Gros bêta

Le monde de la finance adore le jargon obscur, parlant "d'alpha" et de "bêta" pour parler de concepts finalement simples. Il serait sain d'employer un langage plus clair.
Un langage simple comme des cubes d'enfant

(Ceci est la reproduction de la chronique hebdomadaire "Vu de la City", dont des paragraphes avaient été tronqués dans sa version définitive cette semaine.)

"Ce qui ce conçoit bien s'énonce clairement." La maxime, qui vient du poète du XVIIème siècle Nicolas Boileau, n'a visiblement pas été reprise à son compte par le monde de la finance. Que ce soit pour se protéger, pour se rendre inaccessibles et simplement pour donner l'impression d'être intelligents, les financiers aiment à se cacher derrière un mur de mots.

A commencer par l'alpha et le bêta. L'alpha, en langage de gérant d'actifs, c'est la capacité à réaliser une performance supérieure au marché. Un fonds d'investissement en actions qui progresserait de 10% en un an, quand la bourse n'augmenterait que de 2%, aurait ainsi dégagé de l'alpha. C'est curieux, mais il nous avait toujours semblé que faire mieux que la bourse était justement le travail du gérant, non ? Simplement, avec ce terme technique « d'alpha », les gérants ont déguisé ce qui devrait être la base de leur travail d'une apparence vaguement scientifique... qui nécessite bien sûr rémunération supplémentaire.

Et le bêta ? C'est une performance qui suit simplement le niveau des marchés. Bref, une performance nulle, qui est certes beaucoup moins bien rémunérée. Et allez savoir pourquoi, mais les génies du marketing de la gestion d'actifs n'ont pas trouvé de lettre grecque pour ceux qui faisaient moins bien que le marché. On proposerait volontiers gros bêta, mais malheureusement, ça ne marche pas en anglais, la langue de référence en ce domaine.

Derrière cette utilisation anecdotique d'un langage obscure se cache pourtant une vérité fondamentale de la finance, redécouverte avec la crise : ce n'est pas parce que c'est compliqué que c'est intelligent. Adair Turner, le président de la FSA, le régulateur des marchés britanniques, le dit à sa façon quand il parle de la « soupe aux lettres » qui désigne tous les produits structurés à l'origine de la catastrophe financière : les CDO, CDO square, ABS et autres MBS... Tous avaient un point commun : peu de gens -y compris les petits génies de la finance- en comprenaient leur fonctionnement.

Il en va de même pour le langage financier pour le grand public. Une étude publiée en janvier par Nest, un organisme public britannique spécialisé sur les retraites, montrait que seules 20% des personnes interrogées pouvaient expliquer un terme pourtant couramment utilisé par les fonds de pension outre-Manche : « lifestyling ». Cela signifie simplement que les investissements réalisés par le fonds de pension changent avec l'âge de la personne : plus elle est proche de la retraite, moins les investissements sont risqués.

Nest a depuis ouvert un glossaire pour chasser le jargon. La « désaccumulation » devient désormais « début des versements de votre retraite » ; le « fonds par défaut » devient « sauf si vous choisissez une autre option, votre argent sera investi dans un fonds choisi pour vous par Nest ».

Clarifier la langue est important. Avec la crise des fonds de pension après l'explosion de la bulle internet, la plupart des entreprises britanniques ont fermé leur fonds dits « defined benefit », les remplaçant par « defined contribution ». Ce petit mot de différence change tout : dans le premier cas, les fonds de pension garantissent le niveau de la retraite qui sera perçue ; dans le deuxième cas, la seule garantie est le montant mis de côté par l'employé chaque mois. Si les investissements du fonds de pension s'écroulent (qu'ils font du « gros bêta »), il ne restera rien à l'employé. En d'autres termes, c'est ce dernier qui assume le risque des marchés financiers. Un petit mot qui déguise un changement fondamental, et qu'il valait mieux comprendre.
 


 

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