LA TRIBUNE- Emmanuel Macron a confirmé cette semaine un acte deux de la réforme du Travail avec « des règles plus sévères quand des offres d'emploi sont refusées et un meilleur accompagnement de nos chômeurs par la formation, mais aussi l'accompagnement à l'emploi sur des choses très concrètes comme le logement ou les transports ». Quel regard portez-vous sur ces premières pistes de travail ?
ALAIN ROUMILHAC- La mesure sur le refus des offres d'emploi est assez symbolique. Beaucoup de gens sont au chômage et on ne leur propose aucun travail. En revanche, je pense que l'accompagnement des demandeurs d'emploi est indispensable. Dans certaines zones, la question du logement est primordiale.
Si les gens ne sont pas capables de se loger à des conditions acceptables, ils prendront moins de risques d'accepter certains emplois s'ils ne sont pas sûrs de continuer à long terme. Les sujets de garde d'enfant ou de santé font aussi partie de l'accompagnement des travailleurs et des demandeurs d'emploi. C'est par une approche à 360° que la France réussira à s'approcher du plein emploi.
Les créations d'emplois ont fortement ralenti et le chômage est reparti à la hausse en 2023. Faut-il s'attendre à une dégradation du marché du travail en 2024 ?
Le marché du travail ne devrait pas s'écrouler en 2024. Il pourrait y avoir une légère érosion sur le premier semestre, qui devrait s'aligner sur les chiffres de la fin de l'année 2023. On espère que la situation va s'améliorer à partir de l'été. Actuellement, les entreprises sont assez optimistes sur le futur. On ne voit pas de retournement sur le marché du travail comme on a pu le voir lors de crises précédentes. Il s'agit plutôt d'un tassement.
Comment se porte l'emploi dans l'intérim ? Quelles sont vos perspectives dans les mois à venir ?
Sur le travail temporaire, le marché est en décroissance entre 5% et 10% en fin d'année 2023 par rapport à la fin de l'année 2022. Certains de nos clients reportent des recrutements en raison des incertitudes. Sur le moyen terme, ils pensent que les perspectives seront plus favorables.
Comment les secteurs se portent-ils actuellement ?
Le secteur le plus résilient au cours de l'année 2023 est celui du bâtiment et des travaux publics. Il était au plus bas en 2022 et est resté stable au cours de l'année 2023. En revanche, le commerce, la logistique ou les transports ont connu une baisse importante. Cette baisse est liée à l'inflation, la réduction des volumes. L'industrie est restée relativement stable.
Quel bilan tirez-vous de l'apprentissage en 2023 ?
L'apprentissage a connu une dynamique extrêmement importante. Après une croissance significative, les chiffres commencent à se stabiliser. Les entreprises embauchent des apprentis lorsqu'elles ont confiance dans des perspectives de moyen terme. Dans un contexte de difficultés de recrutement, l'embauche des apprentis permet de développer des compétences en interne.
On peut s'attendre à une stabilisation des embauches. La question est de savoir s'il faut repartir de l'avant. Je pense qu'il faut mettre l'accent sur les métiers techniques et manuels. Il y a de vraies pénuries sur ces types de compétences.
Depuis le premier janvier dernier, Pôle emploi s'est transformé en France Travail. Les mesures inscrites dans la loi Plein emploi et visant les bénéficiaires du RSA vont-elles vraiment permettre de faire repartir la machine de l'emploi ?
Je pense que ces mesures vont permettre de faire repartir l'emploi. Il y a une inversion des mesures pratiquées depuis 40 ans. Auparavant, beaucoup de moyens étaient mis sur l'indemnisation et moins sur l'accompagnement. Dans les pays scandinaves, beaucoup d'efforts ont été déployés sur l'accompagnement. Dans la réforme de France Travail, il y a une volonté de mieux accompagner les demandeurs d'emploi.
Il faut être capable d'accompagner les personnes éloignées du marché de l'emploi comme les bénéficiaires du RSA. Ces personnes sont indispensables lorsque le taux de chômage est à 7%. Il sera difficile d'atteindre 5% de chômage si on ne traite pas les problématiques de santé, d'addictions. Beaucoup de personnes sont victimes d'accidents de la vie. Si elles ne sont pas accompagnées, elles vont avoir des difficultés à retrouver le chemin du travail. L'accompagnement vers l'emploi est absolument indispensable.
L'objectif du plein emploi est-il encore tenable d'ici 2027 ?
Personne n'est capable d'aujourd'hui de dire si la France atteindra les 5% d'ici 2027. La France pourrait descendre en dessous du seuil des 7% de chômage. Les entreprises ont de l'appétit pour rechercher des compétences capables d'accompagner leur transformation. S'il y a un rebond, la France sera capable d'atteindre cette cible, car elle est susceptible de créer beaucoup d'emplois avec peu d'activité. Mais si l'économie reste morose jusqu'en 2027, il n'y aura pas de possibilité d'atteindre cet objectif.
Les partenaires sociaux ont entamé un cycle de discussions sur l'emploi des seniors. L'objectif du gouvernement est de doubler le taux d'emploi des 60-64 ans. Quels sont les leviers qui permettraient de favoriser l'emploi des seniors après 55 ans ?
Tous les acteurs sont responsables sur ce sujet. Il faut regarder comment la situation a évolué ces deux dernières décennies. Il y a 10 ans, beaucoup de personnes voulaient partir en préretraite ou par le biais d'autres dispositifs. Il y a une prise de conscience chez les entreprises pour favoriser l'emploi des seniors. Le report de l'âge de départ à la retraite de 62 à 64 ans pousse les entreprises à se mobiliser sur ces sujets. Il faut sans doute travailler sur le dossier des retraites progressives.
Les entreprises doivent comprendre qu'elles doivent former des salariés à des âges plus avancés dans le contexte de numérisation et de verdissement de l'économie. Les tensions sur le marché de l'emploi et les difficultés à trouver des compétences poussent les entreprises à garder des salariés seniors. Le vieillissement de la population active devrait également inciter les entreprises à travailler plus souvent avec des seniors.
Propos recueillis par Grégoire Normand