Les dévots de Courbet

Des États-Unis au Doubs en passant par le Japon, le fabuleux destin du « Chêne de Flagey » revenu en France grâce à une souscription.
Photo du maître peignant son œuvre en 1864.
Photo du maître peignant son œuvre en 1864. (Crédits : © LTD / HERITAGE IMAGES/AURIMAGES ; MUSÉE COURBET)

Le Chêne de Flagey, peint par Courbet en 1864, est plus qu'un tableau, davantage qu'un autoportrait caché. Il est devenu le lien viscéral qui unit les Francs-Comtois, un étendard, l'ancêtre dont on est fier, un membre éloigné de chaque famille. Au-delà du feuillage dense du chêne s'écrit une incroyable histoire.

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Ceci n'est pas un chêne, aurait pu écrire René Magritte. C'est un peu vrai. C'est un chêne, mais pas seulement. Ceci est un chêne qui cache un homme, Gustave Courbet. Ceci est un autoportrait déguisé en chêne. L'arbre est puissant, ancré dans sa terre de Franche-Comté comme le fut Courbet. Ses branches semblent vouloir s'étirer au-delà du cadre de la toile. Le chêne est au sommet de sa forme. Sa cime est si haute qu'elle ne tient pas dans le tableau. L'ogre-chêne est à l'étroit. Il veut sortir de la toile, briser son cadre. Courbet n'aimait pas non plus être enfermé dans un cadre, aucun cadre. Chêne et Courbet sont frères, sont un. Le chêne résiste aux vents mauvais comme Courbet résista aux tempêtes artistiques et politiques.

Au moment où il peint son chêne, à 45 ans, Courbet a été d'innombrables fois moqué, refusé, incompris. Il a peint la nature telle qu'il la connaît, la mer telle qu'elle l'inspire et des femmes, parfois saphiques, en rondeurs selon ses critères de beauté. Il a surtout peint les choses de la vie rurale, des paysans épuisés, des vaches qui se reposent, des casseurs de pierres, les élégantes de son village, un enterrement à Ornans. Courbet a également représenté des curés empruntant un chemin, tous ivres. La bigote impératrice Eugénie n'aime donc pas Courbet. Son mari, l'empereur Napoléon III, dont Courbet conteste le type de régime, l'aprécie encore moins. Delacroix trouve ses sujets vulgaires et Théophile Gautier ses femmes monstrueuses. Courbet est globalement détesté mais reste droit comme son chêne, droit dans ses bottes. Peintures ou convictions politiques, idéaliste assumé, Courbet le téméraire, respecte l'inspiration et les convictions qui coulent en lui. Rien ne l'arrête, comme la rivière Loue qui traverse sa terre. Courbet et son chêne ne sont ni roseaux ni peupliers. Ils ne plient pas. Chêne et Courbet sont droits dans leurs bottes.

En 1864, Courbet marche exalté à travers le hameau de Flagey, où sa famille possède une ferme. Son père est un grand propriétaire terrien, un notable. Flagey est situé à quelques kilomètres d'Ornans, où Gustave est né en 1819. C'est à Ornans que les falaises et la rivière Loue tant représentées dans son œuvre se la coulent douce.

En 1864, Courbet traverse plusieurs fois, exalté, le hameau de Flagey avec son chevalet. Autour de lui, un plateau vallonné et verdoyant, quelques douces vallées jurassiennes. Gustave Courbet pose ses pinceaux à l'orée du hameau, en face de ce qui est aujourd'hui une magnifique pépinière appartenant à la famille Duchesne. Pas une blague. Depuis, le chêne a été foudroyé. Tout comme le républicain Courbet, à sa manière lorsqu'il apprit en 1873 que l'Empire français l'exilait en Suisse. Il y mourut en 1877, au bord du lac Léman, dans l'alcool, à quelques kilomètres seulement de sa terre natale tant aimée.

Des courbetophiles inattendus

La saga du tableau commence trois ans après la mort de Courbet. Son Chêne est vendu en 1880 et part aux États-Unis. Plus d'un siècle plus tard, en 1987, il est revendu à un milliardaire japonais qui l'installe au pays du saké. Beaucoup trop loin des vins blancs jurassiens et du comté. C'est ce que pensent un grand nombre de Francs-Comtois dont le président du conseil général de l'époque, le sénateur Jeannerot. En 2011 l'incroyable survient.

Une souscription est lancée afin de racheter le tableau et de le rapporter au pays. Le succès de la souscription est phénoménal. Des chèques parviennent au conseil général à Besançon, quelques gros, très gros, mais une quantité innombrable de petits, très petits. Le milliardaire vend le tableau qui rejoint le musée Courbet d'Ornans en mars 2013.

La souscription a permis de découvrir une foule de courbetophiles inattendus à commencer par Bernard et Marie Cola. Dans leur petit village, au premier étage d'une jolie maison sans ostentation, dans leur chambre : des Courbet. Le couple les change de place en fonction de son humeur. Dans la moindre boîte, dans la moindre pièce, se trouve tout ce qui peut rapprocher les Cola de Courbet : des lettres, des revues, des livres rares, des œuvres. Tout ce qu'ils gagnent est pour Gustave. Bernard a eu une entreprise dans le bâtiment, Marie l'a accompagné sans oublier qu'elle a commencé dans la coi ure. Le couple a réussi. Ils sont devenus des collectionneurs respectés et généreux. Cette année, ces courbetophiles ont fait don au musée d'Ornans de plus de 300 documents rares liés à Courbet.

Le grand Gustave aimait voir la rivière Loue jaillir de la roche, une résurgence qui met au monde une vie, la vie, l'eau. L'œuvre L'Origine du monde est-elle cette résurgence ? Courbet aimait les géologues, la spéléologie. Pascal Reilé est géologue. Comme le peintre, il connaît la rivière Loue, les falaises, les plateaux, les grottes dont Courbet tira le portrait. Pascal est copropriétaire du tableau de Gustave. Lui aussi a souscrit.

Autre dévot, cet employé municipal rentre dans son logement au bord de la Loue. Que fait-il ? Christophe Thibault ouvre son ordinateur, s'amuse, travaille, bidouille. Il s'inspire des œuvres de Courbet, sa façon de l'admirer. Un camion fonce à travers la Franche- Comté. Le chauffeur est connu. Il est aussi acteur, chef de troupe amateur. Qui aime-t-il interpréter... ? Pascal Vaubourgeix fut aussi cosouscripteur, de même que la famille Duchêne, les pépiniéristes de Flagey.

Pour contempler Le Chêne de Flagey, il faut marcher sur l'eau. Une des extensions du musée Courbet dirigé par l'énergique Benjamin Foudral permet de marcher au-dessus de la Loue. Le musée est situé au bord de la rivière à quelques mètres de là où Courbet est né, à quelques kilomètres de là où le chêne a été peint.

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Commentaire 1
à écrit le 18/03/2024 à 13:06
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Bien bel endroit. Et rénovation du musée (il y a quelques années) fort intelligente.

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