Je râle donc je suis

Une grande envie de se plaindre de la terre entière ? D'ouvrir sa gueule en grand et devant tout le monde ? Saisissant l'un des sports favoris des Français, la compagnie d'assurances Maaf lance le Championnat de France des râleurs. Les grognons sont invités à poster sur le site www.championnatdesraleurs.com le sujet de leur contrariété pour gagner des sous ou une apparition dans un de ses spots publicitaires. Un concours qui risque de remporter un franc succès si l'on en croit le moral des Français.
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Mais faut-il encourager ce qui devient de notoriété publique l'un de nos sports favoris ? Il est vrai qu'au travail ou entre amis râler crée du lien et s'avère être un exutoire passionnant et passionnel paré de nombreuses vertus. Et de surcroît tout à fait naturel. Ainsi, le psychiatre Christophe André note dans son ouvrage sur « les États d'âme » que « notre cerveau a été façonné pour nous faire focaliser sur des sources d'ennuis possibles, l'espèce humaine nous imposant un cahier des charges qui valorise la surattention au négatif ». Pourquoi ? Tout simplement parce que plus vite on ressent le danger potentiel, mieux on y fera face. Résultat : râler oui... à la condition de s'interroger sur ce qu'on peut modifier à la situation. Or c'est là que le bât blesse aujourd'hui. Devant des marchés financiers en perdition, des politiques qui s'étripent sur fond de scandales, et des entreprises aux stratégies hasardeuses, difficile de se sentir en capacité de faire bouger les choses. Râler, c'est désormais faire état de notre impuissance et se rassurer qu'on est tous dans le même bateau. Nous nourrissons ainsi notre sentiment d'appartenance, notre besoin de reconnaissance mais aussi nos insatisfactions et frustrations multiples autour de nos vies. Et parfois même notre compte en banque : une étude américaine dévoilée fin août à l'Academy of Management démontre que les grincheux sont mieux payés que leurs homologues aimables (+ 18 %). Moralité : râler revient à tirer la couverture à soi... ce qui, dans l'entreprise, peut faire parfois pencher la balance en votre faveur.

Et pourtant. Râler peut nuire gravement à votre santé et à celle de votre entourage pour paraphraser les mises en garde d'une autre drogue bien connue. Ce sport a non seulement une fâcheuse tendance à muscler les cordes vocales des grognons. Mais aussi à rejeter les insatisfactions sur les autres en adoptant une posture de victime. Façon pour certains de décharger leur trop-plein de stress alimenté par une société de la performance. On râle alors de façon chronique et qui plus est sur le dos des autres. Contre soi-même on ne râle pas vraiment : on ressasse, on culpabilise, on se ronge ou alors on refoule. La plupart du temps, on râle devant un tiers dont on cherche à obtenir l'approbation avec force « toujours » et « jamais », amplifiant l'impact négatif de la situation qui se fige dans le temps.

Surcharge de travail ? Collègues envahissants ? Patron autiste ? Quand le problème est bien réel, mieux vaut trouver de l'aide pour s'atteler à le résoudre ou tout du moins à le détourner et poser les limites protectrices. S'organiser autrement, apprendre à dire non, argumenter, faire valoir ses droits, mais aussi demander de l'aide. « Derrière nos bougonnements se profile bien souvent un sentiment que tout repose sur nos épaules. On passe notre temps à jongler. Forcément dès que quelque chose interfère avec nos plans, ça nous met hors de nous. Il faut se dire qu'on ne peut pas tout contrôler », note Christine Lewicki. Cette coach française basée à Los Angeles a fait le pari d'arrêter de râler en... vingt et un jours, et réuni sur son blog des candidats à l'abandon de ce sentiment d'insatisfaction chronique doublé d'une profonde lassitude. Ses conseils ? Identifier ses besoins et apprendre à les exprimer. Et observer toutes les fois où on dramatise pour s'ancrer mieux dans la réalité et amorcer un possible changement. À une condition : devenir un peu plus flexible sur la façon dont son besoin peut être satisfait, bref sortir le nez de nos frustrations.

Reste que l'initiative de la Maaf a deux bénéfices : en maniant l'humour, la communauté réunie des râleurs va trouver de quoi s'épancher autour des contraintes absurdes dans lesquelles nous plongent notre société et en particulier l'administration. Le râleur ayant besoin que l'on se penche sur son cas, lui permettre de s'exprimer au grand jour a toutes les chances d'épuiser sa musette de mécontentements. Alors râler pour faire jouer à bon escient la soupape de la colère, oui. Et avec de l'humour, c'est encore mieux... voire thérapeutique. Mais râler sur tout et par tous les temps, sûrement pas !... Au risque de s'isoler et de rejoindre la cohorte des pénibles « jamais contents ».

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