Crédit Mutuel : les deux frères ennemis sur la voie d’un compromis

Entre la Confédération nationale de Crédit Mutuel, l’organe central, et son affilié, Crédit Mutuel Arkéa, l’heure est désormais au dialogue. Le groupe breton est prêt à renoncer à toute idée d’indépendance en échange d’une autonomie stratégique garantie par les statuts du groupe. La Confédération propose un droit de veto et une vice-présidence. Les positions de chacun sont encore éloignées mais, depuis un an, la volonté d’aboutir au règlement de ce conflit l’emporte sur les rancœurs d’un vieux contentieux.
La Confédération du Crédit Mutuel et le groupe Crédit Mutuel Arkéa sont à couteux tirés depuis dix ans sur des questions d'autonomie, voire d'indépendance.

« On ne règle pas un conflit vieux de dix ans en deux mois », lâche une source proche de la Confédération nationale du Crédit Mutuel. Mais, « l'époque serait aux tables rondes et à la détente », pour reprendre la célèbre réplique des Tontons flingueurs, entre les deux frères ennemis, la Confédération nationale du Crédit Mutuel, organe central du groupe mutualiste, et Crédit Mutuel Arkéa, qui regroupe les fédérations de Bretagne et du Sud-Ouest.

Alors que l'ancien patron emblématique du Crédit Mutuel, Michel Lucas, a su bâtir une forte intégration des différentes fédérations du Crédit mutuel (où chaque caisse locale est une banque de plein exercice), grâce notamment à l'outil informatique développé par la fédération du Crédit Mutuel Centre Est Europe dont il a été un des dirigeants historiques, la fédération de Bretagne, bien gérée et ambitieuse avec ses nombreuses filiales spécialisées, a toujours souhaité marquer sa différence.

Un certain ras-le-bol

Les hostilités, larvées au départ, débutent dès 2011 mais, progressivement à partir de 2014, le patron charismatique du Crédit mutuel Arkéa, Jean-Pierre Denis, et son bras droit, Ronan Le Moal, commencent à dérouler un projet, baptisé « Liberté » d'émancipation, puis d'indépendance vis-à-vis de la Confédération nationale, accusée de vouloir mener une « OPA » sur le groupe breton.

Procès, contestations des statuts, accusations de conflits d'intérêt, politique de la chaise vide, manifestations de salariés bretons à Brest ou devant les fenêtres de Bercy, le tout sous le regard atterré des régulateurs, le point de non-retour semblait atteint lorsque la démission surprise de Jean-Pierre Denis, au printemps 2021 a quelque peu rebattu les cartes et...apaisé les esprits.

Il était temps. Un certain ras-le-bol commençait à poindre en interne chez Arkéa et le projet d'indépendance s'enlisait doucement mais surement. « Plus personne n'y croit », nous avait alors confié une source syndicale au siège breton à Le Relecq-Kerhuon. Même la Banque centrale européenne masquait mal son agacement, en mai 2020, en repoussant l'examen du dossier aux calendes grecques. La nomination, en juin 2021, de Julien Carmona, venu du groupe immobilier Nexity, à la présidence de Crédit Mutuel Arkéa, a permis de remettre le dossier sur la table, mais sans passion, ni frictions.

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De l'indépendance à l'autonomie

En se présentant d'emblée comme un homme de dialogue, Julien Carmona a pris soin de mettre de côté les mots qui fâchent. L'indépendance est morte, vive l'autonomie ! « Notre avenir passe clairement par l'autonomie complète vis-à-vis de la Confédération nationale du Crédit Mutuel. Je souhaite être très clair sur ce point », avait-il expliqué à La Tribune en juillet 2021. Le glissement sémantique est d'importance. Il a permis de renouer officieusement le dialogue entre les deux parties. « Julien Carmona et Nicolas Théry (président de la Confédération nationale, NDLR) se parlent », avance une source interne à Paris.

C'est déjà une avancée en soi, tant la situation semblait bloquée. Comme un signe de bonne volonté, Crédit Mutuel Alliance Fédérale (le groupe « loyaliste qui comprend 11 fédérations et le CIC) s'était même effacé devant Crédit Mutuel Arkéa lors des enchères pour la reprise du fonds de commerce d'ING France (finalement remporté par Société Générale).

Des signes d'ouverture et un couac

Les signaux d'apaisement se sont multipliés lors des dernières assemblées générales des puissantes fédérations à Strasbourg et à Brest, même si Julien Carmona a alors rappelé l'enjeu « vital » pour son groupe de l'autonomie. Mais ce dernier a dû faire accepter à ses mandants des caisses locales l'idée de renoncer à la désaffiliation - en clair l'indépendance - en échange d'une autonomie garantie par les instances nationales. Même l'assemblée générale de la Confédération nationale a été, le 3 juin dernier, de son couplet de propositions pour dénouer le dossier. L'optimisme était alors de rigueur.

Jeudi dernier, le conseil d'administration de la Confédération nationale, où siège à nouveau un représentant du Crédit mutuel Arkéa après des années d'absence, a jeté pourtant un (petit) coup de froid. Le conseil a certes confié à Nicolas Théry le soin de « mettre fin » au conflit, en réaffirmant que la situation actuelle du statu quo n'était profitable pour personne (tout le monde est d'accord sur ce point).

Mais deux textes ont été présentés, presque à la surprise des administrateurs eux-mêmes, sans réelles discussions préalables. Ces deux dispositifs de « réconciliation pérenne », assez proches l'un l'autre, peuvent se résumer par un droit de veto accordé à toutes les fédérations (mais sur un périmètre très limité), une affirmation de bonne volonté sur l'autonomie stratégique et opérationnelle des entités du groupe et, enfin, la création d'un poste de vice-président délégué confié à un représentant des fédérations de Bretagne et du Sud-Ouest.

C'est d'ailleurs la suppression de ce poste par Michel Lucas en 2011 qui avait mis le feu aux poudres. Cette vice-présidence doit en principe rassurer Crédit Mutuel Arkéa sur le maintien de son identité au sein du groupe, menacé selon les Bretons par une réforme des statuts de la Confédération l'an dernier visant à « renforcer la cohésion du groupe » qui avait alors créé de vives tensions.

Appel à poursuivre les négociations

Crédit Mutuel Arkéa a vite répondu dans un communiqué, publié ce vendredi, pour saluer l'ouverture faite mais...aussi pour rappeler la Confédération aux vrais sujets qu'il souhaite négocier.

A savoir, primo, l'étendue des pouvoirs de l'organe central, entre ce qui relève de ses prérogatives prudentielles et réglementaires du reste, en clair, la stratégie, et deuxio, une meilleure définition des modalités de la concurrence au sein du groupe pour les filiales et les métiers spécialisés, dont la compétence est nationale. Deux sujets qui ne sont pas réellement abordés par les propositions de la Confédération, regrette-t-on chez Arkéa, qui souhaite que son autonomie stratégique soit davantage sécurisée dans les statuts du groupe.

« Nous n'avons pas pu trouver un accord lors du conseil, c'est peut-être encore trop tôt, mais nous avançons dans la négociation », reconnaît-on du côté de la Confédération nationale. « Nous appelons à une discussion structurée et méthodique pour avancer sur le fond avec la Confédération pour aboutir à un vrai projet commun, et ce dans un délai raisonnable », avance une source proche du Crédit Mutuel Arkéa.

Quand chacune des parties semblent pressées d'en finir, un accord n'est jamais très loin. Surtout quand l'essentiel, l'intégrité du groupe Crédit Mutuel, semble aujourd'hui ne plus être remis en cause. Un accord serait d'ailleurs apprécié des pouvoirs publics et du régulateur. Il n'est jamais bon de voir deux groupes bancaires, en pleine santé, et de la même famille mutualiste, se chamailler.

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