Deux ans après l'affaire Madoff, les victimes attendent toujours réparation

Quelque 21 milliards de dollars ont été engloutis dans la plus importante fraude de l'histoire. Le liquidateur américain tente aujourd'hui de récupérer plusieurs milliards pour indemniser les victimes. Si la SEC a revu ses dispositifs de contrôle, les risques de nouvelles fraudes demeurent.
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"6.000 dollars, dernier prix ? Adjugé." Visiblement satisfait, un trentenaire vient de rafler une paire de chaussons en velours noir. Sa valeur n'était pourtant estimée qu'à environ 100 dollars. Mais il ne s'agit pas de n'importe quelles pantoufles: ce sont celles de Bernard Lawrence Madoff, comme en attestent les trois lettres BLM brodées au fil doré. Vendues aux enchères, comme plus d'un millier d'effets personnels du financier. Bijoux, montres, costumes, chaussures, lampes, oreillers, serviettes de table... Tout doit disparaître, des objets de la vie quotidienne aux symboles de l'opulence dans laquelle vivait le couple.

Dans l'une des salles de réception de l'hôtel Sheraton, la foule s'est pressée. Ils sont environ 500. Des chasseurs d'icônes, mais aussi quelques curieux. En ligne, un millier d'acheteurs ont gonflé les rangs. "Les connexions venaient du monde entier", s'est étonné après coup le commissaire-priseur Bob Sheehan, trente ans de métier. "De toute ma carrière, je n'avais jamais procédé à une vente suscitant autant d'intérêt." Deux millions de dollars ont été récoltés. Une première vente avait déjà permis de récupérer, en novembre 2009, 1 million de dollars. Le luxueux appartement du couple dans Manhattan avait, lui, été cédé pour 8 millions. Et une troisième et dernière vente devrait se tenir au printemps prochain, en Floride.

Il y a deux ans, le monde entier découvrait Bernard Madoff. Mais à Wall Street, il était un financier reconnu. "Il cultivait une image de succès et de secret autour de sa société, jouait les divas, évitant les rencontres et refusant des investissements pour des motifs snobs et saugrenus", racontera bien plus tard la Securities and Exchange Commission (SEC), qui a longtemps négligé des soupçons de fraude. Pendant des années, le gendarme boursier américain n'a rien vu, rien fait. Pis, il a "raté de nombreuses occasions de découvrir cette fraude", selon l'aveu-même de sa présidente Mary Schapiro. Humiliée, la SEC tente depuis de retrouver un brin de crédibilité, et multiplie les initiatives dans ce sens.

Si certains avaient émis des doutes sur l'étonnante régularité des rendements de son fonds, "pas grand monde n'imaginait que l'une des légendes de Wall Street était en fait le plus gros escroc de l'histoire", se souvient la journaliste Erin Arvedlund, auteur de plusieurs livres sur l'affaire. Déjà secouée par la crise, la place financière en sortira meurtrie. "La confiance était brisée, les standards éthiques détruits et les procédures internes de contrôle remises en cause", rappelle un professionnel.

Pour récupérer leurs mises, les victimes comptent aujourd'hui sur Irving Picard, le liquidateur américain des sociétés de Bernard Madoff. Ces derniers jours, il a multiplié les plaintes devant le tribunal des faillites de Manhattan, le délai légal pour engager des poursuites prenant fin samedi. Plusieurs centaines de procédures ont été ouvertes dans le but de récupérer tout ou partie des 21 milliards de dollars perdus par ces milliers d'investisseurs qui, parfois sans le savoir, avaient confié leur argent au financier.

Dans le viseur d'Irving Picard, il y a d'abord des grands noms de la finance mondiale, comme JP Morgan, HSBC et UBS. Il leur reproche d'avoir délibérément fermé les yeux pendant des années sur des signaux d'alerte et leur réclame des milliards de dollars. Au-delà, il s'attaque à tous ceux qui ont alimenté Madoff en argent frais, les fonds nourriciers sans qui le schéma pyramidal n'aurait jamais tenu si longtemps. Ces intermédiaires ne pouvaient pas ignorer la fraude, estime-t-il. Certains ont d'ailleurs réalisé des bénéfices conséquents. Des sommes qu'Irving Picard entend bien récupérer.

Cette procédure dite de "claw back " concerne également tous les souscripteurs qui ont retiré plus de fonds qu'ils n'en ont versés. Ils seraient environ 2.000 à avoir perçu "des profits fictifs, en réalité l'argent d'autres investisseurs", selon le liquidateur. Des investisseurs individuels, souvent des retraités de Floride. Mais aussi quelques financiers de haut vol, qui ont bénéficié de rendements pouvant atteindre 950 % par an ! Carl Shapiro, l'un des premiers à avoir investi chez Madoff, avait ainsi engrangé au fil des ans 1 milliard de dollars. En début de semaine, il a passé un accord avec le liquidateur pour restituer 550 millions. Les gains de Jeffry Picower auraient atteint 7 milliard de dollars, lui permettant de se hisser, avant sa mort en octobre 2009, parmi les 400 premières fortunes des États-Unis.

Toutes ces poursuites prendront des mois, des années même avant d'aboutir. Pour l'instant, le liquidateur a récupéré moins de 2 milliards de dollars, à répartir parmi les investisseurs réellement floués. Au moment de l'arrestation de Bernard Madoff, son fonds répertoriait encore 4.900 clients. Mais moins de 2.500 demandes d'indemnisation ont été déposées. Irving Picard espère, à terme, restituer à ces victimes 50 cents par dollar investi.

Il y a deux ans, le monde entier découvrait donc Bernard Madoff. Tout le monde n'a cependant pas retenu la leçon. "Une telle fraude ne se reproduira pas auprès des investisseurs institutionnels, qui sont devenus extrêmement prudents et attentifs", estime Erin Arvedlund. Mais des particuliers et de petits investisseurs pourraient bien encore tomber dans le panneau, poursuit-elle: "la promesse de profits élevés reste toujours autant attractive que certaines personnes oublient de faire leurs devoirs."

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Commentaires 2
à écrit le 11/12/2010 à 19:23
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Noël approche. On va faire un Téléthon pour leur caviar.

à écrit le 11/12/2010 à 10:41
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Son de cloche tout à fait différent à Genève où une dizaine de milliards auraient disparu : >>Comment le trustee Irving Picard cherche à exclure les victimes européennes au profit des Américains. Sébastien Ruche L'AGEFI Suisse 10 décembre 2010 www....

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