Ibsen, jusqu’aux tréfonds des âmes

Sylvain Maurice met en scène « Petit Eyolf », de Henrik Ibsen. Autopsie d’un couple qui se disloque après la perte de son fils.
Sophie Rodrigues et David Clavel interprètent les parents du petit Eyolf.
Sophie Rodrigues et David Clavel interprètent les parents du petit Eyolf. (Crédits : © LTD / Christophe Raynaud de Lage)

On connaît moins Petit Eyolf, qui date de 1894, que d'autres grandes pièces d'Ibsen, et leurs héros et héroïnes, Peer Gynt, bien sûr, Hedda Gabler, la Nora de Maison de poupée, ou encore Solness le constructeur, John Gabriel Borkman, tant d'autres qui nous semblent si proches malgré la distance du temps. Henrik Ibsen (1828-1906) fut très rapidement connu dans le monde entier, et joué à Paris dès les années 1890, dans des mises en scène de Lugné-Poe. Ses œuvres ne quittent guère la scène en France, et l'on admire l'étendue de son spectre. S'il se passionne pour les êtres, il est également très intéressé par la société. Dans Un ennemi du peuple, pièce composée en 1882, il analyse les désastres d'une exploitation violente de la nature, l'attrait forcené pour l'argent. Il est un précurseur en matière d'écologie.

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 Metteur en scène rigoureux

Sylvain Maurice a mis en scène Peer Gynt il y a plusieurs années. S'il en vient à Petit Eyolf aujourd'hui, c'est dans le cadre d'un cycle qui va concerner enfants et adolescents. Metteur en scène rigoureux, il conçoit lui-même la scénographie des spectacles, comme lors de la saison dernière en montant La Campagne, du dramaturge britannique contemporain Martin Crimp. Ce fut un très grand succès, avec notamment Isabelle Carré.

Pour Petit Eyolf, il dessine un espace dégagé qui laisse une grande place à la mer et au ciel et que transfigurent les lumières de Rodolphe Martin. Musique et son, de Jean de Almeida, tiennent un rôle très important, laissant sourdre l'angoisse jusqu'à la terreur. C'est très beau. Et l'essentiel est délégué aux interprètes, dans une adaptation inspirée de la traduction du regretté Michel Vittoz (chez Actes Sud-Papiers).

Un travail plein de tact où rien n'est surligné et qui se ferme sur une image qui peut être celle d'un apaisement

L'argument tient en quelques lignes. Un petit garçon de 9 ans, handicapé à la suite d'un accident, se noie dans le fjord que surplombe la maison de ses parents. Son père, Alfred Allmers (joué par David Clavel), vient de rentrer après un long séjour solitaire en montagne. « Je ne pensais pas. Je marchais, côtoyant les abîmes, et je goûtais la douceur et la paix que donne la sensation de la mort. » Il voulait écrire un ouvrage sur la responsabilité humaine, mais il y a renoncé. Il retrouve son épouse Rita (Sophie Rodrigues). Ce couple se délite depuis longtemps, et la mort de l'enfant va tout aggraver.

Eyolf est incarné par Murielle Martinelli, la comédienne du Petit Chaperon rouge selon Joël Pommerat. Ses parents sont joués par deux artistes très sensibles et les affrontements n'en sont que plus déchirants. Elle, brune, avec quelque chose de sauvage, si tourmentée, corps et âme, qu'elle en vient à rêver la disparition de l'enfant... avant la noyade. C'est terrible. Lui, naturellement plus lisse, plus maître de ses sentiments mais se sentant profondément coupable, apporte sa force et ses nuances à cet homme paumé.

Un travail plein de tact

D'autres adultes sont là. La demi-sœur d'Alfred, Asta (Constance Larrieu), est très subtile. Une jeune femme troublée avec son amoureux fidèle, le jeune ingénieur Borgheim, idéal Maël Besnard. Enfin, comme souvent chez Ibsen, l'écrivain du pays des trolls, le surnaturel troue la surface, que l'on voudrait bien lisse, du réel. Surgit « la demoiselle aux rats » (ici dénommée « dame », mais « demoiselle » est du côté des fées). Fantasque, fantastique, folle, mais sans méchanceté, elle est croquée par Nadine Berland, souvent applaudie chez Sylvain Maurice. Un travail plein de tact, où rien n'est surligné et qui se ferme sur une image qui peut être celle d'un apaisement.

Après La Manufacture des Œillets, où le spectacle s'est donné jusqu'à hier, les prochaines représentations se tiendront le 21 mars à L'Archipel, scène de territoire de Fouesnant. Puis du 9 au 11 avril au Quai, Centre dramatique national d'Angers. Durée 1h30. À l'automne 2024, on reverra Petit Eyolf au Théâtre Montansier de Versailles. D'autres dates sont à venir.

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