Fintech : un secteur qui apparaît plutôt résilient dans la tempête

Dans son étude semestrielle, l’Observatoire de la fintech note certes un recul de près de 60% des levées de fonds en France, mais souligne aussi une capacité à s’adapter à de nouveaux environnements. Le secteur de la fintech a même réussi à créer plus de 3.000 emplois en net en 2023, pour atteindre un total de 32.000 emplois.
Les fintechs françaises ont levé plus de 9 milliards d'euros depuis 2010.
Les fintechs françaises ont levé plus de 9 milliards d'euros depuis 2010. (Crédits : DR)

C'est un coup de frein sans équivoque : en 2023, les levées de fonds réalisées par les fintechs en France ont reculé de près de 60% à 1,1 milliard d'euros, selon l'étude semestrielle de l'Observatoire de la fintech. La France est le deuxième marché en Europe en montant des fonds levés et nombre de transactions, (loin) derrière le Royaume-Uni.

Hausse des taux d'intérêt, baisse des valorisations, durcissement réglementaire, frilosité des investisseurs qui privilégient désormais la rentabilité, ou perte de pouvoir d'achat des consommateurs, tous ces facteurs ont entraîné une baisse générale des financements de la fintech dans le monde. Ce, malgré quelques opérations spectaculaires, comme la levée de fonds de 7 milliards de dollars réalisée par Stripe (paiement) en mars dernier aux Etats-Unis.

Des « méga deals » en chute libre

Mais le temps des « mega deals » semble révolu en Europe. Les levées de fonds ont atteint 5,4 milliards cette année, un montant divisé par trois par rapport à 2022, après une quasi-disparition des deals de plus de 100 millions d'euros. En France, seul Ledger, qui commercialise des wallets sécurisés pour les cryptoactifs, a réussi à lever au moins 100 millions d'euros, devant Pigment (gestion d'un business plan). En 2022, pas moins de 7 start-ups françaises avaient réussi à lever au moins 100 millions (Payfit, Alan, Santévet, Clubfunding, Alma, Descartes Underwriting, Spendesk).

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« Nous revenons à une normalité du nombre et du montant des opérations, après des années 2021 et 2022 atypiques en raison de liquidités abondantes », tempère cependant Mikaël Ptachek, président de l'Observatoire. Ce sont cette année les activités de « middle et de back-office » (traitement et suivi des opérations) qui ont le plus attiré les investisseurs (27% des fonds levés), ce qui souligne un changement de tendance, « vers des modèles B2B plus rentables et donc plus monétisables. D'où la forte croissance des solutions pour les PME », observe Grégory Maulion, vice-président chez Marstercard et membre de l'Observatoire.

Un écosystème de 32.000 emplois

Depuis 2010, quelque 552 fintechs made in France auront levé 9,2 milliards d'euros, et c'est l'Assurtech qui reste en tête des secteurs qui ont attiré le plus de capitaux (1,9 milliard), devant les paiements (1,8 milliard) et du « middle et back office » (1,3 milliard). Les banques digitales ne pèsent que 1,1 milliard d'euros de levées de fonds, mais ce chiffre ne recouvre pas les investissements réalisés par les banques ou les opérateurs télécoms dans leurs filiales de banque en ligne, et qui se chiffrent en centaines de millions d'euros. Au total, la fintech représente un écosystème solide, avec un bassin d'emploi non négligeable de 32.000 salariés, selon les estimations de l'Observatoire.

Et les dirigeants ont même continué à recruter globalement en 2023 - malgré quelques plans sociaux - soit 3.000 créations nettes (+10%) après la vague d'embauches nettes de 2022 (+8.000). La remonté des taux a donné, il est vrai, une bouffée d'oxygène aux fintechs qui peuvent gérer des dépôts, comme la « banque » des PME Qonto qui affiche près de 1.500 salariés.

Les profils changent aussi, avec une hausse significative des postes liés à la conformité, « qui peuvent désormais représenter jusqu'à 10% des effectifs », souligne Mikaël Ptachek. De fait, « sur les 475 fintechs toujours en activité, environ 40 % sont régulées par un statut ou un agrément », note François Faure, expert dans la compliance, un pourcentage « plus proche de 50% sur les levées de fonds ».

Une régulation renforcée

Plus de réglementation oblige les fintechs à investir davantage, ce qui créé des barrières à l'entrée pour les nouveaux acteurs. Et l'année 2024 s'annonce riche en réglementations, avec la mise en œuvre progressive de la DSP3 (directive des paiements), qui entre en application au 1er janvier 2026, l'arrivée de la directive MiCA sur les actifs numériques qui devrait bouleverser l'écosystème des cryptos, avec notamment un nouvel agrément PSAN.

Sans compter l'entrée en vigueur en 2025 de la réglementation Dora visant à renforcer la sécurité informatique, et qui concerne à ce titre les fintechs (comme les banques et les assureurs). Enfin, la nouvelle agence européenne de lutte contre le blanchiment devrait ouvrir ses portes cette année, un sujet sensible pour les banques en ligne, les prestataires de paiement et les plateformes de cryptoactifs.

4% de la valeur détruite

L'année 2023 s'est également traduit par 7 cessations d'activités, à l'image du redressement judiciaire de Luko, l'assurtech qui avait voulu briser les codes de l'assurance et qui risque d'être racheté, pour une bouchée de pain par un assureur traditionnel, après avoir levé plus de 70 millions d'euros. Selon le décompte de l'Observatoire, « sans doute sous-estimé », reconnaît son président, 77 fintechs ont cessé leurs activités, engloutissant quelque 300 millions d'euros de fonds levés (dont 70 millions pour Luko), « soit 4% de valeur détruite par rapport à la totalité des fonds levés ».

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« Beaucoup de fintech ont moins de cash avec des levées de fonds plus espacées et on pourrait voir s'accélérer un mouvement de consolidation dans le secteur des fintech », estime François Assada, associé chez KMPG. « Le sentiment des investisseurs est très sélectif, avec un focus sur la profitabilité, un secteur des paiements finalement résilient, un financement dans les cryptos plutôt en baisse et un intérêt grandissant pour l'ESG et l'IA », ajoute-t-il.

Reprise en 2023

L'Observatoire a relevé malgré tout une opération de fusion & acquisition par semaine en France, dont 40% sont réalisées par des fintechs ou des start-ups. La stabilisation des taux en 2024 et la baisse des valorisations - souvent supérieure à 50 % - pourraient favoriser un retour en grâce des fintechs auprès des investisseurs.

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Selon un indice Fintech40, mis en place par l'Observatoire en partenariat avec le néo courtier eToro, composé à 80% de valeurs américaines et seulement de quatre valeurs françaises, la totalité des gains enregistrés depuis 2018 a été effacé à la fin 2022. « L'année 2023 se solde finalement par une reprise, notamment dans le sillage du rebond des cryptos », indique Antoine Fraysse-Soulier, responsable de l'analyse des marchés chez eToro. Un mouvement de rebond qui devrait perdurer l'an prochain. Pour une simple raison : les besoins de numérisation de l'économie n'ont pas diminué pour autant.

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Commentaires 2
à écrit le 19/12/2023 à 8:09
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Ben c'est la rente qui fait l'économie actuelle donc c'est sur la rente et donc l'inertie et donc la graisse qu'il faut miser entretenant toujours plus l'immobilisme économique. CQFD

à écrit le 18/12/2023 à 22:25
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Tant qu'on peut lever des fonds, on peut payer des gens. Mais c'est mieux de les payer avec l'argent des ventes. Qui fait des ventes dans ce beau secteur ?

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