« Plafonner le prix de l'électricité enverrait un signal au marché pour casser la spéculation » (Fabrice Le Saché, Medef)

ENTRETIEN. « Nous demandons une mesure simple à comprendre pour les chefs d'entreprise : le plafonnement du prix de l'électricité. Cela envoie un signal au marché, casse la spéculation et redonne un peu de visibilité ! » De passage à Arcachon pour la Plage aux entrepreneurs, Fabrice Le Saché, président fondateur d’Aera (*), vice-président et porte-parole du Medef, est venu défendre les positions du patronat pour favoriser le "made in France" et traverser la crise énergétique.
Fabrice Le Saché (au centre), vice-président et porte-parole du Medef, entouré de Pierre Goguet (à gauche), ancien président de la CCI Bordeaux Gironde et de CCI France, et de Franck Allard, président du Medef Gironde, à Arcachon, vendredi 16 septembre 2022.
Fabrice Le Saché (au centre), vice-président et porte-parole du Medef, entouré de Pierre Goguet (à gauche), ancien président de la CCI Bordeaux Gironde et de CCI France, et de Franck Allard, président du Medef Gironde, à Arcachon, vendredi 16 septembre 2022. (Crédits : Medef)

LA TRIBUNE - Vous êtes venu à "la Plage aux entrepreneurs", à Arcachon, défendre la réindustrialisation du pays. Cet objectif est-il remis en cause par la flambée des coûts de l'énergie ?

FABRICE LE SACHÉ - Non, dans la mesure où il s'agit d'un objectif structurel de long terme. Face à cela, la hausse des coûts de l'énergie est un problème que l'on espère le plus ponctuel possible même si, évidemment, on ne peut pas construire des capacités de production d'un claquement de doigts. Le Medef a toujours soutenu la filière industrielle nucléaire, mais les nouveaux réacteurs annoncés n'arriveront pas dans les cinq prochaines années.

Il va donc falloir avoir des mesures d'urgence pour mettre un plafond aux hausses de prix qui atteignent des niveaux stratosphériques : quand des entreprises renégocient des contrats qui arrivent à terme, le montant est multiplié par trois, par quatre, par dix, parfois par quinze ! Cela contraint certaines à réduire leur consommation d'énergie, et donc leur production, tandis que d'autres vont tout simplement s'arrêter pour ne pas produire à perte. Cela alimente un mouvement récessif et ce n'est pas un sujet à six mois mais bien un sujet d'aujourd'hui ! D'autant que toutes les tailles d'entreprises sont touchées dans tous les secteurs même si l'industrie, le commerce et la grande distribution sont particulièrement concernées car très énergivores.

Dans ce contexte, quelles sont les propositions du Medef ?

Nous demandons une mesure simple à comprendre pour les chefs d'entreprise : le plafonnement du prix de l'électricité. C'est une mesure qui envoie un signal au marché, qui casse la spéculation et qui redonne un peu de visibilité sur les mois à venir. Il y a des pays voisins qui l'ont fait, comme l'Espagne et le Portugal, et d'autres mouvements patronaux le demandent, notamment en Italie.

Quel efforts les entreprises sont-elles prêtes à faire en contrepartie d'un tel blocage des prix ?

D'une part, le plafonnement ne ferait que limiter la hausse, donc les entreprises en prennent déjà en charge une partie. D'autre part, les entreprises ont déjà réduit globalement leur consommation énergétique de 1,5 point en dix ans. Par ailleurs, les entreprises énergivores ont toujours tendance à optimiser le poste énergie puisque c'est un coût pour elles.

Mais un gain de 1,5% en dix ans, c'est extrêmement loin de ce qu'il va falloir faire, tant du point de vue de la crise énergétique que du point de vue du dérèglement climatique...

Oui, tout à fait, et on voit bien que l'objectif actuel de réduction de 10% de la consommation énergétique est très ambitieux. On peut jouer évidemment sur le chauffage des locaux, le télétravail, etc. Mais ce n'est pas ça qui permettra d'atteindre 10% d'économies. Il va falloir développer des innovations de rupture pour la décarbonation, et, pour cela, il faut diminuer les impôts de production pour permettre aux entreprises françaises d'investir encore davantage. Mais, à court terme, le plafonnement des prix est la seule solution.

Au regard de l'urgence et de l'ampleur de l'effort à mener, à court terme, êtes-vous prêts à renoncer à certaines dépenses que l'on peut juger superflues en période de sobriété énergétique telles que la publicité, l'éclairage nocturne, la communication, etc. ?

Tout ça, ce sont des discussions qui doivent avoir lieu au cas par cas par branche et par secteur d'activité. La grande distribution s'est déjà engagée à mener une série d'actions pour économiser l'énergie. Il y a aussi beaucoup d'entreprises qui ont signé des accords de télétravail ce qui permet de diminuer les consommations d'énergie et le nombre de trajets domicile-travail.

Mais on s'oppose de manière véhémente au concept de décroissance qui apporterait moins de richesse, moins de fiscalité et donc moins de moyens pour faire face au changement climatique. Le fait de mettre un prix aux services environnementaux, de prendre en compte les externalités positives et négatives et d'aller vers un capitalisme décarboné, c'est une évidence qui est en train de se mettre en place dans la réglementation. Nous voulons un signal prix sur l'énergie et l'environnement pour donner de la visibilité aux entreprises qui souhaitent changer de modèle.

La flambée actuelle du coût de l'énergie n'est-elle pas justement ce signal prix ?

Non, parce qu'il est bien trop élevé, avec un facteur d'augmentation par dix ! Si on veut fermer toutes nos usines demain, on gagnera effectivement rapidement la partie mais à avec quelles conséquences ? Il faut un signal prix cohérent dans la durée pour permettre aux entreprises d'investir et de transformer leurs systèmes de production tout en préservant notre modèle social. Avec des à-coups trop violents sur le prix de l'énergie, on risque d'avoir des entreprises qui ferment et/ou des mouvements de protestation du type des "Gilets jaunes".

À quel point êtes-vous inquiet quant au risque d'être confronté à des rationnements ou à des coupures d'électricité cet hiver ?

Le risque est réel mais il est difficile à quantifier à ce stade puisque cela va dépendre des conditions météorologiques. Les réserves de gaz sont a priori à un niveau élevé et chacun est prêt à faire des efforts en matière de sobriété énergétique. Les entreprises n'ont pas attendu l'admonestation de la Première ministre pour se préoccuper du sujet de l'énergie. Mais il va falloir accélérer.

Revenons au sujet de la réindustrialisation du pays : comment relocaliser, ou simplement localiser, des activités industrielles dans ce contexte d'inflation généralisée ?

Le premier point, c'est qu'on a déjà réussi à arrêter l'hémorragie des délocalisations massives et à recréer des sites industriels en France avec un solde net positif de création d'emplois. On n'appelle pas ça de la relocalisation car il y a un certain nombre de produits qui seront toujours produits à l'étranger, notamment pour être proches de leurs marchés. Mais il y a aussi des délocalisations qui ont été menées uniquement pour des raisons de coûts. Il faut lutter contre cela en travaillant sur le volet fiscal, notamment la CVAE [cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises] qu'il aurait été plus efficace de supprimer en un an plutôt que deux. Les impôts de production ont explosé depuis vingt ans et il faut encore s'améliorer face à la fiscalité de nos voisins.

Mais il faut aussi travailler sur la réglementation française et européenne en rétablissant des facteurs de compétition un peu plus loyaux. Nous militons, par exemple, pour une taxe carbone aux frontières de l'Union européenne, la création d'une taxation minimale sur l'impôt sur les sociétés au niveau mondial. Ensuite, en France, il y a encore des progrès à faire sur la formation initiale et continue, sur les reconversions professionnelles et, bien sûr, sur l'installation d'un site industriel !

Est-ce encore trop complexe de porter un projet d'usine en France ?

Nous sommes réunis ici à Arcachon pour célébrer les entrepreneurs comme si c'était des héros ! Il me semble qu'en creux c'est très significatif des difficultés à surmonter. On devrait pouvoir créer et installer des usines ou des parcs éoliens en mer beaucoup plus rapidement. Attention à la France des procédures qui tue la France des projets !

Les élus locaux dénoncent la suppression de la CVAE décidée par le gouvernement en 2023 et 2024, soulignant qu'ils n'auront bientôt plus aucun retour sur investissement quand ils accueillent des entreprises sur le territoire. N'est-ce pas contre-productif de rompre ce lien quand on cherche à réindustrialiser le pays ?

On ne vit pas dans un archipel ou sur une île, mais dans un pays qu'on appelle la France ! Il faut donc rompre avec cette forme d'individualisme territorial et réfléchir à l'intérêt du pays et au rôle de l'État qui finance les infrastructures et la protection sociale. Si chacun commence à ne regarder que son clocher, que son rapport coût-opportunité, on ne s'en sortira pas ! D'autant que les entreprises apportent d'autres impôts que la CVAE, sans même parler des créations d'emplois et des retombées économiques. Maintenant, l'investissement des collectivités locales sur leur territoire est une réalité et il faut qu'elles dialoguent avec l'État pour que la CVAE soit justement compensée. Si on leur transfère des compétences, les élus locaux sont légitimes à demander les moyens qui vont avec.

Avec le Covid, puis la guerre en Ukraine, assistons-nous aussi à une prise de conscience politique et économique de l'importance d'être capable de produire en France et en Europe un certain nombre de biens ?

Oui, il y a aujourd'hui un contexte géopolitique différent, des coûts du fret maritime qui explosent et la redécouverte, si j'ose dire, de l'importance de la souveraineté économique et de la maîtrise d'un certain nombre de matières premières et savoir-faire stratégiques. On ne peut pas dépendre complètement de nos partenaires commerciaux qui ne sont pas toujours fiables ni bienveillants. Nous sommes donc dans une forme de mondialisation des plaques avec des ensembles plus homogènes qui vont échanger de manière plus importante et plus intégrée en assumant des choix différents, par exemple, en matière de trajectoire carbone ou de respect de la vie privée.

___

(*) Créée en 2015 à Paris, Aera est une entreprise spécialisée dans le trading d'actifs environnementaux en Afrique. Elle accompagne des acteurs sur le montage des projets, la vente de crédits carbone et le conseil en matière de réduction des émissions de CO2. Elle indique gérer un portefeuille de crédits carbone d'une valeur de marché de 550 millions d'euros. Aera, qui compte 16 salariés, vise entre 30 et 40 millions d'euros de chiffres d'affaires en 2022, contre 15 millions l'an dernier.

Commentaires 9
à écrit le 21/09/2022 à 18:27
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Depuis quand les décisions sont-elles prise dans l'intérêt général ? Si cela était le cas, nous ne nous poserions pas la question! ;-)

à écrit le 20/09/2022 à 19:04
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Le pb n'est pas le plafonnement mais la formation des prix et des coûts...idéalement il y aurait moyen de créer un cadre...mais quand on voit comment segolene royal s'est assise dessus ( avec procesperdus à la cle) on se dit que c'est infaisable...vo...

à écrit le 20/09/2022 à 18:26
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A quoi bon plafonner les prix des énergies lorsque la facture énergétique est essentiellement composée de taxes? Par ailleurs, pour casser la spéculation sur l'électricité le plafonnement des prix n'est pas la solution ultime. En effet, la ma...

à écrit le 20/09/2022 à 16:33
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"Il y a des pays voisins qui l'ont fait, comme l'Espagne et le Portugal" Les deux pays se félicitent d’avoir obtenu de Bruxelles la reconnaissance d’une « exception ibérique », au motif que ses interconnexions avec le reste de l’Europe, via la Fra...

à écrit le 20/09/2022 à 14:02
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Ahurissant de voir de tels commentaires à raz les pâquerettes de la part du Medef. S’intéresser plutôt à ce que vient de déclarer le DG d’Aramco, M.Amin Nasser! La crise est profonde, va durer longtemps, et les interventions d’un état en faillite ne ...

à écrit le 20/09/2022 à 13:34
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"Maintenant, l'investissement des collectivités locales sur leur territoire est une réalité et il faut qu'elles dialoguent avec l'État pour que la CVAE soit justement compensée. Si on leur transfère des compétences, les élus locaux sont légitimes à d...

à écrit le 20/09/2022 à 12:19
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Plafonner le prix de l'électricité...osé comme proposition de la part du Medef! Parce qu'on pourrait aussi demander de plafonner les Salaires/Bonus et Primes des patrons du CAC 40 et Adhérents du Medef.

à écrit le 20/09/2022 à 11:18
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Oui, et puis comme ça on pourra continuer à polluer toujours autant

le 20/09/2022 à 13:48
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La première chose consiste à avoir un prix d'électricité qui ne soit pas déterminer selon une équation ubuesque comme aujourd'hui Ce n'est pas très difficile d'appliquer au prix du MWh la proportion de la part de chaque source au prix ou elle le pro...

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