berlin ou encore Stockholm, les autres grands "hubs" en Europe.

Pendant la campagne, très peu de voix dans le secteur se sont élevées pour réclamer le Brexit. Une seule, en fait, celle de l'inventeur et designer industriel James Dyson, connu pour ses aspirateurs. Selon l'entrepreneur, le Brexit permettra de "créer davantage de richesse et d'emplois" et renforcera l'attractivité du Royaume-Uni auprès des talents européens. Cette vision fait écho à celle des partisans du Brexit, qui considèrent l'Europe comme le royaume de la bureaucratie et des réglementations pénalisantes pour le développement de l'économie.

Mais dans le secteur technologique, James Dyson est bien l'un des seuls à penser de la sorte. L'immense majorité des startups, grands groupes et experts du digital soutenaient le "remain". Le secteur craint que le Brexit freine le formidable élan de la "London tech". Cinq des quatorze licornes anglaises se sont ouvertement prononcées pour le "remain", dont les fintech TranferWise et Funding Circle, le site Zoopla, le spécialiste du e-commerce Ve et la foodtech Just Eat. Selon une étude de Juniper Research du mois de mai, 65% des employés dans le digital estimaient également qu'un Brexit impacterait négativement l'écosystème tech britannique.

Le Royaume-Uni va-t-il se compliquer l'accès aux talents ?

C'est l'une des principales craintes de 80% des acteurs de l'industrie technologique. Aujourd'hui, 1,5 millions d'emplois sont liés à l'économie numérique au Royaume-Uni, avec une croissance trois fois plus forte que dans les autres secteurs. L'accélérateur Wayra estime qu'un travailleur sur trois dans la tech n'est pas Anglais, la plupart venant d'Europe. Avec la sortie de l'UE, la circulation des personnes risque de se compliquer et il faudra redéfinir le système des visas et des permis de travail pour les travailleurs européens. "Une chose est sûre, ce ne sera pas plus simple qu'avant. Il faut enlever des barrières, pas en ajouter", estime Ben Porat, le Pdg de la startup Pixoneye.

Les startups dans les domaines du big data et de l'intelligence artificielle sont particulièrement inquiètes. Comme d'autres écosystèmes, Londres est confrontée à une pénurie d'ingénieurs et de développeurs et se "fournit" déjà massivement en Europe continentale. Quitter l'UE risque de rendre la recherche de talents encore plus difficile.

Vers davantage de régulation en Europe ?

A priori, l'idée d'une sortie de l'Union européenne aurait de quoi réjouir la tech londonienne, très vocale pour critiquer les nombreuses règles perçues comme très contraignantes sur les données personnelles, la fiscalité, la concurrence ou encore la protection de la vie privée, alors que les Anglais militent pour une Europe du numérique plus souple, plus libérale, de manière à ne pas entraver l'économie et l'innovation.

Mais en réalité, les régulations européennes harmonisées dans les 28 pays facilitent non seulement le recrutement, mais aussi les déplacements et les créations de filiales en Europe. En outre, le Royaume-Uni devra négocier ses propres accords avec l'UE concernant le transfert des données, crucial pour le développement de l'économie numérique. Et comme le font les autres pays non-membres de l'UE, il devra composer avec les règles européennes, qui sont les plus protectrices du monde. Le Brexit ne risque donc pas de libérer les Anglais des contraintes de Bruxelles, car si ses entreprises veulent accéder à l'immense marché européen de 500 millions de personnes, elles seront forcées de s'adapter aux règles existantes.

De plus, la crainte d'un affaiblissement de l'influence du royaume en Europe, et donc de davantage de régulation dans le secteur numérique, agite les leaders de la tech. Avec le Brexit, les partisans d'une Europe plus libérale et d'une régulation plus souple (les pays nordiques et baltes, essentiellement) perdent leur principal allié. De quoi déséquilibrer le rapport de forces avec la France et l'Allemagne, alignées pour réclamer davantage de régulation, de protection des consommateurs et de fermeté vis-à-vis des règles de concurrence, notamment face aux géants du net. "Sans le Royaume-Uni, l'Allemagne et la France pourront faire ce qu'elles veulent", craint Antanas Guoga, membre du parlement lituanien, cité par le Wall Street Journal. Pas une bonne nouvelle pour les anglais, qui seraient en outre exclus du futur marché digital unique, ou qui devraient négocier des conditions spéciales.

Un impact sur l'investissement ?

Coupées de l'Europe et confrontées à un accès plus difficile aux 500 millions d'Européens, les startups britanniques seront-elles aussi attractives pour les investisseurs? Les experts ne le pensent pas. L'industrie technologique londonienne craint que le Brexit incite les entreprises internationales à s'installer plutôt à Berlin, à Paris ou à Stockholm plutôt qu'à Londres. Bien entendu, Londres restera un écosystème favorable au développement de l'innovation, mais son éclat risque de se ternir.

Microsoft, qui emploie 5.000 personnes dans le pays, a expliqué cette menace dans une lettre ouverte. Le géant américain, pourtant attaqué sans relâche par les autorités antitrust européennes (il a dû payer 2,2 milliards d'euros d'amendes) a soutenu le "remain" car il estime que les futurs investissements de la firme et même d'autres compagnies pourraient être remis en cause. "Historiquement, le fait que le Royaume-Uni fasse partie de l'Union européenne est l'une des raisons majeures de son attractivité", a mis en garde le directeur de la branche anglaise de Microsoft, Michel Van der Bel.

Les conséquences pourraient aussi se faire sentir dans l'investissement dans les startups. Gartner anticipe la poursuite du ralentissement du capital-risque observé depuis le début de l'année. D'après CNN, de nombreux investisseurs ont même mis en pause leurs investissements à cause de l'instabilité actuelle. James Layfield, qui dirige une entreprise de bureaux partagés pour startups à Londres, a indiqué à la chaîne américaine que de nombreuses startups qui venaient de lever des fonds avaient signé des clauses spéciales en cas de Brexit. L'une d'entre elle a même dû signer une clause permettant à l'investisseur de se retirer.

Attention toutefois à ne pas verser dans les "peurs déraisonnables", met en garde John Lovelock, vice-président de la recherche chez Gartner. "Le Royaume-Uni a deux ans pour fixer les termes de sa sortie. Tout va dépendre de ces négociations".

Sylvain Rolland

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Commentaire 1
à écrit le 25/06/2016 à 9:51
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"le royaume de la bureaucratie" en GB, l'administration est exemplaire de souplesse ? Les gens qui commercent sont pourtant ravis de pouvoir vendre partout dans l'UE de façon simple et rapide (à part un agriculteur qui trouvait amusant de devoir rem...

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